OPINION / SYRIE – Nous avons perdu…

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Avec chaque massacre (ou presque…), et maintenant celui de la Ghouta orientale en Syrie, la même interrogation lancinante revient dans la presse internationale devant l’inaction du monde, sous forme de grands titres et de manchettes : avons-nous perdu notre humanité, et avec elle notre conscience humaine ?

La réponse définitive est « oui », nous l’avons perdue, notre humanité.

Fini, cessons de nous casser la tête et de nous poser cette question récurrente et redondante, surtout depuis le début des massacres en Syrie, et en série. Cela fait sept ans que nous lisons les mêmes titres d’indignation dans la presse, accompagnés des mêmes photos d’enfants mutilés. Ces photos, les mêmes, avec de nouveaux visages d’ange, publiées quasi quotidiennement dans les journaux et les magazines, auraient dû mobiliser depuis longtemps les capitales et métropoles du monde entier, surtout du monde prétendument libre. Cette mobilisation aurait eu lieu au siècle passé, lorsqu’il y avait encore un peu d’humanité… avant son extinction au siècle présent.

Le monde, soi-disant libre, est occupé à ses plaisirs, à assurer son confort, à planifier son week-end… Il n’hésiterait pas à composer le numéro des urgences, pour tapage nocturne ; mais le tapage là-bas, dans la Ghouta orientale, où l’on tape à coups de missiles et de barils d’explosifs sur des femmes et des enfants, où on assiège et on affame une population, ça ne le regarde pas puisque ça ne le dérange pas.

C’est l’affaire des gouvernants, se dit-il, et ce petit monde a peut-être raison, sauf que ces gouvernants, c’est lui qui les a désignés, démocratiquement, pour ruiner le monde, et il devrait se sentir un peu responsable.

Mais bon… On n’a pas le droit de renvoyer tout ce beau monde à sa conscience morale, ni de lui demander de sortir de son nombrilisme, de son microcosme, ni de lui rappeler que nous vivons tous sur une même planète, que nous faisons partie d’une même Humanité, que nous avons connu un même début prometteur, que nous sommes voués à une même fin, une même sépulture.

Il y a humains et humains, aux yeux du monde. Ceux de « notre » monde, et ceux de « l’autre » monde, ceux de la Ghouta orientale, de Khan Cheikhoun, etc.

Nous avons aussi perdu ce qu’on appelle le « quatrième pouvoir » ; la presse, qui n’a plus aucune prise sur les dirigeants du monde, ni aucun impact sur une opinion publique saturée, blindée, gavée d’images et de vidéos. Force est de constater que ce « quatrième pouvoir » n’a plus son mot à dire, qu’il est devenu volatil. Par ailleurs envahi par ceux qui, sous la même étiquette de « journaliste », sont à la solde du Mal et s’activent dans la désinformation et la déformation de la réalité.

Les « pouvoirs supérieurs », politiques, lui font le pied de nez, et continuent à diriger (ou digérer) le monde à leur guise. Il est révolu, le temps du Watergate, qui faisait la chute des mauvais dirigeants. Les journalistes feraient mieux, au lieu de gratter le papier, avec lequel leurs dirigeants se torchent (respectueusement), de battre le pavé, et d’appeler leurs lecteurs à les rejoindre. Ils devraient élargir leur vocation pour embrasser le rôle d’activistes. Déchirer leurs papiers qui ne servent plus à rien, sortir de leurs bureaux, descendre dans la rue, ameuter le voisinage. Le monde brûle. Il y a le feu à la grande baraque. On ne peut pas continuer à pianoter sur le clavier et se contenter de condamner. Il y a une Goule, là-bas, en Syrie, qui dévore son peuple. Cette Goule pourrait faire des petits qui passeront de « l’autre » monde à leur monde.

Nous avons perdu la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, puisqu’elle n’a plus rien d’universel, puisqu’elle a perdu son caractère inclusif, dans l’application du droit international ; puisque les inégalités, les injustices, les discriminations sont plus que jamais de mise ; puisqu’une nationalité, en l’occurrence syrienne (mais aussi palestinienne, yéménite, ou irakienne…), n’a pas le même poids qu’une autre, une nation n’égale pas l’autre, aux yeux de « Nations » qui ne sont « Unies » que dans l’impuissance, la défaillance, la veulerie, l’intérêt géostratégique…

Puisque les crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont impunis. Puisque cinq pays, au nom d’on ne sait quel droit et quelle égalité, siègent en permanence au Conseil de Sécurité, et possèdent le droit exclusif de veto, selon une disposition obsolète datant de la seconde guerre mondiale, faisant de ces pays membres permanents des nations supérieures à celles des pays non permanents et non siégeant ; en bref des pays de première zone d’une part, et des pays de seconde et troisième zone de l’autre. Et encore, si ce « Conseil de Sécurité » était celui des « sages » ; s’il avait au moins réussi à assurer un minimum de sécurité à la planète, plutôt que les guerres et les désordres qui ont suivi, jusqu’à arriver à la chienlit d’aujourd’hui, qui sévit ici et là, et surtout là-bas, en Syrie, là où le temps s’arrête, et avec lui l’Humanité.

Nous avons perdu notre spiritualité et, surtout, bon nombre de ses représentants : ces religieux de tout acabit, tellement silencieux devant les atrocités commises en Syrie et ailleurs. En effet, le « silence religieux » est encore plus assourdissant que les bombes qui pleuvent sur la Ghouta. Ce n’est pas le silence de la prière, du recueillement, des oraisons, de l’Adoration eucharistique, mais celui de la lâcheté. Et le plus désolant, c’est le silence chrétien, oriental, celui des Églises d’Orient qui ont perdu le nord, qui ont perdu de vue l’Étoile de Bethleem, la naissance de Celui qui a envoyé ses disciples aux quatre coins du monde, et non dans le petit coin de son propre monde communautaire ; qui ont perdu de vue la parabole du Bon Samaritain, celle du secours de l’étranger qui n’est pas de la même religion. Ces religieux, silencieux, se disant apôtres du Christ, qui se plaisent à lire et commenter le « massacre des innocents » par Hérode, et qui ne disent plus rien lorsque d’autres innocents sont massacrés par l’Hérode de notre temps.

Ces patriarches d’Antioche et de tout l’Orient, qui nous ont fait passer de la Nouvelle Alliance à « l’Alliance des minorités », l’alliance avec le nouvel  Hérode, le massacreur d’innocents, parce qu’il leur offre ce havre de protection, cet abri pour leur institution cléricale, la garantie de préserver leurs privilèges patriarcaux et épiscopaux, d’assurer la sécurité de leurs paroisses, en contrepartie de leur complaisance, de leur complicité, de leur alliance, nouvelle, et espérons pas éternelle.

Eh oui ! Nous sommes bien loin de Jean le Baptiste qui admonestait vertement l’Hérode de son temps. Et se profile « l’engeance de vipères » qui faisait horreur au Christ.

Oui, l’humanité et la spiritualité, nous les avons perdues, sur le plan collectif et institutionnel.

Il ne nous en reste qu’un peu, sur le plan individuel. Profitons-en.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

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