URGENT / MAROC – Chrétiens et Chiites, des «virus» à éradiquer ?

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Il ne l’a pas dit, mais il l’a dit quand même.

Ahmed Toufiq, ministre des Affaires islamiques, a-t-il récemment déclaré devant des membres du parlement que les Marocains chrétiens et chiites sont « des virus qui menacent la nation », comme l’ont affirmé plusieurs médias et agences de presse ?

Selon le ministère, qui a immédiatement démenti, le ministre « n’a jamais dit cela ».

Ce n’est pas faux… Mais pas tout à fait vrai non plus.

Très exactement, le ministre, comme il l’a lui-même ensuite expliqué pour sa défense, s’est prêté à l’exercice de la « métaphore », une « métaphore médicale » : « Un corps sain résiste mieux et ce qui immunise les Marocains, c’est l’Islam sunnite malékite. Les pratiques individuelles, la foi des individus, je ne les ai jamais traitées de virus et elles ne nous dérangent pas. Seule l’existence éventuelle d’agenda politique, de visées politiques, est dangereuse. Mais le sunnisme malékite nous immunise. »

Ainsi, le mot « virus » n’aurait pas été prononcé… Néanmoins, la nation marocaine est un corps, que le Sunnisme immunise contre le Chiisme et le Christianisme… Chacun jugera des intentions d’Ahmed Toufiq, qui avait aussi rassuré les parlementaires en précisant que l’État surveillait de près les Chiites et les Chrétiens, leurs attitudes politiques, et qu’il savait tout d’eux : leurs pratiques, leur nombre et les lieux où ils résident.  Faut-il conclure de la réponse du ministre que l’État marocain se méfie des Chiites et des Chrétiens, lesquels seraient dès lors ciblés par un dispositif policier et sécuritaire particulier ?

À cette heure, quoi qu’il en soit, le ministre des Affaires islamiques est toujours à son poste ; aucune sanction n’a été prise à son encontre, ni par le chef du gouvernement, ni par le roi Mohammed VI, le « Commandeur des Croyants », qui, par le fait, avalise la politique révélée au grand jour.

On rappellera par ailleurs que, au Maroc, le Sunnisme a rang de religion d’État et que les minorités religieuses n’ont pas le doit de pratiquer publiquement leur culte (même si la réforme de la constitution, en 2011, a introduit une timide « liberté d’exercice du culte » pour les « Gens du Livre », à savoir les Juifs et les Chrétiens)… Que les prénoms chrétiens sont proscrits de l’état civil… Qu’un Musulman sunnite ne peut pas renoncer à sa religion et se convertir à une autre, sous peine d’être poursuivi pour apostasie.

Mais, ce qui semble avoir échappé aux commentateurs même les plus critiques, au-delà des propos inquiétants tenus par le ministre, c’est le contexte dans lequel ces propos ont été tenus…

Le ministre, en effet, ne s’est pas ainsi exprimé  à l’occasion d’une banale séance de questions devant le parlement, mais dans le cadre très précis d’une commission parlementaire chargée d’examiner « le danger de la propagation du Chiisme et du prosélytisme chrétien pour le Maroc ».

Alors que les communautés chrétiennes du Moyen-Orient, sans cesse prises en otage par les dictatures, s’évaporent au fil des guerres civiles et des insurrections sunnites, les Chrétiens du Maghreb seraient-il à leur tour en danger ?

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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