EDITORIAL – Version française

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Le Yalta du Moyen-Orient a volé en éclats…

Le réveil de la guerre froide entre Moscou et Washington (suivie par ses vassaux atlantistes), qui a mis l’Ukraine à feu et à sang et crispe les discours autour de la lutte contre l’État islamique en Syrie et l’avenir du président Bashar al-Assad, ne doit pas occulter une autre « guerre par procuration » qui, sans être tout à fait étrangère à la première, ébranle depuis des mois le Moyen-Orient, devenu un vaste champ de bataille où s’affrontent Riyad et Téhéran.

L’Iran, depuis la victoire électorale du camp « réformateur », en juin 2013, se sent manifestement pousser des ailes ; et le récent accord sur le nucléaire, qui rend à l’Iran sa place dans le concert des nations, lui permet de dorénavant résonner en grosse caisse.

La zone d’influence saoudienne subit ainsi les attaques iraniennes, coup après coup : en Irak, où la coalition gouvernementale, appuyée par les milices paramilitaires chiites, s’affirme davantage encore face à une population sunnite stigmatisée et accusée de servir Daesh ; en Syrie, où, sous l’égide de Moscou désormais, les milices iraniennes combattent côte à côte avec les bataillons du Hezbollah libanais, qui, depuis 2011, s’est hissé au pouvoir par les urnes, à Beyrouth ; au Yémen, où les Houthis se sont emparés de Sanaa, contraignant le président pro-saoudien Hadi à s’exiler à Aden, dans le sud du pays, et ce malgré l’intervention militaire de l’Arabie saoudite qui a pris la tête d’une coalition sunnite, réunissant derrière sa bannière les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Koweït, le Qatar, enfin remis au pas –Doha, qui avait beaucoup misé sur les Frères musulmans, en Égypte comme en Syrie, n’avait pas du tout apprécié, en effet, le soutien de Riyad au maréchal al-Sissi, et le torchon a longtemps brûlé entre les deux monarchies-, mais encore l’Égypte, le Maroc, la Jordanie et le Soudan (mais pas le cependant excellent allié et grand débiteur pakistanais, qui a aimablement décliné l’offre, certains ayant estimé, à Islamabad, que le Pakistan n’avait pas à « soutenir la politique expansionniste de Riyad »).

L’Iran frappe dur et tous azimuts ; et pas même le petit royaume de Bahreïn n’échappe aux activités belliqueuses de son menaçant voisin, qui fait flèche de tout bois et met à profit la forte minorité chiite présente à Manama pour s’essayer à infiltrer et déstabiliser cet archipel du golfe arabo-persique.

Téhéran fait la nique à Riyad et se vante sans retenue de contrôler, déjà, quatre capitales arabes ; Damas, Bagdad, Sanaa et Beyrouth, quatre marionnettes dociles que la république islamique entend bien dresser à mordre ses ennemis sunnites.

Une situation périlleuse pour le président états-unien Barack Obama, qui, déjà affairé à mener la guerre contre l’inépuisable État islamique et à fustiger la félonie ottomane, doit gérer son vieil allié arabe (par ailleurs en partie responsable de la montée en puissance du Frankenstein djihadiste dont il craint aujourd’hui de pâtir à son tour), tout en courtisant dans le même temps son nouvel « ami » persan, Hassan Rohani, dont le libéralisme politique, qui a remplacé l’intransigeance révolutionnaire de son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad, laisse entrevoir des lendemains enchanteurs, la reprises des relations économiques et –pourquoi pas ?- le retour en Iran des sociétés pétrolières nord-américaines… et –pourquoi pas aussi ?- l’envoi par Téhéran de troupes au sol, en Irak comme en Syrie, des petits soldats qui feraient le sale boulot, cette guerre trop dangereuse que les gouvernements occidentaux n’ont pas les moyens de vendre à leur opinion publique.

Les Occidentaux, en effet… Des États-Unis aux abois, impuissants à éteindre les incendies qui se déclarent partout en même temps dans ce Moyen-Orient devenu ingouvernable… Et les Européens, en particulier, caquetant et se perdant en bavardages de vieilles femmes, incapables de la moindre initiative, et qui se déchirent –qui plus est- face aux vagues successives des « migrants », ces flots de réfugiés, pauvres hères déracinés et chassés de leurs foyers par la fureur des guerres allumées et attisées par ceux-là même qui leur ferment en ce moment les portes, par la France et le Royaume-Uni, qui ont ravagé la Libye avant de s’en enfuir et de l’abandonner sans le moindre égard, par l’Allemagne et d’autres, qui, un peu pour ne pas trop braquer les Russes et un peu pour se conformer à la politique de Washington qui voulait affaiblir le régime mais sans le renverser –c’est-à-dire sans prendre le risque de mettre en danger la sécurité d’Israël que Damas ne menace plus depuis 1973-, ont livré à son sort funeste la révolution syrienne, qu’ils ont regardé sans sourciller se faire écraser entre le marteau et l’enclume, entre l’armée du régime et les hordes islamistes d’al-Qaeda et de Daesh.

Si la Chine ne dit mot, la Russie, quant à elle, se place. Elle revient en force dans le grand jeu du Moyen-Orient.

En avril 2015, déjà, la Russie avait unilatéralement décidé de lever son embargo sur les armes à destination de l’Iran… Elle s’impose à présent en Syrie, sous les yeux médusés du président français qui, n’étant plus à une incohérence près, appelle à lutter contre Daesh et condamne des mêmes lèvres la seule puissance mondiale prête à réellement s’impliquer dans ce combat.

Certes, Moscou défend son pré carré. Elle se protège également de l’expansion éventuelle de l’État islamique en direction du Caucase…  Et Moscou est aussi venue au secours de son allié, un allié stable et fidèle depuis près de soixante ans : la force aérienne russe ne frappe pas seulement les islamistes ; accessoirement, elle achève d’effacer de la carte de Syrie les derniers bataillons de l’Armée syrienne libre… Mais François Hollande peut s’égosiller en condamnations ; il est trop tard… Depuis l’été 2012, il est trop tard pour la Syrie.

C’est cela que le Français n’a pas encore bien réalisé, que, dans deux ans, Valadimir Poutine et Bashar al-Assad seront toujours aux commandes, eux. Et ce seront eux qui, selon toute vraisemblance, redessineront la carte du Moyen-Orient.

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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