DEBATE / TUNISIE – Quand démocratisation rime avec islamisation

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Un mois de prison pour « outrage public à la pudeur ».

C’est la peine dont ont écopé jeudi dernier quatre Tunisiens dont le délit est… d’avoir mangé dans un jardin public pendant le mois de jeûne du Ramadan.

Le procureur général du tribunal de la ville de Bizerte, Mongi Boularès, a en effet considéré que cette action pouvait être assimilée à un « acte de provocation ».

Les quatre hommes auraient provoqué la fureur des habitants de la ville en se sustentant et fumant en public et la situation aurait nécessité l’intervention des forces de l’ordre.

Cette condamnation intervient alors même que des voix s’élèvent dans la société civile pour que les autorités respectent leur devoir constitutionnel de garantir la liberté de conscience.

Mais c’est bel et bien sur une interprétation de la nouvelle constitution de la Tunisie démocratique, adoptée en 2014 dans le contexte du « Printemps arabe », que se base le verdict des autorités judiciaires de Bizerte. La constitution elle-même est faite au nom de Dieu, comme le précise l’en-tête du préambule ; l’article premier indique que l’Islam est la religion du pays, et que ce fait ne peut être soumis à révision ; et, surtout, l’article 6 donne à l’État le rôle de protecteur de la religion.

Si les deux premiers principes existaient déjà au temps de la dictature et dans les constitutions précédentes (en fait assez communs des constitutions des pays arabo-musulmans), en revanche l’article 6 est une nouveauté, issu des débats de l’Assemblée constituante révolutionnaire et adopté 2014.

Étant entendu qu’aucune loi n’interdit de manger ou de boire en public pendant le Ramadan, il apparaît donc que les autorités religieuses aient favorisé une interprétation délibérément religieuse du texte, entraînant une condamnation lourde et la privation de liberté.

L’appellation « État laïc », la primauté du droit et la liberté de conscience pourtant assurés par la constitution passent désormais au second plan.

Cette situation aurait-elle pu se produire sous Ben Ali, avant que le peuple tunisien ne décide majoritairement de porter le parti islamique Ennahdha au pouvoir, et de le reconduire en 2016, fût-ce en coalition avec son rival séculier Nidaa Tounes ?

Assisterait-on à l’un de ces effets pervers dont la démocratie a le secret, et qui mènent à la précarisation des minorités ?

Ou bien, plus simplement, la Tunisie, présentée depuis toujours comme l’un des État arabes les plus émancipés, serait-elle en réalité moins insensible que « prévu » au fondamentalisme islamique ?

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Simon-Marin GHYS

Historian and Political Scientist - Managing Editor for French

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