ÉGYPTE – Entre attentats et dictature, une économie sous perfusion

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Ce vendredi 13 mars, s’ouvrait, à Sharm el-Sheikh, la Conférence sur le développement économique de l’Égypte (CDEE). Le gouvernement égyptien semblait fonder une grande partie de ses espoirs de reprise économique sur le succès de cette conférence réunissant des donateurs et des investisseurs du monde entier et qui a bénéficié d’une large couverture dans les médias nationaux. Depuis la révolution de janvier 2011, le pays n’a en effet pas cessé de sombrer dans un marasme économique le rendant extrêmement dépendant des monarchies du Golfe.

La CDEE avait été proposée à l’initiative de l’Arabie Saoudite, quelques semaines après le coup d’État militaire du 30 juin 2013, afin de porter secours à l’économie égyptienne, alors exsangue. L’évènement, qui s’est déroulé sur trois jours, constituait notamment une occasion idéale pour le président égyptien, l’ancien maréchal Abdel Fattah al-Sissi, de présenter l’un de ses projets pharaoniques : la construction, à l’est du Caire, d’une nouvelle capitale administrative, « Capital Cairo ».

Le contrat pour la première phase du projet a été décroché par le groupe émirati Emaar et signé en marge de la CDEE, pour un investissement de 45 milliards de dollars. Au total, l’Égypte aurait signé pour près de 138 milliards d’investissements. Le chiffre reste toutefois bien loin des besoins réels du pays (évalués à 300 milliards) et, surtout, les grands projets, très médiatiques, doivent à présent se traduire dans la réalité. Cependant, fort du soutien de ses sponsors du Golfe (dont les apports sont chiffrés en dizaine de milliards de dollars), le président al-Sissi semble progressivement parvenir à éloigner l’économie du pays de l’effondrement qui la menaçait il y a quelques mois encore.

La situation demeure toutefois toujours très sensible et il s’avère que l’Égypte est devenue très dépendante de ses alliés du Golfe, émiratis et saoudiens notamment ; d’où l’enjeu de cette conférence.

Par ailleurs, si l’économie égyptienne, maintenue sous perfusion, montre a priori quelques signes de rétablissement après plusieurs années difficiles (le PIB devrait croître de près de 4% en 2015), la situation politique, en revanche, reste inchangée et toujours très préoccupante. La persistance de l’instabilité menace même de tuer dans l’œuf ce semblant de reprise des affaires et d’attiser les réticences déjà fortes des investisseurs étrangers.

En effet, alors que les partisans du président islamiste Mohamed Morsi, renversé par le coup d’État, continuent de défiler tous les vendredis, le gouvernement fait face à un regain sensible du nombre des actes violents dans le pays. Il est difficile de fournir des chiffres précis, mais les attaques se sont multipliées au cours de ces dernières semaines, atteignant un rythme presque quotidien. Bien qu’il s’agisse, le plus souvent, de petits attentats, de bombes artisanales de très faible intensité, ces attaques mettent profondément en question la capacité des autorités à assurer la sécurité.

La réaction des autorités montre d’ailleurs que ces faits sont pris très au sérieux : quelques jours avant le début de la CDEE, le président al-Sissi avait annoncé le limogeage du ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibrahim, pourtant installé à ce poste depuis janvier 2013. Il s’y était maintenu après le coup d’État et le départ du premier ministre Hazem el-Beblawi. Accusé par Human Rights Watch de « crimes contre l’humanité », Mohamed Ibrahim était récemment apparu dans un document audio ayant fuité, appelant ses services à ouvrir le feu sur les manifestants pro-Morsi.

Les violations massives des droits de l’Homme persistent également dans le pays et les autorités continuent de réprimer la société civile et toute forme d’opposition politique, sans que cela n’émeuvent plus nullement les pays occidentaux, bien présents lors de la CDEE. Intervenant durant la conférence, Tony Blair, ancien premier ministre britannique et dorénavant conseiller spécial d’al-Sissi, soulignait combien il était « absolument en faveur de la démocratie », mais qu’il fallait aussi bien être « réaliste ».

Cerise sur le gâteau, la Cour Suprême a déclaré, au début du mois, le « caractère inconstitutionnel » de la loi électorale, entraînant de fait un nouveau report des élections parlementaires qui devaient se tenir dans les prochaines semaines. Celles-ci devaient constituer une étape cruciale de la « feuille de route démocratique » annoncée par al-Sissi à l’époque du coup d’État. L’Égypte n’a plus de parlement depuis sa dissolution en juillet 2013 ; et il faut remonter au mois de février 2011 pour retrouver une législature complète associée à un exécutif civil.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement semble bien s’accommoder d’une situation qui lui permet de concentrer entre ses mains les pouvoirs exécutif et législatif depuis de longs mois et probablement encore pour un bout de temps, en violation du sacrosaint principe démocratique de séparation des pouvoirs.

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Mehdi Karimi

Politologue - (Le Caire - ÉGYPTE)

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