Ce n’est plus un secret pour aucun observateur : l’Arabie Saoudite mène une guerre par procuration dans le Moyen-Orient pour contenir l’influence de l’Iran et du chiisme. Le royaume saoudien se veut ainsi le pays de l’axe sunnite et soutient, partout où il peut, les gouvernements ou rebelles qui luttent contre les satellites et auxiliaires de l’Iran. Pourtant, l’Arabie n’est elle-même pas une terre religieuse homogène, et on découvre que le royaume, dominé politiquement et religieusement par une version rigoriste et conservatrice de l’Islam, le Wahhabisme, est lui-même traversé de plusieurs courants religieux et abrite une minorité chiite importante.
Les Sunnites saoudiens constituent la majorité des habitants (52%). Ils peuplent majoritairement l’ouest (depuis la frontière yéménite jusqu’à la frontière jordanienne), le nord, quelques zones à l’est le long du Golfe persique, et quelques zones désertiques du sud-est. Le sunnisme est structuré en quatre rites ou écoles de jurisprudence (mad’hab) : le Hanafisme, le Shafi’isme, le Malikisme et le Hanbalisme. Seuls ces deux derniers sont représentés en nombre dans la population saoudienne (à l’exception de la population expatriée). Le Malikisme, une doctrine qui prône une approche moraliste de la loi, est majoritairement pratiqué dans l’ouest, le long du golfe persique et dans les zones désertiques du sud-est. Le Hanbalisme, qui a emprunté au Safi’isme une adhérence rigide aux Hadith/Sunna, rejette la spéculation juridique et se réfère à la lettre des textes sacrés originels. Il a été en grande partie absorbé par le Wahhabisme depuis la fin du XVIIIème siècle et n’est plus pratiqué qu’au nord du royaume, dans les hautes terres de Shammar, et dans les zones désertiques du sud de la Syrie et de l’Irak.
Le Wahhabisme, apparu à la fin du XVIIIème siècle et issu du Sunnisme hanbalite, prône le retour de l’Islam premier, à la pureté des origines, rejette toute interprétation du Coran et de la Sunna qui diffère de celle du sens orthodoxe conservateur. Les Wahhabites rejettent toute innovation et prônent un puritanisme religieux absolu. En outre, le culte wahhabite rejette toute idolâtrie, et à ce titre encourage à la destruction de lieux archéologiques, religieux ou historiques considérés comme idolâtres. Bien que politiquement opposés à la monarchie saoudienne, les groupes salafistes et djihadistes État islamique et Al-Qaeda empruntent au Wahhabisme leur pratique de l’Islam et leur conception de la société musulmane.
La particularité du Wahhabisme saoudien tient en l’alliance depuis l’origine entre le politique et le religieux. En effet, en 1744, un pacte a été conclu entre le chef tribal Mohammed Ibn Saoud et Mohammed ben Abdelwahhab (le fondateur du Wahhabisme), le premier s’engageant à protéger et propager la doctrine wahhabite, tandis que le second soutiendrait le dirigeant, en lui assurant « gloire et puissance ». Aujourd’hui, le Wahhabisme est pratiqué essentiellement dans le centre de l’Arabie Saoudite, mais son caractère de culte d’État a permis son développement au-delà de son lieu d’origine.
Les Chiites d’Arabie Saoudite, longtemps marginalisés et dont le nombre a souvent été sous-estimé, représentent 4 millions de fidèles (selon les chiffres les mieux établis, de Mickael Izady de l’université de Columbia, soit 25% de la population autochtone ; le Pewforum donne une fourchette de 2 et 4 millions, soit 12,5% à 25%), mais se répartissent dans deux régions distinctes.
Au nord-est, d’une part, entre la frontière koweitienne et la frontière des Émirats Arabes Unis, la région autour de Dammam est largement occupée par les Chiites Imamis, le courant principal du Chiisme proche de celui pratiqué en Iran. Au sud-ouest, d’autre part, près de la frontière yéménite, les Zaidi et les Ismaïlistes, deux autres branches du Chiisme, occupent une zone au nord du Yémen, autour des villes de Najran, Abha et Sharuran (dans le désert). Cette zone connaît actuellement des tensions importantes du fait de la guerre entre les rebelles Houthis yéménites et la coalition de pays arabes sunnites menée par l’Arabie Saoudite. Ces tensions ont conduit à l’évacuation de plusieurs villages proches de la frontière.
Si à ce tableau on ajoute la population d’expatriés immigrés en Arabie Saoudite, qui représentent près de 10 millions de personnes, aux croyances multiples, on s’aperçoit donc que le royaume saoudien est loin d’être homogène religieusement parlant.
S’il est vrai que la population autochtone se réclame intégralement de l’Islam, ce sont plusieurs écoles de pensées qui cohabitent, parfois très différentes et antagonistes.
Dans le contexte régional actuel, la présence des Chiites, longtemps négligée, constitue pour le pouvoir saoudien un danger qu’il associe à son rival historique, l’Iran.
1 Comment
N’est-ce pas un pur parti pris de représenter le wahhabisme d’une manière distincte du sunnisme? Alors que l’article précise bien que le wahhabisme s’appuie sur l’école jurisprudentielle hanbalite et qu’il est surtout lié à une question politique et dynastique.
Imaginerait-on une carte religieuse de l’Amérique du Sud où l’on représentait l’opus dei et les catholiques marqués par la théologie de la libération par des couleurs différentes?