DEBATE / QATAR – Mais fermez donc Al-Jazeera !

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Tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin au Monde arabe connaissent la célèbre chaîne d’information en continu Al-Jazeera, l’équivalent arabe du CNN états-unien, du RT russe ou du plus modeste Euronews…

Une chaîne d’information fondée en 1996 que l’on avait dite totalement indépendante et libre de parole, et qui lance parfois de fameux pavés dans la marre, depuis Doha au Qatar où sont installés ses locaux.

Totalisant quotidiennement près de 40 millions de téléspectateurs, Al-Jazeera s’est ainsi imposée comme la voix de Monde arabe, grâce à une équipe qui n’est pas seulement composée de journalistes qatariens, mais rassemble des professionnels originaires de tous les pays concernés. La chaîne a donné la parole aux acteurs maudits de la région : aux chefs du Hezbollah libanais, du Hamas, aux leaders baathistes durant l’invasion de l’Irak soutenue par la plupart des gouvernements arabes et notamment par les Saoudiens, alliés des États-Unis, et même aux Talibans alors que Washington bombardait l’Afghanistan… Soulevant ainsi un immense enthousiasme au sein des populations arabes que le point de vue occidental relayé par les chaînes de télévision nationales arabes frustrait régulièrement, notamment à propos du conflit israélo-palestinien.

Au point que l’armée américaine prendra à plusieurs reprises les journalistes d’al-Jazeera pour cible.

C’est pourquoi, dans le contexte de la crise qui oppose aujourd’hui le Qatar, désormais sous blocus économique, et l’Arabie saoudite appuyée par ses alliés régionaux, Ryad exige qu’Al-Jazeera soit réduite au silence, une condition sine qua non parmi treize injonctions formulées et auxquelles le Qatar doit obtempérer avant que le blocus soit levé.

La décision appartient de plein droit à l’émir du Qatar… qui est le fils du fondateur et l’actuel propriétaire de la chaîne.

Indépendance, disait-on ?

Pas vraiment ; et moins encore si l’on s’en réfère à la manière dont Al-Jazeera a couvert les événements du « Printemps arabe », favorisant les insurrections islamistes contre les régimes laïques, et dont elle a traité l’information. Une manière parfois… surprenante.

Quelques exemples édifiants suffisent à faire pour le moins douter de l’impartialité et de la déontologie de sa rédaction…

Ainsi en fut-il de l’annonce tonitruante, en novembre 2011, de la victoire des rebelles syriens à Damas : selon Al-Jazeera, ces derniers avaient réussi à s’emparer du centre de la capitale et, fait d’armes exceptionnel, ils avaient tiré trois roquettes sur le siège du parti Baath, le parti au pouvoir, détruisant l’un des bâtiments les mieux protégés par le régime de Bashar al-Assad. C’était certain : après ce coup porté au cœur de la dictature, Bashar pouvait faire ses valises ; et c’est bien ce qu’ont conclu tous en chœur les médias occidentaux, qui ont relayé dans la minute « l’information » et les images d’un bâtiment en flammes diffusées par la chaîne qatarienne. Oui, mais, voilà… Il s’agissait d’un énorme « fake », destiné à provoquer un mouvement insurrectionnel au sein de la population de la capitale syrienne. Le siège du Baath n’a jamais été incendié et est intact aujourd’hui encore.

À peine plus incroyables, les images diffusées par Al-Jazeera d’une manifestation réclamant le départ de Mouammar Kadhafi, à Tripoli, sur la place Verte, le 21 août 2011. Plusieurs détails du « décor » ne collent pas avec la réalité ; et pour cause : le recoin de la place Verte que montre la télévision du Qatar, où des « manifestants » se pressent, est en fait une reconstitution, tout est filmé en studio, et à des milliers de kilomètres de Tripoli.

La direction d’al-Jazeera a répliqué dans une vidéo à destination de ses ennemis saoudiens et consorts : « Le journalisme n’est pas un crime ! »

Reste à voir…

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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