EDITORIAL – Version française

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Pourquoi le royaume saoudien n’a-t-il pas mobilisé un seul de ses soldats pour combattre l’État islamique (EI) en Syrie et en Irak, alors qu’il en a envoyé 150.000 à la frontière yéménite, pour contrer la rébellion chiite des Houthistes ?

Pourquoi l’Arabie saoudite n’a-t-elle dépêché que cinq avions de guerre pour participer à la coalition internationale qui lutte contre l’EI, alors qu’il dispose de près de quatre cents appareils et en a déployé une centaine au Yémen ?

Pourquoi les monarchies du Golfe se sont-elles massivement engagées au côté de Riyad pour restaurer le protectorat saoudien à Sanaa, alors que la plupart d’entre elles sont absentes de l’alliance mondiale qui se dresse contre Daesh ?

Pourquoi les États occidentaux, généralement si empressés de brandir la bannière des Droits de l’Homme pour justifier partout des interventions armées, n’osent-ils cependant pas exiger de l’Arabie saoudite qu’elle mette fin à sa politique d’exécutions massives de condamnés de droit commun et de tortures publiques infligées en vertu d’un code pénal aussi archaïque que barbare ?

Pas même la France, la grande donneuse de leçons, la va-t-en-guerre des « révolutions » libyenne et syrienne… La France, qui semble avoir compris avant tous les autres que la progressive autonomisation énergétique des États-Unis lui laissait la place libre en péninsule arabique ; la France toujours prête à planter ses crocs dans l’os que les Ricains abandonnent derrière eux au plus prompt à s’en saisir, comme ce fut jadis le cas du Zaïre, à l’époque où James Carter tournait le dos aux dictateurs. « La France ne peut pas fonder sa politique étrangère sur le seul critère de la défense des Droits de l’Homme », a titré le quotidien français Le Monde ; et que pèsent les Droits de l’Homme face à 10 milliards d’euros de contrats négociés en octobre 2015 à Riyad par le premier ministre français Emmanuel Valls ?

La France, ainsi, devient peu à peu le meilleur allié de l’Arabie Saoudite, qui se cherche des amis et s’accroche presque désespérément à Paris…

Washington, en effet, se sentirait comme inspirée, depuis tout récemment, de renier le pacte du Quincy et d’envoyer bouler son vieil et peu fiable allié, qui l’abreuvait naguère en pétrole d’un bras et continue de financer de l’autre le djihadisme armé qui a fait crouler les tours du World Trade Center et tue des Parisiens… Washington s’est lassé et le réchauffement des relations avec Téhéran lui donne des ailes.

Mais ne nous y trompons pas : l’accord sur la non-prolifération nucléaire signé avec l’Iran n’est en cela nullement une cause, mais bien plutôt un effet.

Un effet dont les raisons sont connues : d’une part, l’ouverture des marchés (pétrolier y compris) aux investisseurs étrangers, une ouverture acceptée et même souhaitée par le président Hassan Rohani et la droite iranienne qui, depuis juin 2013, ont remplacé par une politique aux allures ultralibérales celle de sécurité sociale et de développement rural qu’avait mise en œuvre le tant conspué Mahmoud Ahmadinejad. D’autre part et surtout, la nécessité d’impliquer Téhéran dans la guerre contre l’EI ; l’Iran est la seule puissance susceptible de déployer au sol les unités d’infanterie qui font aujourd’hui terriblement défaut aux forces de la coalition internationale, dont les frappes aériennes ont pu ralentir la progression des djihadistes, mais restent impuissantes à les éradiquer.

Bien des choses ont changé, au Moyen-Orient, et l’Arabie Saoudite, de plus en plus isolée et montrée du doigt, est comme prise à son propre jeu, coincée par une conjoncture plus que cornélienne, entre la nécessité de contrer l’Iran, face à un Occident de moins en moins enclin à lui pardonner son soutien à la cause djihadiste sunnite, au « terrorisme », et confrontée à sa créature dont les yeux sont tournés vers La Mecque et dont les lèvres murmurent déjà l’exigence d’une soumission des princes arabes au Calife Ibrahim.

Les doubles attentats de Paris ont réveillé les chancelleries de l’Ouest (mais pas le Quai d’Orsay, manifestement, qui continue à minauder du côté de Riyad et à vendre des armes et tout un fourbi de luxe à ceux-là même qui ont sur les mains le sang de citoyens français -et tout en sachant pertinemment, par ailleurs, que le roi Salmane sera bien obligé de se taire après que le président Hollande a reçu Hassan Rohani à l’Élysée pour lui vendre des Airbus).

L’exécution spectacularisée du prédicateur chiite Bakir al-Nimr a peut-être été l’effronterie ou la provocation de trop, qui a exaspéré l’Occident, un peu soucieux, en ces temps critiques, de mettre fin à la guerre par procuration que les Bédouins de Riyad, ces vanupieds d’hier encore, font, à ses dépens, à ses nouveaux amis enfin rentrés en grâce, les seigneurs persans à l’histoire millénaire.

Ceci n’a (probablement) rien à voir avec cela, mais… Pendant ce temps… En Tunisie… Le climat s’alourdit… De moins en moins favorable à la liberté d’expression.

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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