SYRIE – Les Chrétiens à l’épreuve du présent

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Rencontrer les Chrétiens en Syrie, comme ailleurs au Moyen-Orient, suppose un détour par l’histoire.

La « Grande Syrie » de l’époque romaine est le vrai berceau de l’Église. Le Nouveau Testament nous raconte la conversion, puis le catéchuménat et le baptême de Saul, devenu Paul, à Damas, et la fondation de l’Église d’Antioche (Antakia, aujourd’hui turque, mais historiquement syrienne), où « pour la première fois les disciples reçurent le nom de Chrétiens » (Actes des Apôtres, 11, 26).

Cette Évangélisation première se situe dans la confluence entre une culture syriaque sémite et une culture hellénique, présente depuis Alexandre le Grand, au IVème siècle avant notre ère, et porteuse d’un rêve de communion des cultures européennes…. les armes à la main. Une entreprise poursuivie par les Romains, toujours les armes à la main.

La Syrie antique fut aussi l’un des principaux foyers des controverses christologiques du Vème siècle, qui entraîneront le rejet des décisions du Concile de Chalcédoine de 451 et la révolte contre l’empereur romain de Constantinople.

C’est dans ce contexte que la religion islamique fait son apparition, originaire de la péninsule arabe, foyer d’une autre culture sémitique, qui installera sa première capitale à Damas. La dynastie Omeyyade trouvera un certain modus vivendi avec les Chrétiens, tant sur le plan culturel qu’administratif.

Le déplacement de la capitale de l’Empire arabe à Bagdad, par les califes Abbassides, la conquête des Croisés, les deux vagues d’invasion mongole de 1258 et de 1409 (Tamerlan), la montée en puissance des Mamelouks, l’expansion des Turcs seldjoukides, puis des Ottomans, la pénétration progressive des puissances européennes, concrétisée par les mandats de la Société des Nations après la première guerre mondiale, vont provoquer un certain endormissement du monde syrien, jusqu’au réveil des années 1930, porté par les fondateurs, en partie chrétiens, du parti Baath (le parti du président al-Assad, originellement socialiste et laïc).

Dans la Syrie d’aujourd’hui, deux stratégies sont possibles pour les Chrétiens : soit affirmer leur identité religieuse, minoritaire, et demander la protection de l’Occident, en particulier de la France, soit soutenir l’établissement d’un régime supra-religieux, garant de la pleine citoyenneté pour tous.

Déçus par l’attitude de la France, les Chrétiens ont préféré cette dernière solution, soutenue par une forme d’alliance -très relative- entre les minorités alaouite, druze et kurde. Cet idéal de citoyenneté supra-religieuse, confrontée à la montée de l’Islam politique, est donc l’un des éléments constitutifs de la crise syrienne.

Mais l’idéologie du Baath a été récupérée par le pouvoir militaire et une certaine socialisation de la société, qui a été à l’origine d’une émigration de la bourgeoisie syrienne, fuyant davantage un pouvoir considéré comme autoritaire qu’un Islam fondamentaliste, du moins jusqu’à la crise actuelle.

Si, en chiffre absolu, le nombre de Chrétiens syriens a augmenté depuis cinquante ans (triplé, selon Jean-Pierre Valognes, dans Vie et mort des chrétiens d’Orient), l’évolution numérique ne leur est pas favorable, en raison de l’émigration, mais surtout en raison du dynamisme démographique de la population musulmane, qui a progressivement marginalisé la population chrétienne, tout au long du XXème siècle.

Pendant cette période, quatre événements internationaux ont marqué profondément la Syrie et traumatisé les Chrétiens.

La chute de l’Empire ottoman a été accompagnée du génocide arménien, mais aussi du massacre d’autres communautés chrétiennes qui, fuyant les agresseurs turcs et kurdes, ont trouvé asile au sein de la population arabe syrienne, y compris musulmane.

Le conflit israélo-palestinien et les quatre guerres israélo-arabes, puis l’accueil par la Syrie des réfugiés palestiniens, qui représente un problème, non réglé à ce jour, et qui a contribué à légitimer la nature militaire du régime syrien.

La chute du régime de Saddam Hussein, en Irak, qui s’est traduite par un développement du djihadisme, aux portes de la Syrie, par l’encouragement de la volonté autonomiste des Kurdes et par un afflux de réfugiés irakiens.

Enfin, l’intervention syrienne au Liban, dont l’intention était de mettre fin à la guerre civile en déployant une force d’interposition entre Palestiniens et Chrétiens maronites, mais qui s’est peu à peu muée en projet d’occupation du pays, a contribué à un certain isolement des Chrétiens de Syrie.

Cependant, malgré certaines épreuves, comme la nationalisation des écoles, les Chrétiens ont pu développer leurs œuvres sociales et donc exercer une influence qui va bien au-delà de leur réalité numérique.

Le touriste européen est étonné par la diversité des Églises. Mais il convient d’être prudent : la diversité n’est pas nécessairement synonyme de division ; elle reflète souvent des histoires et des cultures différentes que l’unicité ecclésiale exprimerait mal. On trouve ainsi une Église Grecque orthodoxe, fidèle à Chalcédoine, et sa sœur catholique, l’Église grecque melkite. L’Église syriaque (monophysite) et sa sœur catholique. L’Église arménienne et ses sœurs catholique et protestante. L’Église de l’ancien empire de Perse, les Assyriens ou les Chaldéens catholiques. Les Maronites et les Latins, toujours catholiques. Enfin, des Anglicans et des Protestants sont présents également, mais moins nombreux que dans les pays anciennement placés sous mandat britannique.

Tous, aujourd’hui, vivent une tragédie.

Les chancelleries occidentales avaient prévu une chute rapide du régime du président al-Assad, un rapprochement des positions russe et chinoise, une structuration des rebelles pour constituer une opposition démocratique alternative. Ces trois éléments ne se sont pas vérifiés et on observe une montée djihadiste angoissante et traumatisante pour les Chrétiens, certains groupes de combattants prônant clairement leur disparition.

C’est tout le drame de la guerre civile syrienne, qui se traduit par des déplacements et des exodes massifs, de nature à déstabiliser le Liban.

Les morts, les blessés, les destructions des villes, l’effondrement de l’économie… devraient provoquer une réaction vive de la Communauté internationale, qui a une part de responsabilité dans cette situation. Or, on ne peut que s’étonner de la passivité des Occidentaux devant l’inquiétant phénomène du djihadisme.

Les Chrétiens partent. Ils quittent leur pays. Personne n’est en mesure de savoir ce que sera leur avenir. Un avenir lié à la modernisation de la société syrienne, et à des avancées démocratiques.

Il leur faut beaucoup de foi, pour garder l’espérance.

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Monseigneur Pascal Gollnisch

Directeur général de l'Oeuvre d'Orient et Chapelain de SS le Pape François

4 Comments

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  2. Michel (Liban) on

    Monseigneur,

    Vous parlez pour nous, les Chrétiens de Syrie.

    Nous avons cru dans la révolution quand le Nonce apostolique, Monseigneur Zenari, nous a dit : “c’est révolution populaire”.

    Mais, aujourd’hui, les islamsites nous attaquent. La révolution, c’est du passé.

    Il faut que la France nous aide.

    Amen.

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