EDITORIAL – Version française

0

Une page est tournée…

…et une autre s’écrit. Depuis peu, l’histoire du Monde arabe s’est accélérée; et les événements de l’année 2015 ont achevé de démythifier le « Printemps arabe » et d’affirmer le renouveau de l’Islam politique, qui se défie des avatars des écoles théologiques nées des vicissitudes de l’histoire et des compromis politiques et sociaux qui l’ont émaillée, et les dépasse pour restaurer l’unité de l’Oumma dans le respect du seul véritable Islam, celui du Prophète et de ses compagnons; un phénomène international qui part à l’assaut de la planète, une lutte contre le relativisme qui a dévoyé les Croyants, devenue irréductible et qui ne cesse de décontenancer l’Occident et le reste du monde.

L’ancien régime revient en Tunisie, en rampant mais sûrement. Bashar al-Assad reste vissé sur son trône à Damas et devient peu à peu le champion de la résistance à l’État islamique. La Libye n’est plus qu’une guenille d’État en « failed-statisation » indéniable.

L’Égypte a définitivement scellé le sort de sa révolution dans une dictature militaire qui se vend au plus offrant : quelques achats d’armements à la France contre la reconnaissance du régime par Paris et la participation du président Hollande aux cérémonies d’inauguration du vrai faux second Canal de Suez; une alliance avec Moscou face à l’État islamique et un rapprochement de facto –mais in fine avoué- avec Damas; et des relations qui redeviennent acceptables avec Washington qui, après avoir hésité et tergiversé tout au long du « Printemps arabe », conserve en définitive ses privilèges auprès de l’état major égyptien.

Le Yémen est très loin, désormais, des illusions de velléités démocratiques qu’on lui a un temps prêtées, en proie à une guerre féroce, qui n’est pas tout à fait la sienne et oppose l’Iran et l’Arabie saoudite…

L’Arabie saoudite, le vilain garnement, qui a soutenu les islamistes de tous poils durant le « Printemps arabe » et depuis bien avant déjà, et se retrouve dans une position très inconfortable : menacée elle-même par l’État islamique qu’elle a financé à ses débuts (avec ses alliés qataris et koweïtiens), la puissance régionale sunnite est par ailleurs débordée en Irak et au Yémen par l’influence grandissante de l’Iran chiite… Le choix était cornélien, mais Ryad semble avoir finalement tranché entre les deux dangers : à un moment, certes, la décision a été prise de lâcher le djihadisme, tout autant que les Frères musulmans au Caire, et de rendre à l’armée égyptienne le contrôle du pays pour lutter efficacement contre l’État islamique. Mais, depuis le décès du roi Abdallah, en janvier 2015, son successeur, Salmane, a recomposé en profondeur le gouvernement ainsi que les influences au palais pour renouer sans réserve avec la politique de toujours et recommencer à promouvoir sans aucune prudence le djihad armé, en espérant ainsi contrer les ambitions de Téhéran en Péninsule arabique.

La Turquie aussi appuie, aujourd’hui encore, l’État islamique, dans le cadre d’une politique pro-sunnite et néo-ottomane absolument folle. Une politique turque non seulement ambigüe au regard de ses alliances (de l’OTAN comme de Moscou), mais qui est aussi devenue absurde, puisque la partie est très évidemment perdue pour Ankara, qui avait espéré remplacer Le Caire comme nouveau pivot du monde sunnite et recouvrer ainsi la place qui était la sienne à l’époque des sultans : les Frères musulmans ont échoué partout et l’État islamique n’est plus un jouet que l’on peut manipuler à sa guise; et la politique d’Erdogan en la matière ressemble dès lors à une course éperdue et désespérée… Qu’attend-il encore de son soutien à l’État islamique? Ankara lui achète clandestinement son pétrole, bien sûr; mais après? Et de là à se permettre d’abattre un bombardier russe… Puis le ministre ottoman des Affaires étrangères de marteler : « On peut occuper la Russie en moins de sept jours! »; à Moscou, on doit se rouler de rire par terre en se tenant les côtes.

Pendant ce temps, la guerre suit son cours au Moyen-Orient…

Et la disparition programmée du Christianisme oriental se poursuit en sourdine, irrémédiablement.

Et Israël de profiter des événements de Syrie, d’Irak, de Paris et d’ailleurs, qui détournent les regards, pour achever son œuvre de liquidation de la population palestinienne qui -l’insolente!- ose encore revendiquer haut et fort ces territoires dont elle a été chassée depuis plus de soixante ans.

La guerre se poursuit et l’État islamique progresse, sans que les puissances, dépassées par les événements, n’entreprennent quoi que ce soit de viable pour y mettre fin.

C’est que la Coalition internationale qui bombarde l’État islamique, même étoffée par la Russie, faute de pouvoir prendre le risque immense de déployer des troupes au sol, n’offre qu’une efficacité limitée et qui n’inquiète pas les djihadistes.

On ne l’écrit pas assez : les populations sunnites des régions déjà investies par l’État islamique ne lui sont pas hostiles. Ces populations sunnites ont été soumises, en Syrie, à un régime lié à l’Iran chiite et, en Irak, depuis l’invasion du pays par les États-Unis en 2003, au gouvernement chiite de Nouri al-Malaki, porté au pouvoir par Washington et qui a chassé les Sunnites de Bagdad et presque totalement de l’armée; dans les régions sunnites d’Irak, l’armée irakienne, essentiellement constituée de Chiites, s’est comportée pendant des années comme une force d’occupation, brimant et rançonnant la population. L’État islamique est donc apparu comme un « libérateur » aux yeux de ces populations essentiellement rurales et dont, par ailleurs, le mode de vie ne diffère en fin de compte que très peu du modèle sociétal qu’imposent les salafistes.

Dans ces régions, l’État islamique est donc « chez lui »; et il sera très difficile de l’en déloger.

Toutefois, si les populations sunnites de Syrie et d’Irak ont accueilli favorablement l’État islamique, elles sont fatiguées, aujourd’hui, de l’état de guerre permanent qu’implique la présence des djihadistes. Aussi, si l’opportunité se présentait, pour ces populations, de se débarrasser de cette tutelle islamiste -mais tout en ayant la garantie de ne pas retomber sous la coupe du gouvernement de Damas ou des milices chiites de Bagdad-, beaucoup de chefs locaux cesseraient de soutenir l’État islamique.

La solution, unique, passe donc inévitablement par le redécoupage des frontières syriennes et irakiennes, par l’abolition des Accords franco-britanniques « Sykes-Picot », qui avaient consacré la fin de l’Empire ottoman, au terme de la première guerre mondiale.

C’est aussi le seul avenir possible : après les atrocités commises de part et d’autre en Syrie durant la terrible guerre civile qui ravage le pays depuis près de cinq ans, une « réconciliation nationale » est tout simplement inimaginable. Idem en Irak : les milices chiites se vengent sur la population lorsqu’elles reprennent à l’État islamique un village sunnite; et les Sunnites creusent des fosses communes pour les Chiites qui leur tombent sous la main… Les actes de barbarie se multiplient là-bas aussi.

Probablement, alors, le moment est-il venu de définitivement tourner une autre page encore, celle du colonialisme; et de laisser les réalités politiques, ethniques, culturelles et religieuses arabes recouvrer leurs espaces naturels respectifs et leur expression légitime.

Mais sans savoir bien encore ce qu’il en résulterait, si les puissances s’accommodaient jamais de ce scénario. Car l’élément irrationnel demeure, le facteur d’incertitude, celui qui implique la dimension spirituelle et le religieuse qui anime un monde islamique renaissant…

Il ne faudrait pas se tromper en se limitant à une analyse par trop cartésienne : l’État islamique n’est pas seulement le résultat d’une somme de conflits d’intérêts géostratégiques… Il puise sa force dans tout autre chose… Comme l’ont peut-être compris, déjà, quelques chancelleries, à Washington, à Londres, à Moscou…

Ce n’est pas une croisade chrétienne qui a commencé, contre un Islam d’autrefois, menée par les pays « chrétiens » de l’OTAN –la Turquie s’en étant elle-même exclue- et la Sainte Russie.

C’est la croisade du capitalisme et du matérialisme occidental, contre l’Islam des origines qui refuse de perdre l’essence même de ce qu’il a été et qu’il entend bien relever maintenant, universellement.

Share.

About Author

Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

Leave A Reply