URGENT / LIBAN – Hariri à Riyad : séquestration ou mise en scène politique ?

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Depuis l’annonce surprise de sa démission, le 4 novembre, les rumeurs sur la possible assignation à résidence ou arrestation de Saad Hariri à Riyad vont bon train, au Liban et de par le monde, rumeurs alimentées, et par le mutisme de l’intéressé depuis la tenue de sa conférence de presse spectaculaire, et par la coïncidence de sa démission avec le coup de filet anti-corruption qui a rempli la chaloupe saoudienne des plus gros poissons, tels l’émir El-Walid Ben Talal et une dizaine d’autres, ainsi que des ministres et des hommes d’affaires, dont certains avaient de bons rapports avec le premier ministre libanais démissionnaire.

Depuis ce coup de théâtre, les différentes sphères politique, médiatique et cybernétique s’interrogent sur les raisons, les motivations, les circonstances et les dessous de la démission de Saad Hariri. La principale question étant de savoir si son geste était délibéré ou non, émanant de la pure volonté de l’intéressé ou infléchi par la volonté du « parrain » saoudien.

Force est de constater que cette démission choc (et choquante) n’a pas respecté les modalités usuelles d’un désistement normal et « sain ». En effet, le tablier ainsi rendu est entaché de vices de forme, d’une procédure « hors norme », d’éléments qui s’écartent du « bon usage » éthique et diplomatique, lesquels viennent apporter de l’eau au moulin des détracteurs de Saad Hariri et de l’Arabie Saoudite, qui accusent le royaume wahhabite d’avoir séquestré le premier ministre libanais.

Démission tellement « bizarre » qu’elle a mis la puce à l’oreille de ses proches collaborateurs, qui réclament ouvertement et solennellement son retour à Beyrouth.

Les taches observées sur le tablier rendu, qui viennent à la fois souiller la dignité nationale libanaise et la dignité individuelle de Saad Hariri, en plus de justifier les soupçons et les rumeurs, sont nombreuses…

L’endroit de la démission

Annoncée depuis la capitale saoudienne plutôt que la capitale libanaise, elle donne en effet l’impression d’avoir été, sinon dictée, du moins fortement recommandée par « décret royal ».

La teneur de la déclaration

Le ton virulent, voire incendiaire, adopté par Hariri à l’encontre de l’Iran et du Hezbollah détonne fortement avec son ton conciliant jusqu’à la veille de sa démission, sa ferme volonté, depuis son entrée en fonction, de « ménager la chèvre et le chou », d’éviter les questions conflictuelles par souci consensuel, de préserver l’esprit de compromis qui a inauguré le nouveau règne et donné naissance au Cabinet dit « d’union nationale », et ceci pour le bon fonctionnement (cahin-caha) des institutions, la bonne gestion des affaires du pays et le bien de la nation. Sa « nervosité », à l’annonce de sa démission, a brusquement rompu avec son calme olympien, son pragmatisme et ses tours d’habile équilibriste destinés justement à préserver les fragiles équilibres internes. La dernière « gesticulation » du premier ministre démissionnaire était contraire à son « doigté » face au doigt levé de son adversaire, dût-il avaler des couleuvres (et il en a avalé). Aucun signe avant-coureur n’augurait une telle sortie fracassante, sauf cette confidence faite à un ministre allié de son Cabinet qui voulait, excédé, jeter l’éponge, à qui il aurait dit : « Patience, nous allons le faire ensemble. »

La décision

La démission surprise a bien plus surpris ses partenaires, collaborateurs, même les plus proches, ses alliés politiques, les membres du bureau politique de son parti, ceux de son bloc parlementaire… que le public libanais. Il n’avait prévenu personne de sa démarche, même pas, selon toute apparence, ses conseillers politiques, afin d’entendre leur avis, de se faire entendre ou non raison. Est-ce « normal » pour un président de Conseil des ministres, chef de parti, chef de bloc parlementaire, de faire un « saut » pareil sans crier gare, sans demander conseil, sans chercher à savoir si un tel saut le plongera ou non, ainsi que son camp et son pays, dans l’inconnu ? Même son principal partenaire au gouvernement, Samir Geagea, chef des Forces libanaises, a avoué dans une entrevue avoir été bien plus surpris du timing de la démission que de ses motifs.

Le mutisme

Ni le premier ministre démissionnaire, ni les autorités saoudiennes, n’ont jugé bon de dissiper les rumeurs d’une démission forcée et d’une probable séquestration de l’intéressé par un démenti officiel afin de mettre le holà à ce « bourdonnement » politico-médiatique qui va crescendo à mesure que se prolonge le silence radio. Or, il n’en fut rien, jusqu’à l’heure de publier cet article. Normalement, la personne visée par des rumeurs infondées prend soin de les démentir elle-même, publiquement. Il ne suffit pas de poster un tweet de sa photo aux côtés d’un ambassadeur saoudien, d’être reçu par le roi Salmane ou de faire un saut aller-retour à Abu Dhabi pour mettre un terme aux racontars, apaiser les réseaux sociaux et rassurer ses partisans. La liberté de mouvement ou de déplacement n’est pas un signe de « liberté », tout court. Il aurait pu braver les soi-disant dangers qui le guettent et répondre aux appels réclamant son retour, émanant même de son propre camp, par un crochet au Liban, à son retour d’Abu Dhabi, histoire de faire taire les cancans et d’officialiser sa démission par une démarche conforme au protocole, ce qui nous conduit au point suivant…

Le non-respect de la démarche constitutionnelle

Cette démission tonitruante, annoncée sur les ondes saoudiennes (et sur leur fréquence) n’a été ni précédée, ni suivie de la démarche constitutionnelle et protocolaire d’usage par une lettre formelle de démission remise au président de la République… qui attend toujours la procédure officielle et la visite protocolaire du démissionnaire afin de s’assurer de la « souveraineté » et de l’irrévocabilité de sa décision, prendre connaissance de ses motifs et agir en conséquence par le lancement des consultations parlementaires en vue de désigner un successeur… qui pourrait être Hariri lui-même ( !).

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Au vu de ce qui précède, on en vient à se demander quel intérêt aurait le royaume wahhabite, déjà pointé pour des violations des droits humains, de tordre le bras et de tirer l’oreille d’un dirigeant libanais allié, du calibre de Saad Hariri, « zaïm » des sunnites libanais, héritier politique de Rafic Hariri Le Grand, d’une façon aussi visible, flagrante, presque humiliante, d’offrir l’image d’un régime impulsif et répressif, et par conséquent de faire le jeu de ses ennemis, de décevoir ses amis et alliés politiques libanais, et surtout de mécontenter la rue sunnite libanaise ?

D’autant plus que le « tuteur » saoudien possède, vis-à-vis de son « pupille » libanais, les moyens de pression qui lui permettent de se faire obéir à distance, discrètement, au doigt et à l’œil, et sans s’exposer maladroitement de la sorte.

À moins que…

À moins qu’il ne s’agisse d’une mise en scène ayant pour réalisateur… Saad Hariri lui-même, de concert ou non avec les autorités saoudiennes, dans le but de renflouer sa popularité en baisse chez les sunnites du Liban, suite à ses nombreuses compromissions, et à la lumière alarmante de sondages qui ne le donneraient pas gagnant sur toute la ligne aux prochaines législatives, surtout avec la nouvelle loi électorale qui se fonde sur la proportionnelle.

En effet, quoi de mieux que ce coup  monté, ce « rapt » pour drainer toute cette charge de sympathie et d’affection à son égard, que l’on observe actuellement, même de la part de ses ennemis, pour redevenir le point de mire national, régional, voire international, la coqueluche des médias, le sujet de la République, l’objet de toutes les attentions, le héros de la souveraineté libanaise, le fer de lance de la Résistance nationale à la « Résistance islamique » du Hezbollah ?

Quoi de mieux que ces « rumeurs » pour se faire réhabiliter, pour booster sa « seigneurie » sunnite et faire ombrage à son rival, ancien allié et ex-ministre de la justice Achraf Rifi, étoile montante du nord qui lui avait déjà administré une raclée aux municipales de la ville de Tripoli, seconde capitale du pays du Cèdre ?

En effet, ces rumeurs qui enflent ne font que souffler du bon vent dans la voile de son leadership et de sa popularité.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

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