L’État islamique n’a pas été « importé » en Tunisie. Beaucoup de ses partisans sont des « locaux » ; et les attaques se multiplient contre les forces de l’ordre et l’armée tunisiennes, sans que le gouvernement ne parvienne à trouver la parade pour enrayer le phénomène. Visée également, l’industrie du tourisme, une des principales sources de revenus de la Tunisie. Après l’attentat du Musée du Bardot, au coeur de la capitale, le 18 mars 2015, qui s’était soldé par la mort de 22 personnes, un autre bilan fort lourd endeuille la Tunisie : ce 26 juin, 38 touristes ont été abattus à la kalachnikov sur le sable blanc d’une plage de Sousse.
De 2011 à 2014, le peuple tunisien, sur le qui-vive, manifestait à chaque décision qui pouvait changer la société et attenter à leur liberté individuelle.
C’était à l’époque d’un gouvernement provisoire, d’où la tendance à clamer à grands cris que ces gouvernants n’étaient pas légitimes et qu’ils ne pouvaient donc décider. Aujourd’hui, après des élections libres, les Tunisiens qui ont opté pour un « vote utile », finissent par penser qu’ils se retrouvent avec un gouvernement inutile.
Mais personne ne bouge… La Tunisie est en mode « weet and see ».
La centrale syndicale UGTT lance grève sur grève et ne semble plus contrôler ses troupes.
Les instituteurs poussent le bouchon, en refusant de faire passer les examens de fin d’année à leurs étudiants. Mais le ministre de l’Éducation a trouvé la solution : faire automatiquement passer tous les élèves dans la classe supérieure.
Les instituteurs récidivent en annonçant le boycott de la rentrée. Réponse du ministère : tous les jours de grève seront déduits des salaires ; il ne faut pas permettre aux enseignants de prendre en otage les élèves. En outre, par leurs grèves sauvages, les enseignants font la part belle aux écoles privées et tue l’école publique à petit feu.
Mais comme cela ne suffit pas, on en rajoute une couche.
Le conseil des ministres, qui devrait s’occuper des problèmes urgents, le terrorisme, nos concitoyens kidnappés en Libye, la bérézina du bassin minier et bien d’autres choses encore, a préféré consacrer sa séance à la question de la retraite des députés de la troïka, retraite qu’ils avaient voté la veille de la signature de la constitution, donc la veille de leur départ, et ce au milieu de la nuit, en catimini, en s’accordant une augmentation, afin que cette retraite soit égale à leur salaire…
Encore et toujours le mode « weet and see ».
Daech est à nos portes, mais nul besoin de « les » importer, car beaucoup de leurs éléments sont des locaux ; mais le gouvernement ne semble pas être pris de panique.
Des militaires sont régulièrement attaqués, mais le parti Hezb Tahir, qui prône le califat, donne un congrès au vu et au su de tous, à la coupole d’el-Menzah [ndlr : le Palais des Sports de Tunis]. Pour peu, on s’y serait cru à un concert de rock… avec le drapeau noir en plus.
Il est vrai qu’ils ont eu le visa pour fonder ce parti, du temps où Ennahdha était pleinement au pouvoir ; mais rien n’obligeait la municipalité à leur louer ce site d’apparat.
« Weet and see. »
Le président de la république, BCE [ndlr : Béji Caïd Essebsi], s’est rendu aux États-Unis ; il a été reçu par Obama, qui octroie à la Tunisie le statut « d’allié majeur de l’OTAN ».
Pourquoi ?
Nul ne sait pourquoi.
Mais les mauvaises langues parlent d’une tête de pont vers l’Algérie.
Les Algériens sont nos voisins et nos frères, et le plus grand allié de la Tunisie, dans tous les domaines. Le fait qu’ils soient dans le collimateur des puissances de ce monde n’échappe à peu près à personne.
L’abondance de leur pétrole et de leur gaz donne des sueurs froides aux occidentaux. Le fait qu’ils ne s’alignent pas, comme les riches pays du Golfe, les agace au plus haut point.
« Weet and see. »
Les deux journalistes tunisiens enlevés en Libye sont toujours portés disparus. Des membres du consulat de Tunisie ont été enlevés, puis relâchés contre la libération du chef de milice libyen Walid el-Qalib, un terroriste condamné par la Justice tunisienne ; les milices du mouvement Fajr Libya ont ainsi réussi à faire plier l’État tunisien, Fajr Libya qui, selon Rached Ghanoucchi, le chef du parti islamiste « modéré », « aidera la Tunisie à lutter contre le terrorisme ».
Nombre d’autres ressortissants tunisiens restent encore aux mains de leurs ravisseurs. On n’arrive plus à dénombrer les Tunisiens détenus en otages en Libye.
« Weet and see. »
Les ministères sont surchargés d’employés : les partis de la Troïka avaient pris soin de recruter et placer leurs clientèles, avant de vider les lieux.
L’État croule donc sous la masse salariale, à rémunérer des inutiles, sans plus pouvoir recruter des compétences.
Le marché parallèle et mafieux se développe et paralyse le commerce légal, ne rapporte rien à l’État.
L’opposition et son chef de file, Moncef Marzouki, l’ex-président provisoire, lance la campagne « Winou el-pétrole ? » (« Où est le pétrole ? »), comme pour fomenter une nouvelle révolution, sans dire pourquoi, lui, il ne l’a pas trouvé, ce fameux pétrole, pendant les trois années durant lesquelles il a occupé le pouvoir.
« Il y a du pétrole en Libye et en Algérie ; donc, pourquoi pas en Tunisie ? », répète-t-il à tue-tête. L’argument est assez simple, pour ne pas dire simpliste…
Libyens et Algériens lanceront-ils une campagne « Winou el-phosphate ? » ; que l’on trouve en abondance en Tunisie, et pas chez eux.
Pour l’heure, le phosphate tunisien, il demeure bien enterré : les grèves du bassin minier ont (momentanément) mis un terme à son extraction.
« Weet and see. »
Mais, à force de « weet » et de « see », le pays s’épuise.
Le ramadhan arrive. On va donc encore faire du « weet and see », jusqu’à la rupture du jeûne.
Puis on va faire du « weet and see » jusqu’à l’Aïd ? Puis jusqu’à la rentrée des classes ?
On continuera ainsi, à faire du « weet and see » tout le long de l’année… et, pour se rassurer un peu, on pourra toujours se dire : « yes, we can ! ».