OPINION / SYRIE (Ghouta) – Les trois péchés des Églises d’Orient

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Depuis le début du massacre à la Ghouta orientale, je me berce du silence ecclésial, du silence patriarcal, du silence épiscopal, du silence clérical oriental… On pourrait faire un poème bien rythmé et rimé avec ce retour de sons.

Et je devine les raisons de ce silence, qui cache un cri de terreur communautaire, terreur intérieure, terreur sourde aux cris de terreur des habitants de la Ghouta orientale.

Terreur d’une minorité chrétienne qui se croit menacée par la majorité sunnite et qui trouve protection et refuge dans l’antre du pouvoir alaouite persécuteur et diviseur, non seulement des majorités, mais également des minorités. Preuve en est, notre expérience, nous chrétiens du Liban, pourtant minoritaires, des agissements sanglants de cette « minorité alaouite » durant la guerre civile de 1975 à 1990, suivie de la fausse paix de 1990 à ce jour.

Terreur ecclésiale qui n’est pas consécutive au terrorisme de Daech puisqu’elle s’est manifestée dès le début du soulèvement de la « majorité sunnite » en Syrie, en mars 2011, qui réclamait, après une longue oppression, une juste représentativité, l’équité, la dignité et la liberté.

En ce temps-là, la révolution syrienne, à caractère inclusif, civil et pacifique, ne s’était pas radicalisée suite au lâchage international et au blanc-seing accordé à l’oppresseur pour poursuivre son saignement. Or le pacte d’alliance entre les deux minorités, chrétienne et alaouite, date d’avant, depuis l’accession de la minorité alaouite au pouvoir. En effet, pour préserver ses acquis, assurer sa protection et augmenter ses privilèges, le clergé syrien s’est accommodé de la dictature alaouite, nouant avec elle une « alliance des minorités » qui consiste en un « donnant, donnant » aux termes duquel l’institution ecclésiale appuie le régime totalitaire alaouite en échange de sa protection, d’une liberté de culte et de privilèges sociaux, économiques et administratifs accordés aux chrétiens de Syrie.

Par cet accommodement (dé)raisonnable avec le pouvoir dictatorial alaouite, les représentants spirituels de la communauté chrétienne de Syrie ont commis trois péchés…

Le péché « d’ingratitude » envers la majorité sunnite qui, par son esprit de convivialité et de tolérance, et malgré des « accidents » historiques de parcours, a permis à la communauté chrétienne de s’établir, de se développer et de prospérer au cours des siècles, sur cette terre, sans quoi on ne pourrait parler aujourd’hui de chrétiens d’Orient, faute de chrétiens en Orient, ni contempler les monastères et les églises multiséculaires, inscrits au patrimoine de l’UNESCO. La famille Assad n’était pas là pour protéger cette minorité et préserver sa liberté et ses lieux de culte. Pour en venir à l’histoire récente, avant la prise de pouvoir alaouite, les chrétiens de Syrie n’étaient pas moins libres et privilégiés.

Le péché de « trahison » pour s’être désolidarisés de la révolution syrienne et de ses causes justes ; et pire, de s’être associés aux crimes et aux sévices de l’oppresseur par un éloquent silence, voire même une complicité, ce qui est susceptible de laisser un ressentiment sunnite durable dont la minorité chrétienne pourrait faire les frais à l’avenir, car toute dynastie a une fin, et pas nécessairement heureuse.

Le péché contre le Saint-Esprit, pour avoir contredit les préceptes évangéliques portant sur l’amour du prochain, le secours de « l’étranger » de l’autre religion (à travers la parabole du Bon Samaritain), l’obligation de dénoncer les injustices, les abus et les crimes, d’où qu’ils proviennent, à la manière de Jean le Baptiste envers Hérode, de Jésus envers les scribes et les Pharisiens perçus par lui comme une « engeance de vipères », des apôtres, des évangélisateurs, des pères et docteurs de l’Église et des saints qui n’ont pas hésité à « appeler un chat un chat » (et à plus forte raison s’il s’agit d’un monstre) jusqu’à encourir le martyre. Et l’hagiographie et le martyrologe chrétiens sont là pour le démontrer. Ils n’ont eu peur, ni pour eux-mêmes, ni pour leur communauté, étant donné que le « Royaume » du chrétien véritable « n’est pas de ce monde ». Et celui-ci se doit, par conséquent, de proclamer la Parole, de dire les quatre vérités, dussent-elles déplaire et attirer le courroux de l’entendeur, bon ou mauvais. Le chrétien se doit de porter secours à l’étranger persécuté, ou du moins de dénoncer la persécution dont il est l’objet et d’interpeller le persécuteur. Il est tenu de ne pas laisser faire le crime, de ne pas se taire, pour se sauver soi-même, de ne pas se laver les mains à la manière de Ponce Pilate, dans une bassine remplie de sang innocent.

Ceci sans oublier le péché complémentaire d’avoir inoculé leur attitude à la communauté des fidèles et de les avoir dévoyés et endurcis.

Sur ce qui précède, le silence clérical, qui résonne du haut au bas de la hiérarchie, de l’Occident à l’Orient, détonne gravement, non seulement avec les bombardements de la Ghouta orientale et d’autres régions du Moyen-Orient, mais avec l’éthique chrétienne, les enseignements évangéliques et la simple conscience morale.

Les autorités ecclésiales de l’Orient sont appelées à sortir courageusement de leur silence, ou de leurs timides et vagues condamnations, de ne pas se contenter de « prier pour la paix en Syrie » (et ailleurs), bien que cet appel soit bienvenu, mais de « prier » nommément le tyran d’arrêter ses crimes contre l’humanité qui sont aussi, du point de vue évangélique, des crimes contre la chrétienté.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

3 Comments

  1. Georges Souply on

    Les sunnites (et autres musulmans) ont permis aux chrétiens de s’installer en “terre d’islam” ? Eclairez ma lanterne s’il vous plait, on m’a toujours dit que les communautés chrétiennes dans ces régions y vivaient depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne

  2. Georges Souply on

    Pour le reste, Il est vrai qu’il y a contradiction entre la doctrine chrétienne et la “complicité” avec le pouvoir, cette complicité risque de se retourner un jour contre les chrétiens, leur situation est bien complexe et je crains que l’angélisme ne conduise nulle part. Je ne vois pas de solution évidente.

  3. Cet article du Figaro permet de mieux comprendre contre qui combat l”armée syrienne :”Malgré la résolution votée samedi dernier à l”unanimité par le conseil de sécurité de l”ONU, les combats continuent dans la Ghouta orientale, cette zone à l”est de Damas. Appuyées dans les airs par l”aviation russe, l”armée syrienne et les milices chiites parrainées par l”Iran avancent face aux rebelles.

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