DEBATE / AFGHANISTAN – Le message des Talibans à Kaboul

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L’attaque de l’hôtel Intercontinental de Kaboul, ce 20 janvier 2018, par les Talibans, est une forme de question : quel message à destination des gouvernements afghan et américain ?

Les Talibans ont attaqué un hôtel luxueux de la périphérie de Kaboul, principalement fréquenté par les étrangers, les diplomates et les officiels afghans, mais qui héberge aussi des réceptions, des mariages, des congrès. Alors que l’attaque a débuté le samedi vers 09h00, les forces de l’ordre ont mis plus de dix-sept heures à reprendre le contrôle des lieux en tuant le dernier membre du commando de six hommes qui a pris d’assaut le bâtiment.

Même dans cette ville habituée aux attentats des Talibans et de Daesh, l’attaque reste spectaculaire, non pas tant en raison de son bilan (au moins une vingtaine morts, dont 11 étrangers – ce qui, relativement, n’est pas pour impressionner en Afghanistan, notamment au regard des récentes attaques menées par Daesh), mais surtout parce que cet hôtel, déjà frappé par les Talibans en juin 2011, était l’un des endroits les mieux sécurisés de la capitale afghane.

Que les responsables des forces de l’ordre n’aient pu le protéger et éviter le renouvellement d’une telle attaque est donc hautement symbolique de l’impuissance du pouvoir de Kaboul à réduire l’insécurité dans le pays, et déjà dans la capitale. À la décharge des forces de sécurité afghanes, il faut préciser que la sécurité de l’hôtel avait été transférée à une compagnie privée…

Au surplus, cette attaque se produit dans un contexte politique marqué par l’affaiblissement du président afghan Ashraf Ghani, dont l’autorité est mise à mal par le refus d’un gouverneur, Atta Noor, de quitter son poste et d’abandonner son autorité sur la province septentrionale de Balkh ; Ashraf Ghani avait sans succès tenté de limoger le réfractaire courant décembre 2017. Sa légitimité contestée, incapable d’assurer la sécurité ne serait-ce que dans la capitale et dans un lieu qui a déjà fait l’objet d’une attaque similaire, le président apparaît donc en mauvaise posture dans la perspective de négociations à venir avec les Talibans.

En un sens, cette attaque pourrait donc bien avoir sur les opinions publiques afghane et occidentales (et d’abord américaine) le même impact que l’intrusion de combattants viêt-congs dans l’ambassade américaine à Saigon (Hô-Chi-Minh-Ville) en janvier 1968, pendant l’offensive du Têt : même s’ils avaient partout été repoussés, les coups de la guérilla communiste avaient mis en lumière l’impasse qu’était devenue la guerre du Vietnam pour le gouvernement américain. Il s’agit donc d’une réponse de la rébellion à la décision de Donald Trump de renforcer de quelques milliers d’hommes le contingent américain en Afghanistan pour écarter le risque d’un effondrement des autorités constitutionnelles et inciter les Talibans à négocier leur ralliement au « système ».

Mais cette attaque est aussi, paradoxalement, un signe de faiblesse des Talibans, car elle intervient à la suite de plusieurs échecs de la guérilla islamiste à « tenir » des villes qu’elle avait prises aux forces gouvernementales. Le principal de ces échecs avait suivi la prise de Kunduz, en septembre 2015 : avec l’aide des forces spéciales américaines et de l’aviation US, les troupes gouvernementales ont immédiatement repris la ville, en quelques jours. Et aussi bien en 2015 qu’en 2016, les Talibans n’ont pu s’emparer d’aucune capitale provinciale, malgré des tentatives répétées.

Comme le résume la revue Foreign Affairs, les Talibans sont donc « trop forts pour être vaincus, mais trop faibles pour gagner la guerre ». Et si des attentats peuvent chasser d’un pays des forces étrangères, ils ne gagnent pas une guerre contre un pouvoir national qui, lui, ne peut que résister sur place.

Cette attaque se distingue cependant de celles attribuées à Daesh, qui visent à tuer le maximum de monde, civils afghans comme militaires. Si le porte-parole des Talibans a revendiqué l’attaque, c’est en précisant en même temps qu’elle était prévue pour la nuit de jeudi, mais qu’elle a été repoussée car un mariage se déroulait dans l’hôtel et qu’il s’agissait d’éviter des pertes chez les civils – les étrangers n’étant de toute évidence pas considérés comme des « civils »…

Cette façon de procéder et de revendiquer l’attaque est évidemment destinée à ne pas braquer l’opinion publique afghane, à un moment où des négociations sont censées se dérouler entre le gouvernement et le mouvement taliban.

Là où les attaques de Daesh ne visent qu’à « faire mal », celles des Talibans sont donc un instrument dans une négociation qui doit arrêter les conditions de leur ralliement au régime et d’un partage du pouvoir. Le but est essentiellement, pour les Talibans, en rappelant leur pouvoir de nuisance, de « faire monter les enchères ». Gulbuddin Hekmatyar, le chef moudjahidin, ne faisait pas autre chose lorsqu’il négociait son propre ralliement avec des envoyés du président afghan.

Spectaculaire, réalisé dans un lieu qui garantissait qu’il serait abondamment filmé et diffusé par les agences d’information étrangères – ce qui n’est pas le cas des attaques bien plus meurtrières menées par la guérilla dans les campagnes -, cet attentat était donc d’abord destiné à transmettre un message aux gouvernements afghan et américain et à leurs opinions publiques : « Vous ne pouvez pas nous vaincre, nous pouvons attaquer n’importe quand n’importe où – même dans les lieux les mieux sécurisés -, mais nous ne sommes pas des monstres aveugles, contrairement à Daesh, et le gouvernement peut donc discuter avec nous ».

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Bruno SENTENAC

Juriste - Conseiller du Parlement afghan en 2009-2010 (France)

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