ALGÉRIE – Budget et hydrocarbures : tout droit au clash ?

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L’Algérie est constamment sous la menace de devoir recourir au Fonds de régulation des ressources (FRR) pour équilibrer le budget, en cas de baisse des recettes pétrolières [ndlr : le FRR est un fonds souverain créer en 2000, alimenté par les excédents budgétaires des exportations algériennes d’hydrocarbures ; il est estimé, fin 2015, à 32,5 milliards de dollars]. 62% de la fiscalité proviennent en effet directement de la vente des hydrocarbures. Le point de rupture se situerait à 110 dollars le baril.

En soi, le déficit budgétaire peut être facteur de relance, si les dépenses sont dédiées à des investissements productifs. Le développement des infrastructures qui absorbent 70% de la dépense publique (480 milliards de dollars entre 2004 et 2013), dans le cas de l’Algérie relève du rattrapage de retards accumulés. Cela contribue à améliorer l’environnement de l’économie, mais ce n’est pas suffisant. La base productive reste l’entreprise.

Ce qui est inquiétant, c’est la progression faramineuse des dépenses publiques, qui croissent de façon exponentielle à des taux très élevés, entre 7 et 10%, alors que le PIB oscille entre 3 et 5%.

Le budget 2013, accuse un déficit de 40 milliards de dollars pour un PIB de 185 milliards de dollars, soit un taux de 21%.

Les recettes budgétaires sont en recul de 10% et les dépenses baissent de 11% par rapport à 2012, ce qui induit un déficit budgétaire avoisinant les 19% du PIB. Les recettes budgétaires sont de l’ordre de 3.820 milliards de dinars algériens, dont 2.204 en ressources ordinaires et 1.615 au titre de la fiscalité pétrolière.

Le fait de corréler le budget à un niveau du baril à 110 dollars parait imprudent, surtout que la récession qui frappe beaucoup de pays européens et le ralentissement des activités dans les principaux pays consommateurs d’hydrocarbures font chuter le prix de cette ressource. Seuls les évènements géostratégiques conjugués aux injections de liquidités par les banques centrales, ont empêché les cours du baril de s’effondrer, jusqu’en juin 2014.

En cas de dégringolade des recettes pétrolières, le recours au Fonds de régulation des ressources est indispensable pour couvrir les déficits budgétaires. Fin 2011, le solde du FRR, alimenté de l’écart entre la fiscalité pétrolière recouvrée et la fiscalité pétrolière budgétisée, était de 5.381,7 milliards de dinars, contre 4.842,8 milliards de dinars fin 2010. Cette épargne représente 37,4% du PIB, 94,4% des recettes totales de l’État et 93,9% des dépenses publiques.

La revalorisation des recettes totales de 2011 est obtenue grâce aux recettes des hydrocarbures à hauteur de 82% contre 68,7% en 2010. Il est étonnant que les autres secteurs ne contribuent qu’à hauteur de 18%. D’après le rapport de la Banque d’Algérie de 2012 « ces données révèlent que la vulnérabilité des finances publiques aux éventuels chocs extérieurs s’est encore accentuée en 2010 et en 2011 ».

En 2011, les recettes des hydrocarbures représentaient 104,8% des dépenses courantes, contre 109,3% en 2010. Les recettes des hydrocarbures représentaient 27,7% du PIB en 2011 contre 24% en 2010, passant de 2.905 milliards à 3.979 milliards de dinars, soit une hausse de 37%.

Les augmentations de salaires consenties avec rappels sur plusieurs années par les pouvoirs publics à l’endroit de certains fonctionnaires pèseront ainsi plus chers sur le budget de fonctionnement de l’État.

Les dépenses publiques sont passées respectivement de 55 milliards de dollars en 2004, à 100 milliards de dollars en 2005, à 140 milliards de dollars fin 2006 et à 200 milliards de dollars en 2009. On peut avancer les chiffres impressionnants de 500 milliards de dollars, qui furent mobilisés entre 2004 et 2013, et de 900 milliards de dollars, entre 1999 et 2014.

Le modèle de développement algérien est déséquilibré.

Il préconise un mode d’industrialisation centralisé qui a échoué partout. Le retour à l’État omniprésent, ces dernières années, est à double tranchant : il laisse croire qu’il est possible de tout régler au niveau central. J’ai à maintes reprises plaidé pour une économie diversifiée, laissant place à l’initiative privée et aux mécanismes de marché. J’ai souligné le rôle de la formation -et notamment technique- en faveur des jeunes. L’échec des privatisations est un signe annonciateur d’un manque de projet de vision à long terme. Les plans de restructuration des entreprises publiques sont un échec.

En ce qui concerne le programme d’investissements publics (2010-2014), le gouvernement a retenu des engagements financiers de l’ordre de  286 milliards de dollars, mais cela concerne deux volets : le parachèvement des grands projets déjà entamés entre 2004 et 2009, l’équivalent de 130 milliards de dollars (46%), et l’engagement de projets nouveaux pour un montant de 156 milliards de dollars.

Les résultats, comme ce fut le cas des plans précédents, sont de portée limitée en matière de créations de richesses productives et d’emplois. Le pays a déjà consacré 400 milliards de dollars aux infrastructures et à divers équipements publics et parapublics. Un tel montant opéré dans d’autres conditions aurait transformé le tissu économique. Les surcoûts ne s’expliquent pas seulement par l’inefficience des choix des investissements, mais aussi par la corruption.

En outre, ces équipements publics généreront des frais de fonctionnement qui feront exploser le budget de l’État. L’économie algérienne ne décolle pas et est à la traîne dans la plupart des classements mondiaux.

Il y a un problème de management qui s’explique par un système sclérosé, bureaucratique et qui bride l’initiative et l’innovation.

Mais cela n’explique pas tout. L’économie rentière (98% des exportations algériennes sont constituées des hydrocarbures) empêche le développement de secteurs productifs. Certains milieux trouvent leur compte dans les activités commerciales, notamment l’importation. Ils sont à l’origine de la flambée des produits alimentaires de base et des biens de consommation. L’Algérie est passée en deux décennies d’un niveau d’importation de 7 milliards de dollars (en 1990) à 69 milliards de dollars (en 2014).

La politique rentière qui bénéficie à une petite minorité est dangereuse. Elle ne pourra pas tenir sous la pression de cette jeunesse qui manque de tout et qui est plus avisée, avec des aspirations justifiées. La manne pétrolière a rehaussé le niveau général des revenus et surtout des classes moyennes (même si les hausses récurrentes des produits de premières nécessités amenuisent leur pouvoir d’achat), mais de larges secteurs de la société sont marginalisés.

Plusieurs milieux mafieux ont profité de ce marché du luxe pour accroître les achats à l’étranger ou achalander les magasins des beaux quartiers des grandes villes. Le blanchiment d’argent dans les circuits des biens de consommation haut de gamme est une réalité, notamment dans la bijouterie-joaillerie ou les voitures de collection. Les importations de produits de luxe sont symptomatiques des dérives de l’importation tous azimut. Les clients qui consomment ces produits sont en partie des cadres travaillant dans le secteur privé ou dans les filiales algériennes des groupes étrangers qui offrent des salaires supérieurs par rapport au secteur public et à la fonction publique.

Mais le plus gros chiffre d’affaires réalisé dans la distribution de produits importés a pour origine des détenteurs de capitaux opérant dans l’informel, les importateurs licites ou illicites, les bénéficiaires de la rente pétrolière, qu’ils soient des fonctionnaires civils ou militaires, intermédiaires de commerce, professions libérales, personnalités proches du pouvoir, entrepreneurs et artistes à succès.

Il est temps que les pays du sud, ceux qui ont des réserves de change comme l’Algérie, investissent dans l’économie réelle et la production dans d’autres pays du sud. Cela relancerait la croissance mondiale et l’emploi.

J’avais proposé en 2008 un fonds souverain en devises, dont les placements s’orienteraient vers des entreprises stratégiques non pas seulement pour des objectifs financiers mais également stratégiques pour l’économie algérienne. D’autres types de placements seraient à mettre en place. Mais le contexte financier international qui se dégrade plaide pour des investissements productifs en Algérie et dans les pays voisins, dans le cadre d’une communauté économiques maghrébine.

Avec d’autres économistes et experts algériens, nous essayons de pointer les dysfonctionnements de l’économie algérienne, sans esprit partisan, avec une objectivité qui n’a d’égale que notre volonté de garder intacte notre crédibilité. À ceux qui en doutaient, les déclarations d’Ahmed Ouyahia nous confortent dans nos positions. Le premier ministre a reconnu au cours d’une conférence de presse à Alger, le 5 juin 2012, que son gouvernement avait échoué « devant les puissances de l’argent ». Parlant de la politique économique du pays, il ajouta : « L’argent commande en Algérie. Il commence à gouverner et à devenir mafieux. (…) L’échec est collectif. » C’est pourtant son gouvernement qui a annulé la décision visant à imposer le chèque dans les transactions commerciales de plus de 5.000 euros.

Ce fut une concession majeure aux barons de l’économie informelle, qui représente plus de 40% des activités économiques. Le lobby des importateurs serait à l’origine de la flambée des prix de l’huile, du sucre et des produits de base ; et plusieurs sources établissent un lien avec les émeutes de 2011.

Les politiques budgétaires sont tributaires des recettes tirées des exportations d’hydrocarbures, dans un contexte de répartition inégalitaire de la rente pétrolière et gazière. En 2014, la chute de la rente a affecté grandement les recettes fiscales qui ont connu une baisse de 10%, comparativement à 2013.

Les recettes budgétaires sont de l’ordre de 56,08 milliards de dollars (dont 20,63 milliards au titre de la fiscalité pétrolières et 35,4 milliards de recettes non pétrolières). Celles-ci représentent environ 45% du produit intérieur brut, soit 215 milliards de dollars en 2013 selon le FMI. Or, les activités de la Sonatrach [ndlr : la Sonatrach est l’entreprise pétrolière publique algérienne, première compagnie pétrolière d’Afrique] génèrent des effets indirects de plus de 80% sur le secteur du bâtiment, des travaux publics et de l’hydraulique.

Ceci dans un contexte où le solde de la balance des comptes courants de l’Algérie devrait être négatif pour s’établir à -3% du PIB en 2014 et à -2,9% en 2015, contre un solde positif de 0,4% en 2013. Le déficit budgétaire passe à 22,1% du PIB, alors qu’il n’était que de 18,1% en 2014 et 19% en 2013.

Le gouverneur de la Banque d’Algérie a déclaré devant l’Assemblée populaire nationale (APN), le 15 décembre 2014, que, « si les réserves de change peuvent amortir un choc externe dans l’immédiat, elles pourraient s’effriter en cas de baisse prolongée des cours du pétrole ».

La balance des paiements affiche en effet un déficit de 1,32 milliard de dollars au premier semestre 2014, impactant négativement les réserves de change qui passent de 194 milliards de dollars fin 2013 à 193,269 milliards de dollars au premier semestre 2014. Le FMI confirme que « le déficit budgétaire devrait se creuser à plus de 7%, en raison du recul des recettes d’hydrocarbures, de la nette hausse des dépenses d’investissement et de la poursuite des fortes dépenses courantes ». Le FMI souligne aussi que « l’épargne budgétaire devrait baisser pour la deuxième année consécutive ».

Il est difficile de mettre en pratique une loi de finances de 2015, prévoyant 110 milliards de dollars de dépenses dont 60 milliards de dollars dans le cadre du budget de fonctionnement. L’année 2014 a connu un effondrement, jamais enregistré depuis 2008, des principales matières premières, que ce soit l’or noir, le fer, le caoutchouc, le coton, le soja, l’argent, le cuivre…

Si l’Algérie, à l’instar de tous les pays en développement, a besoin de développer ses infrastructures, les prochains budgets devraient consacrer davantage de moyens à l’économie productive. Les investissements publics en infrastructures ont représenté 70 % de la dépense publique entre 2000 et 2013.

Le soutien à l’investissement productif est déclaré axe prioritaire de la politique gouvernementale. Cela devrait prendre la forme d’octroi d’avantages fiscaux au profit des investisseurs industriels par des exonérations durant cinq ans de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS), de l’impôt sur le revenu global (IRG) et de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP). Les taux d’intérêts applicables aux prêts bancaires seront quant à eux bonifiés à 3%.

Le nouveau plan quinquennal (2015-2019) d’un montant global de 262,5 milliards de dollars s’annonce comme étant social et productif.

D’aucuns diront que les pouvoirs publics, en dépensant près de 900 milliards dollars (plusieurs fois le plan Marshall), ces quinze dernières années, n’ont pas pu construire une économie solide et diversifiée. La rente pétrolière n’a pas favorisé l’émergence d’entreprises industrielles et n’a pas permis de faire relever le ratio industrie sur PIB qui s’est même détérioré pour atteindre 5%.

Il convient donc d’engager en priorité une politique de substitution aux importations.

À l’occasion de la loi de finances complémentaire le premier ministre, Abdelmalek Sellal, a confirmé lors d’une conférence à Alger, le 30 mars 2015, que le budget révisé « comprendra des décisions et des mesures visant à assurer une meilleure maîtrise du commerce extérieur à travers la   lutte contre la corruption et la fraude dans le financement des importations et à mettre fin à l’anarchie qui caractérise cette activité ». Les importations, qui ont triplé en dix ans, vont atteindre un montant de 65 milliards de dollars en 2015.

Rappelons que la loi de finances de 2015 a initialement prévu des recettes budgétaires de 46,846 milliards d’euros et des dépenses publiques de 88,581 milliards, soit un déficit budgétaire de 41,733 milliards d’euros, soit de 22,1% du PIB.

La Conférence nationale sur le développement économique et social, le 4 novembre 2014, devait permettre au gouvernement de poser « la problématique de la promotion de l’investissement productif, en particulier dans le secteur industriel ». Sa contribution à la croissance est des plus faibles, en moyenne 5% du PIB ; ce secteur devra réaliser un taux de croissance à deux chiffres pour atteindre l’objectif de croissance de 7% escompté pour 2019.

Si les objectifs sont respectés, la relance économique, à l’horizon 2020, visera ainsi à « réduire la forte dépendance du pays aux hydrocarbures dont les exportations constituent 97% du total des recettes en devises, intensi­fier et diversifi­er l’investissement dans les secteurs productifs, accroître la part de la production nationale sur le marché domestique, assurer les grands équilibres fi­nancier, budgétaire et monétaire et, surtout, créer des emplois ».

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Camille Sari

Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives

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