SYRIE – Bachar, dernier et seul « allié » des Kurdes de Syrie ?

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La question qui s’impose désormais, à ce stade du conflit syrien, est de savoir quel avenir politique et quel modèle de gouvernance peuvent répondre aux demandes des peuples qui composent la Syrie.

Les frontières existantes du Moyen-Orient n’ont pas été tracées en tenant compte des réalités ethniques ou confessionnelles diverses qui s’y côtoient ; elles ont été décidées par des accords secrets (donc, à l’origine, même pas officiellement déclarés et décidés bilatéralement sans concertation avec les peuples concernés, comme le fameux deal Sykes-Picot de 1916), qui ont partagé la région selon des intérêts uniquement économiques et géostratégiques, ceux de la France et de l’Angleterre, les deux puissances vainqueurs de la première guerre mondiale.

C’est cette forme de colonialisme, qui a une fois de plus nié le droit à l’auto-détermination des peuples (devenu depuis lors l’un des principes fondamentaux de la Charte des Nations-Unies), qui est à l’origine des guerres qui lacèrent en ce moment le Moyen-Orient.

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Quel modèle pour la Syrie de l’après-conflit ?

En 2018, le Moyen-Orient – et la Syrie plus particulièrement – se trouve face à trois alternatives.

L’une, défendue par les forces progressistes menées par le Parti de l’Union démocratique [ndlr : le PYD est l’équivalent syrien du PKK turc ; principalement kurde, sa branche armée est le YPG]  et ses alliés arabes, assyro-chaldéens, arméniens et turkmènes, consiste, sans remettre en question les frontières existantes, à favoriser un système fédéral, ce qui implique des autonomies régionales. Dans le cas de la Syrie, une des régions constituées serait la Fédération du Nord, qui procéderait de l’intégration de toutes les composantes ethniques du nord de la Syrie, dans le respect de leur identité et leur religion propre, et dotée d’un gouvernement pluraliste.

Une autre alternative est défendue par le régime de Bachar al-Assad, celle du modèle de l’État-nation. C’est le principe que le régime baathiste, avec l’aide de ses alliés iraniens, du Hezbollah libanais et de la Russie, tente de maintenir en Syrie, alors que sept années de conflit ont montré que ce modèle ne correspond pas à la réalité politique de la région.

Enfin, troisième alternative, celle de l’État religieux. En Syrie, l’organisation État islamqiue ayant été écartée, cette option est soutenue par divers groupes djihadistes, appuyés et armés par la Turquie et ses alliés sunnites, qui caressent l’espoir de créer un État musulman qui serait placé sous la « protection » du « califat néo-Ottoman » que l’actuel président turc, Recep Tayyip Erdogan appelle de ses vœux et dont il semble réussir à imposer l’idée, depuis qu’il s’est emparé du pouvoir à la faveur du coup d’État manqué de juillet 2016.

La région kurde, zone sensible 

Bien sûr, divers facteurs géopolitiques et enjeux énergétiques qui compliquent la donne sont à prendre en considération. En Irak, par exemple, une question essentielle est de savoir qui va contrôler les accès aux ressources d’eau, de gaz et de pétrole, en sachant que la région kurde concentre les principales réserves d’hydrocarbures. Dans une moindre mesure, c’est aussi le cas en Syrie, où la Fédération du Nord défendue par les Forces démocratiques syriennes (FDS – le YPG et ses alliés) contrôle l’essentiel des maigres ressources pétrolières et gazières dont dispose le pays, mais aussi les réserves d’eau potable, à savoir les cours du Tigre et de l’Euphrate et les barrages y afférant, et ce depuis que les FDS ont repris le nord syrien à Daesh.

Or, l’Iran et la Turquie figurent naturellement parmi les puissances régionales qui veulent accéder à ces ressources ; la première s’appuie sur le « clan chiite » pour étendre son empire terrestre, de Téhéran jusqu’à la Méditerranée, tandis qu’Ankara compte sur le « clan sunnite » pour renforcer son emprise sur les richesses du Proche-Orient.

Ces deux puissances, alliées de circonstance, mais opposées stratégiquement et qui nourrissent une défiance historique l’une pour l’autre, se sont toujours accordées pour empêcher les Kurdes d’acquérir un statut d’autonomie. Elles ont collaboré pour empêcher la réalisation de l’indépendance du Kurdistan irakien après le référendum d’autodétermination qui s’est tenu en septembre 2017 ; et elles collaborent dorénavant pour empêcher que les Kurdes se stabilisent à l’intérieur d’une région autonome en Syrie.

Washington a choisi Ankara…

La présence des principales forces internationales dans la région, tels que les États-Unis et leurs alliés européens et la Russie, joue aussi un rôle déterminant dans le déroulement des événements depuis le début du conflit et le jouera certainement jusqu’au dénouement final.
Dans les faits, c’est une micro-troisième guerre mondiale qui est en train de se dérouler sur le territoire syrien (et irakien).

Plusieurs jeux géostratégiques tentent de s’imposer. La Russie cherche à créer, avec l’appui de l’Iran et de la Turquie, une nouvelle alliance régionale économique et militaire qui inclut l’Asie proche pour débiliter le pacte atlantique. Les États-Unis, par leur présence en Syrie et en Irak, essaient d’empêcher cette possible nouvelle alliance.

Les Kurdes sont confrontés à ces enjeux de géants ; aucune des stratégies en présence ne les a pris en considération, et ils ne sont partie prenante d’aucun des clans protagonistes. Aussi, dans ce contexte, les Kurdes entretiennent-ils des contacts avec les États-Unis comme avec la Russie ; ils maintiennent aussi certaines relations avec les milieux proches du gouvernement de Bachar al-Assad.

Toutes les relations qu’entretiennent les uns avec les autres les acteurs de ce théâtre sont basées sur des intérêts bilatéraux ; c’est ainsi que les États-Unis ont misé sur les Kurdes comme leurs principaux alliés stratégiques dans la région dans la guerre qu’ils mènent contre Daesh, tandis que, dans le même temps, Washington perçoit la Turquie comme un allié d’importance majeure, leur seule carte au Moyen-Orient, en tant que partenaire membre de l’OTAN, un avantage que les Américains ne veulent pas perdre.

La Turquie néo-ottomane, ennemie jurée de la Fédération du Nord

La Turquie demeure le principal obstacle à la création d’un Kurdistan autonome : la Turquie essaie par tous les moyens d’empêcher que les Kurdes de Syrie parviennent à réaliser une alternative viable par le biais d’un gouvernement démocratique dans la région, car elle voit cette alternative comme une menace pour l’intégrité de son système hégémonique.

En effet, plus de la moitié du territoire où vivent les Kurdes se trouve à l’intérieur des frontières turques.

Politiquement, les Kurdes de Turquie se sont organisés dans le Parti démocratique des Peuples (HDP), qui constitue la plus grande force d’opposition à la conception néo-ottomane promue par le président Erdogan. Depuis 2015, en réponse à cette opposition, pourtant démocratique, le gouvernement de l’AKP a jeté en prison les co-présidents et les députés élus au parlement du HDP ; il a destitué tous les maires (106 au total) des villes des régions kurdes et les a remplacés par des fonctionnaires désignés par l’État central.

En 2016, le gouvernement turc à ensuite lancé une vaste opération militaire contre la résistance kurde en Turquie même, n’hésitant pas à détruire plusieurs villes de l’est du pays pour venir à bout du PKK.

En 2018, l’AKP, qui a passé une alliance avec l’extrême droite nationaliste, a étendu cette guerre d’occupation jusqu’au-delà des frontières de Turquie.

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Depuis janvier 2018, Ankara a déployé ses troupes dans le nord de la Syrie et attaque les positions du YPG.

Malgré le cessez-le-feu déclaré par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies concernant l’ensemble du territoire syrien, l’offensive turque se poursuit. La conquête de la ville kurde d’Afrin, dont l’armée turque s’est emparée le 18 mars 2018, semble ainsi n’avoir été qu’une étape dans la réalisation d’un objectif plus vaste : l’élimination totale du YPG et des SDF en Syrie.

Certaines milices proches du régime syrien ont toutefois commencé de rejoindre le YPG dans leur combat contre les forces turques. Et il semble en outre que Damas, dans un premier temps satisfaite de voir s’affaiblir la résistance kurde en Syrie, s’inquiète finalement de savoir si la Turquie lui restituera les territoires actuellement envahis.

Se pourrait-il, ainsi, que les Kurdes de Syrie doivent attendre leur salut de la victoire de Bachar al-Assad ?

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Eyyup DORU

Représentant du Parti démocratique des Peuples (parti pro-Kurde) en Europe

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