EDITORIAL – Version française

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L’Occident, le Bas-Monde et l’État islamique…

Alors que la violence s’intensifie entre l’État islamique et les puissances occidentales, dépassées par la renaissance soudaine et brutale d’un Califat qui ranime dans les cœurs de l’Oumma « véritable » l’Islam politique militant, la question de la guerre se pose, de plus en plus aiguë.

La Tunisie et Beyrouth ont été attaquées, Bruxelles aussi, et Paris et encore Paris, et encore la Tunisie… Les États prennent donc peu à peu conscience de l’expansion de la menace et de la nécessaire solidarité qui s’impose à tous, même si les citoyens libanais et tunisiens se demandent s’ils ne feraient pas partie d’une sorte de « bas-monde », contraints d’habiller eux-mêmes de leur drapeau national, au moyen de logiciels de traitement d’images, les monuments les plus célèbres de la planète, alors que, de Sydney au Caire, ils ont été colorés de lumières bleue, blanche et rouge.

Washington a ainsi depuis longtemps renoué avec Téhéran et, à Paris, François le petit se découvre tout à coup un nouvel ami à Moscou, après avoir pourtant clamé haut et fort, tout en gesticulant à l’envi, que, le seul ennemi de la France, c’était Bashar, et qu’aucune alliance n’était possible avec ceux qui le supportaient.

Même les très sunnites monarchies du Golfe qui, naguère encore, arrosaient de pétrodollars les djihadistes et islamistes en Syrie et en Irak (et un peu partout ailleurs) pour contrer l’influence grandissante de l’Iran chiite, l’Arabie saoudite en tête, se ravisent aujourd’hui, désormais ciblées, elles aussi, par cet État islamique qu’elles ont contribué à créer et qui, s’étant émancipé politiquement et économiquement, n’a plus en aucune façon besoin de ses anciens bailleurs de fonds.

Seul, en Turquie, le président Erdogan, plus fou (ou illisible, à tout le moins) que jamais dans les errements de sa politique qui se sont succédé depuis le début du « Printemps arabe », semble s’accrocher à son rêve de restauration ottomane et de rendre à son pays sa position de saint protecteur du monde sunnite ; et, après l’échec de la révolution en Syrie, après le renversement des Frères musulmans en Égypte, Ankara –ou faudrait-il (re)dire : Istanbul, « la Sublime Porte » ?- s’est comme rabattue sur le dernier « espoir » de donner vie à son cauchemar : les hordes islamistes de Daesh, qui reçoivent armes et logistique du gouvernement turc et s’arrangent avec ce dernier pour écouler leur production pétrolière sur le marché international. Dernière folie en date, la destruction par la chasse turque d’un bombardier russe déployé contre l’EI, à la frontière syrienne…

Mais c’est, avec plus d’acuité encore, la question de l’Islam qui se pose maintenant, celle de l’Islam en Occident en particulier, mais pas seulement.

Qu’est-ce que « l’Islam modéré » ? Et qu’est-ce que « l’Islam authentique » ? Qu’est-ce que cet « Islam de France » dont les éditorialistes parisiens ont la bouche et la plume remplies ? Existerait-il ainsi deux, plusieurs islams ? Celui de « l’Oumma véritable » et celui des « Musulmans couscous-merguez » ? Celui des « radicaux » et celui des « modérés » ? Un « Islam intransigeant » et un « Islam édulcoré » ? « L’Islam des origines » et « l’Islam dévoyé » ? L’Islam orthodoxe rigoureux, qui place Dieu au-dessus des sociétés laïques et de leurs lois, et l’Islam des petits accommodements avec les impératifs du capitalisme occidental ?

Les États laïcs d’Europe et un « Islam assagi » seraient-ils les alliés de facto d’une guerre contre un « Islam fanatique » ? Car la question du choix se pose, en conscience et religiosité,  à tous les Musulmans, où qu’ils vivent : lequel de ces deux islams est-il la vérité ?

Quelles que soient les réponses, s’écrit inexorablement une nouvelle page de l’Histoire du monde, une longue page, celle d’une guerre en devenir et qui va durer, une guerre perpétuelle et diffuse, une nouvelle forme de guerre, qui remplace la guerre « conventionnelle », cette guerre à laquelle l’Occident s’était habitué et qui garantissait la sécurité de ses populations.

C’est toujours poignant, en effet, quand un peuple inconscient, dont les gouvernements déclenchent des guerres dans le monde entier, est brusquement frappé de stupeur lorsque la violence le surprend au coin de la rue et qu’il réalise, dans le même temps, que ses valeurs ne sont pas universelles et qu’il n’est plus intouchable.

Des réalités auxquelles le Bas-Monde est confronté plus quotidiennement que l’Occident dominant, et depuis très longtemps déjà…

Pour combattre efficacement ce nouvel ennemi, il va falloir cesser de se réfugier dans la certitude, la conviction, qu’en face, ce sont de « méchants terroristes pas très gentils », des voyous amoureux du Mal.

Il va falloir admettre les problèmes du Moyen-Orient, admettre qu’ils existent, avec objectivité, et que l’Occident aujourd’hui aux abois y a sa part de responsabilité.

 

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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