MONDE ARABE – Islam et Démocratie? Chercher le sens…

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Répondre à la question d’une (im)possible (?) convergence entre démocratie et Islam nécessite d’abord que nous retrouvions le sens de ces deux mots car c’est à partir des sens qu’on leur donnera qu’on pourra apporter des réponses par principe différentes.

Est-ce que par « démocratie » nous entendons le « pouvoir du peuple », sur sa vie politique, économique, sociale, culturelle, idéologique, ou nous entendons la possibilité accordée au peuple une fois tous les quatre ou cinq ans de choisir à qui il va déléguer le pouvoir de gérer l’application des directives provenant « des marchés », donc des quelques oligarques méconnus qui gouvernent au niveau mondial les grosses banques et sont propriétaires de la plupart des moyens de production et d’échanges ainsi que des gros médias qui dictent au consommateur leurs vérités sacralisées ?

Est-ce que par « Islam », nous entendons le souffle spirituel révélé au cours des siècles par des prophètes successifs qui ont refusé de s’asseoir à la table des puissants, des riches et des corrompus ou est-ce que nous entendons la pratique d’un rituel visible recouvrant une croyance le plus souvent polluée ou aujourd’hui même clonée sur le néo-protestantisme hollywoodien, et visant à assurer le salut individuel grâce à sa soumission aux caprices d’une divinité jugeant les humains non pas en fonction de leurs actes mais uniquement en fonction de leur « foi » qui se doit d’être aveugle et irraisonnée en s’exprimant par le biais d’un rituel individualiste et désincarné ? Sacrifice en temps et en forme récompensé sur terre, par un paradis consumériste pour les « stars » agréées par ce dieu arbitraire et, pour les plus patients des pauvres et des exclus tentés du coup de devenir des prêtres sacrificiels violents, récompensés dans un au-delà fait de consommation de boissons, de plats, de sexe et de plaisirs strictement égoïstes et… terre-à-terre ?

Loi, Amour et Justice

Il faut à cet égard rappeler par exemple que, indépendamment du fait qu’on ai confiance ou pas dans la validité des hadiths [ndlr : textes sacrés pour les Musulmans, qui rapportent les actes du Prophète Mohamed et de ses compagnons], ils reflètent tous au moins ce que l’on peut définir comme « l’intelligence collective de la communauté musulmane » des premiers siècles qui les a enregistrés et transmis. Et donc l’un de ces hadiths dit que le roi et prophète Salomon sera questionné lors du jugement dernier « quarante ans de plus » que les autres prophètes car il a été puissant, il a été riche et il sera donc questionné longuement sur ce qu’il a fait de ses richesses liées à son pouvoir.

Bref, comme le dit le brillant théologien anti-apartheid musulman Farid Esack, parle-t-on d’un Islam de justice ou parle-t-on d’un Islam d’apparence… et d’apparat ? Et parle-t-on d’une démocratie d’apparence ou d’une démocratie réellement populaire ?

Car tout est là.

Si le souffle mosaïque a apporté avant toute autre chose aux humains la rigueur de la Loi dans un monde de violences jusque là jugées « naturelles » et que ce mosaïsme là a voulu convertir les humains pour qu’ils adhèrent au « peuple élu » qui, dans cette conception première des enfants d’Israël, n’était pas une race ou une tribu au sens ethnique du terme, mais devait être « la Lumière parmi les nations »… Si le souffle christique a apporté avant toute autre chose aux humains la compassion de l’Amour dans un monde d’esclaves devenus des marchandises (il faut à cet égard rappeler que la croix n’est pas tant le symbole de la mort supposée de Jésus, qu’elle n’est le symbole de la punition réservée aux esclaves rebelles : Spartacus et la masse de ses camarades de combat furent crucifiés, ce dont le peuple de Rome adoptant la religion de Jésus s’est souvenu lors de sa conversion en masse ; et il y a au moins autant de Spartacus dans tout chrétien honnête que de dogmatique romaine)… Alors, il faut savoir aussi que l’Islam quant à lui, et indépendamment du fait qu’on y adhère formellement ou pas, est la révélation qui a accompli la synthèse de la Loi et de l’Amour par la proclamation de la Justice devant équilibrer les deux premiers éléments du tryptique unicitaire monothéiste issu du terreau religieux et culturel sémitique.

Ce qui explique pourquoi le Musulman le plus inculte au monde et le Musulman le plus dévoyé au monde porte en lui, consciemment parfois, inconsciemment parfois, le souci de la justice par-dessus toutes les passions humaines et toutes les législations humaines. L’esprit doit dans cet Islam-là faire vivre la lettre, et le fond doit constituer la base sur laquelle est construite la forme. C’est cet esprit de justice, qui se doit d’être adopté dans un équilibre recherché en permanence entre le rationnel et la foi, qui explique les grands mouvements émancipateurs, rebelles, rationalistes, qui ont ponctué l’histoire du monde musulman et explique en réaction aussi les despotismes les plus horrifiant qui l’ont opprimé.

Le terrorisme actuel, fruit d’un néo-salafisme de pacotille inventé au XVIIIe siècle puis reproduit aux XIXe et XXe siècles, au moment donc de la décadence du monde musulman et de l’irruption coloniale, constitue en fait une manifestation dévoyée de cet appétit de justice insatiable qui traverse chaque Musulman, même quand il est devenu inculte du monde dans lequel il vit et du monde dont il est issu. Comme c’est le plus souvent le cas avec les pétro-monarchistes.

Terrorisme qui, comme l’écrivait Karl Marx lorsqu’il analysait la violence aveugle antichrétienne et antibritannique hindouiste et musulmane des insurgés Cipayes, n’est que la « rétribution » des crimes introduits aux Indes par « l’offenseur » colonial. Et en terme d’offense, depuis la colonisation, depuis les accords secrets de trahison Sykes-Picot, depuis la déclaration Balfour, depuis les manipulations des méfiances sectaires qui ont abouti au partage des Indes, depuis les « moudjahids » afghans utilisés puis laissés à l’abandon, tant de promesses n’ont pas été tenues et tant de contrats ont été ignorés, ce qui constitue une accumulation de frustrations d’autant plus blessantes qu’elles sont accompagnées de l’existence d’élites restées par leur volonté même, pour reprendre le terme inventé en français par Malek Bennabi, « colonisables ».

Des produits d’une école en déshérence et des jeux vidéos

Les « djihadistes » venus des banlieues comme des bidonvilles d’Afrique septentrionale ou des bureaux du Golfe en passe de désertification pour cause de dépenses guerrières inconsidérées, qu’ils soient « Arabes pur jus », « beurs d’origine » ou « blancs convertis », sont avant tout le produit de la déliquescence du système dominant actuel et de la désagrégation des systèmes scolaires accompagnés par l’abrutissement télévisuel et informatique devenu systématique.

La preuve que cela n’a rien à voir avec l’Islam traditionnel et séculaire : de tels groupes, de tels individus et de tels pervers n’existaient pas au cours des « trente glorieuses » de luttes anticoloniales et d’émancipations réelles entre les années 1940 et les années 1970.

Quoiqu’on pense par ailleurs des comportements ou stratégies à l’époque de tel ou tel groupe « nationaliste », « islamiste », « réformiste » ou « révolutionnaire », ni les nassériens, ni les baathistes, ni le FLN, ni les Frères musulmans de l’époque, ni les différentes factions de l’OLP d’avant Oslo, ni les partisans de Khomeiny, de Taleghani, de Sadr, du Hezbollah, du Hamas ou du Djihad islamique, ni auparavant les partisans du Pakistan ou du Bangladesh, ni les Musulmans bolcheviks d’après 1917, ni les mahdistes soudanais, ni Abd el Krim, ni l’émir Abd el Kader et tant d’autres d’orientations différentes mais tous nourris par la culture musulmane, n’auraient jamais imaginé avoir recours aux argumentations, aux promesses folles, aux horreurs annoncées, aux projets asociaux et aux méthodes promues aujourd’hui par tant de « téléfatawistes » incultes au service des princes des ténèbres et de leurs promoteurs anglo-saxons.

Un cercle culturel à la jonction de toutes les contradictions

Mais le monde musulman, qui est porteur de l’héritage des révélations successives et qui recouvre tout le « bassin sémitique », est par ailleurs situé à la jonction géographique entre les pays « occidentaux » du « centre développé » et en crise profonde, et les pays de la « périphérie » du second et du tiers monde.

Il se trouve donc par la force des choses placé au carrefour des contradictions de notre monde global, de notre « village global », où tout est désormais lié et où tout se perd. Par son passé colonial, par sa présence massive désormais immigrée au sein même du « centre occidental », par la blessure toujours ouverte en plein cœur du Moyen-Orient qui le déchire en deux parties séparées autour de sa ville sainte de Jérusalem, par l’émergence de princes parvenus biberonnés aux cours du pétrole et des pétrodollars, par son appartenance simultanée au monde de la périphérie et au monde du centre, le musulman, de foi comme de « culture », porte en lui le summum des contradictions du monde actuel.

Daech, An Nosra/Al Qaïda aujourd’hui relooké et rebaptisé « modéré », les égorgeurs incultes, les terroristes produits par les jeux vidéos et la violence hollywoodienne, les incivilités, les « beurgeois » carriéristes et individualistes, les princes ou présidents néo-colonisés, le zapping permanent entre téléfatawistes, télédévergondées arabes et télé-infos bidonnées du Golfe, tout cela n’est, avec les distances raccourcies par la « révolution informatique », plus que la grande banlieue de la « démocratie occidentale » et du clinquant consumériste inaccessible pour la masse, qu’elle vive au sud de la Méditerranée, cantonnée dans des banlieue-dortoirs ou reste perdue dans des campagnes en voie de délocalisation. Une démocratie d’alternances sans alternative qui désespère partout sur la planète les individus isolés de toute appartenance féconde et qui savent que le monde est désormais géré par quelques « happy few » qui peuvent aussi bien porter un complet veston, des T-shirt mode bobo, des kamis néoprophétiques en nylon made in Burma, des chaussures à scratch made in Thailand ou des habits néo-exotiques d’un lama ou d’un autre gourou prêchant la paix et/ou la guerre selon qu’il s’agit d’occuper Bagdad, de « libérer » Tripoli, de faire accepter le coup d’état en Égypte ou le blocus de Gaza.

Une démocratie qui apparaît à la plupart, musulmans comme non musulmans, comme étant en fait une injonction à la soumission à ce que le commun des mortels considère comme un régime injuste soulevant haine et espoirs de résistances. Résistances qu’on peut ensuite dévoyer vers de fausses révolutions en couleur ou vers des théâtres de guerres printanières utilisables puis jetables.

Cela a en fait commencé en Afghanistan en 1979 lorsque, selon les dires mêmes du conseiller de plusieurs dirigeants de l’hyper-puissance mondiale Zbigniew Brzezinski, la CIA a installé ses bases d’intervention et ses agents locaux aux frontières et à l’intérieur même de l’Afghanistan, avant donc ce qu’on allait présenter comme une « invasion soviétique » et qui ne fut en fait qu’une réaction, lamentablement mal calculée à Moscou, face à une agression visant le gouvernement légal de ce pays. A partir de quoi on allait voir ces « Afghans » de toutes nationalités aller détruire l’Algérie et beaucoup d’autres pays non alignés, la plupart étant situés dans l’arc musulman stratégique qui permet d’ouvrir ou de couper la voie reliant les pays du Sud et de l’Est.

L’Islam a donc été pris en otage car il occupe une place centrale dans la géopolitique internationale. Ce qu’un Musulman croyant considérera fort logiquement comme un signe annonciateur venant de Dieu.

Quelqu’en soit ensuite les conclusions qu’il en tire, vers « la droite » ou vers « la gauche », vers « le Nord » ou vers « le Sud », vers « l’Est » ou vers « l’Ouest ».

Crise des convictions, crise de l’Islam

L’Islam d’aujourd’hui ne va pas mieux mais il ne va en fait pas plus mal que le Christianisme ou le Judaïsme ; il n’y a qu’à voir les télévangélistes d’un côté et les églises désertées de l’autre, même si son thermomètre montre une température supérieure, qui n’est que la preuve que sa fièvre a atteint un degré qui rend la maladie plus visible aux yeux de tous les autres malades.

Cette fièvre particulièrement élevée est simplement due au fait que les Musulmans constituent aujourd’hui le « baromètre du monde », le groupe culturel, religieux, géographique, économique, politique placé au cœur même des contradictions de notre planète, que ce soit dans les pays de l’arc qui présente un soucis primordial pour les puissances qui n’ont pas intérêt à ce que le « cœur du monde », le « Heartland », ne s’intègre dans une vaste zone de coopération et de créativité économique, culturelle, idéologique, sociale, « gagnant-gagnant » entre Atlantique, Pacifique et Océan indien, ou que ce soit dans les banlieues de l’Europe ou même désormais des Amériques où les Musulmans, en particulier les « Black Muslims », sont souvent plus visibles que les autres « minorités » délaissées, minorités sociales ou minorités « visibles »… qui forment, toutes ensemble, en fait, la majorité.

L’Islam ne va pas mieux non plus que le socialisme, dans sa version réformiste comme  dans sa mouvance socialiste scientifique, qui se sont toutes les deux trouvées affaiblies par l’effondrement de l’ex- « camp de la paix » qui avait constitué l’arrière naturel pour les pays et les peuples musulmans qui avaient tenté, Indonésie d’avant 1965, Mali d’avant 1968, Égypte d’avant 1970, Iran de Mossadegh, OLP d’avant Tunis, Irak, Syrie, Yémen, Tanzanie, Malaisie, Afghanistan, Soudan, Libye, Guinée, Algérie d’avant le « pluralisme » et les années noires, Maroc de Ben Barka et de la Tricontinentale, etc., d’imaginer une « voie non capitaliste de développement », sociale, populaire, nationale, islamique.

Leurs héritiers, la plupart du temps indignes, militaires grossis, gestionnaires sans imagination, « islamistes » bureaucratisés, « révolutionnaires » de salons, se sont raccrochés aux puissances de l’argent, aux fauteurs de guerres et aux princes de l’or noir et du feu, aux princes de la malédiction et de l’obscurité, pour former des gouvernements conservateurs ou mener des guerres à distance. L’effondrement politique, militaire, économique et avant tout intellectuel du socialisme réel de l’époque révolue a accompagné la crise de la fécondité intellectuelle qui avait traversé le monde arabe et musulman dans la foulée des luttes anticoloniales.

Il n’est plus temps de pleurer sur ce qui ne s’est pas fait, sur les convergences qui n’ont pas eu lieu, sur les conflits futiles qui ont pris le dessus, il est temps d’abord de constater les errements auxquels nous assistons aujourd’hui et dans lequel des groupes comme Daech, An-Nosra, le GIA et autres Boko Haram ne sont que des éruptions de fièvre guerrière dans un organisme saccagé de l’intérieur et agressé de l’extérieur.

Les pays musulmans, à quelques exceptions près, ne produisent pas d’armes ; et ceux qui en produisent comme l’Iran, le Kazakhstan ou le Pakistan les utilisent beaucoup moins que ceux qui en importent massivement pour les écouler ensuite auprès de leurs mercenaires ou de leurs protégés. Mais les armes produites ailleurs sont envoyées, achetées, vendues, utilisées dans les pays musulmans soumis aux offres de vendeurs corrupteurs. Les bénéfices de ces ventes vont ailleurs et sont protégés dans des « paradis » fiscaux qui ne sont pas sous le contrôle des roitelets du pétrole ni des quelques États plus ou moins indépendants, musulmans, arabes ou autres, qui existent encore sur la planète. Les bien-nommées Caïmans, Ile of Man, State of Delaware et autres Luxembourg abritent des banques « off-shore » vers où affluent sans contrôle l’argent de l’Ouest, du Sud et de l’Est dont aucune grande puissance militaire protégeant ces entités de pacotille ne semble intéressée à divulguer les origines premières.

L’informatique a bon dos comme prétexte pour cette mondialisation maléfique car elle devrait au contraire faciliter le suivi en temps réel des mouvements de l’argent des armes et de la drogue. Le monde musulman connaît aujourd’hui l’usage massif dans ses guerres du captagon, drogue rendant insensible à la douleur et à la morale. Drogue idéale pour des mercenaires fanatisables sans foi ni loi qu’on appelle à tort donc des… islamistes.

Bref, il ne faut pas confondre les effets et les causes si ce que nous ont appris les philosophes des Lumières dont l’Europe est si fière doit être encore utile. L’Islam, la culture issue de l’Islam que ce soit sous sa forme « religieuse » ou sous sa forme « laïque », et l’histoire l’a montré, contient tous les éléments nécessaires à une civilisation des Lumières puisque sans lui les Lumières n’auraient pas vu le jour (cfr. notamment Sigrid Hunke, Le Soleil d’Allah brille sur l’Occident : notre héritage arabe).

Il y a aujourd’hui des « savants », des « théologiens », des « oulémas » qui ne disent rien d’autres et qui mériteraient d’être connus par nos démocrates réels, nos « laïcs » qui se veulent en plus féministes. Les seuls Musulmans montrés à l’excès dans nos médias sont les plus simplistes et les plus fanatiques d’un côté, les plus conformistes, les plus « soft », les plus « light » vis à vis des dogmes économiques et sociaux encensés par les pouvoirs conservateurs d’Occident d’un autre. Les extrémistes néo-salafistes soutenus par les pétromonarchies pro-occidentales et les « Musulmans modérés » soutenus à l’Ouest ont en commun le fait de ne jamais poser la question des injustices sociales, du système économique global, des questions de propriété et de ce qu’on n’ose par autocensure même plus appeler l’impérialisme, notion pourtant objective puisqu’elle est ouvertement revendiquée avec fierté par les dirigeants de la nation à la « Destinée manifeste » promise au leadership, en français donc à la domination, sur toute la planète.

Alors ces vrais savants de l’Islam dynamique restent enfouis dans leurs écoles au fond des déserts de Mauritanie ou du Yémen (enfouis aujourd’hui aussi souvent sous les bombes).

Citons pêle-mêle parmi ceux dont la renommée a malgré tout pu atteindre quelques franges périphériques de l’Europe, Farid Esack, Ihsan Eliacik, le Dr. Al Ajami, Adnan Ibrahim et de multiples « petits » imams qui n’ont presque jamais droit aux plateaux des grosses chaînes de TV « islamiques » ou « laïques » et encore moins « laïcistes », arabes comme occidentales. Non pas tant sans doute parce qu’ils dénoncent le terrorisme mais peut-être parce qu’ils dénoncent aussi l’injustice régnant dans « le village global », côté musulman comme côté non musulman.

Les laïcistes islamophobes radicalisés sont donc d’accord sur une chose fondamentale avec les néo-salafistes radicalisés et biberonnés par les cours de la bourse, les courses de chevaux, les casinos de la côte d’Azur, les conseils d’administration des grandes entreprises supranationales, les boîtes de nuit parisiennes : l’Islam doit rester emprisonné, pris en otage, par le culte des apparences, de rites vidés de leur sens, d’extases « libérées » de toute spiritualité, d’interdits portant sur des obsessions secondaires, le sexe et le pouvoir grâce au sexe et à l’argent. Or, le plus grand des péchés selon l’Islam n’est pas l’athéisme, n’est pas la perversion sexuelle, n’est même pas la dictature, c’est, juste après le « shirk » (l’adoration de fausses divinités inventées par les humains), le « ribah », l’usure, le prêt à intérêt : « Le dirham acquis par l’usure est pire que si un homme ayant adhéré à l’Islam commettait 36 fornications » (hadith rapporté par Ibn Abi Dounya et Al Baïhaqi) ; « Il résulte de l’usure 70 péchés, dont le moindre est l’équivalent de ce qui résulte de l’acte de la fornication de l’homme avec sa propre mère » (hadith rapporté par Ibn Madjah et Al Baïhaqi d’après Abou Houraïra).

Péché suprême car il mène à tous les autres par le biais de ce qu’on nomme la « société de consommation », terme pudique pour qualifier ce que le philosophe hongrois Gyorgy Lukacs nommait beaucoup plus justement « la société de la convoitise ».

Convoitise pour le pouvoir, convoitise pour le sexe, convoitise pour l’argent, convoitise pour l’avoir et la possession de tout et de tous. Or, comment survivraient aujourd’hui les banques et les banquiers sans les taux d’intérêts, réels dans le cas des banques « classiques », ou camouflés dans le cas de la plupart des banques qui se revendiquent « islamiques » pour aguicher leurs clients, mais qui acceptent d’utiliser les monnaies virtuelles produites par les économies usuraires, à commencer par le dollar ?

On comprend pourquoi la décision de la Libye prise en 2010 de financer une monnaie africaine unifiée et indépendante du dollar a attiré vers elle un tapis de bombes. D’autant plus que cette monnaie allait s’appuyer sur l’or.

L’islam du juste équilibre constitue une partie de la solution

Oui, l’Islam peut devenir un élément créatif pour nos sociétés qui sont toutes en crise profonde, systémique, à condition qu’on donne la parole à ceux de ses enfants qui sont prêts à dire, voire à crier, des paroles de justice sans compromis et sans aucune peur devant aucun pouvoir, politique, boursier, militaire, économique, usurier…

La seule peur qu’un Musulman, de foi ou de culture – peu importe ce ne sont le plus souvent que des mots -, a le droit de ressentir au regard de son héritage historique est celle qu’il doit avoir devant la grandeur de la création, devant l’infini de l’éternité, et pour le plus croyant d’entre eux devant la magnificence de son Dieu invisible et impalpable.

L’Islam n’a pas à avoir le monopole de la créativité sociale attendue aujourd’hui par toute l’humanité, les théologiens chrétiens de la libération, les révolutionnaires adeptes de la méthode socialiste scientifique, les Juifs qui refusent l’enfermement tribal, les bouddhistes pacifistes et bien d’autres seront eux-aussi indispensables pour cet effort, pour cette mobilisation, pour cet ijtihad (effort de créativité intellectuelle exigé du croyant dans les textes islamiques), pour ce grand, très grand, Djihad ! Le seul djihad permis en Islam étant le grand djihad qui vise à maîtriser ses passions égoïstes, « reptiliennes », et le petit djihad qui vise à défendre, mais à défendre uniquement, ceux qui sont agressés, et qui peuvent être des Musulmans ou des non musulmans dès lors qu’ils ont conclu un pacte de protection mutuelle avec les Musulmans.

C’est d’ailleurs ce djihad-là qui a été lancé en Espagne à l’époque andalouse, puisqu’un prince espagnol avait abordé avec ses navires la côte du Maghreb pour y rencontrer un Amazigh fraîchement converti, Tarek ben Ziad, et lui demander d’intervenir militairement contre le chef wisigoth qui avait pris illégalement le pouvoir dans son pays (selon les études de l’Université autonome de Madrid, celui qui allait donner son nom au détroit de Gibraltar a pris le contrôle de la quasi-totalité de l’Espagne et qui fut généralement plus souvent accueilli en libérateur qu’en conquérant avait, avec lui, lors de son expédition environ 3.000 Berbères/Amazigh et 6 Arabes ; notons d’ailleurs que le pouvoir wisigothique s’est définitivement effondré à ce moment-là et que la Reconquista a été menée au départ par des montagnards des provinces de l’extrême nord de l’Espagne rétifs à toute domination des gens de la plaine, Puniques, Romains, Wisigoths ou Arabo-berbères).

Rien à voir donc avec le soit disant « djihadisme » !

Alors trêve d’hypocrisie, ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce sont de radicaux, au sens premier du terme, ceux qui vont à la racine des problèmes et des convictions, ceux qui vont au peuple, pour le peuple, ceux qui s’attellent à la solution des problèmes sociaux et économiques, et pas ceux qui crient plus fort, égorgent, tuent, pillent, violent, oppriment, divisent, agressent et qui ne sont pas des « radicaux » mais des révisionnistes, des réactionnaires, des « takfiristes » (« excommunicateurs ») le plus souvent incultes de ce qu’ils prétendent être leur foi.

De la même façon que les prolétaires à qui nous devons les extraordinaires progrès sociaux des « trente glorieuses » et la vague de décolonisation ont pu être contrés par des lumpenprolétaires dégénérés, style SA, SS ou Blackwater, il y a des Musulmans qui lisent les textes islamiques fondamentaux avec en tête l’esprit de justice dont ils sont historiquement porteurs ; ainsi, l’ancien président burkinabé Thomas Sankara déclarait peu avant son assassinat qu’on ne pouvait pas lire de la même façon la Bible ou le Coran si l’on se place du point de vue de l’exploité et du point de vue de l’exploiteur. Et il y a ceux d’entre eux qui, parce qu’ils sont soumis ou terrorisés par leurs maîtres et oppresseurs, cherchent à opprimer et terroriser plus faibles encore qu’eux. Pour le plus grand bénéfice des pêcheurs en eau trouble d’ici et d’ailleurs qui veulent que tout change pour que rien ne change, dans l’Islam et hors de l’Islam.

Alors que les bouches s’ouvrent, et qu’on donne la parole aux Musulmans de justice !

A ceux qui oublient le vrai sens de la Révélation islamique qui n’a fait que poursuive les précédentes, et telle que l’on comprise les masses qui ont répondu à l’appel de cette religion au cours des siècles, voilà le verset cinq de la Sourate Al Qassas:

وَنُرِيدُ أَن نَّمُنَّ عَلَى الَّذِينَ اسْتُضْعِفُوا فِي الْأَرْضِ وَنَجْعَلَهُمْ أَئِمَّةً وَنَجْعَلَهُمُ الْوَارِثِينَ

القصص 5

« Nous voulons favoriser les opprimés sur terre, en faire des dirigeants et en faire les héritiers. »

Les « djihadistes » takfiristes et néo-salafistes ne prennent certainement pas ce chemin, pas plus que leurs maîtres, protecteurs, financiers et géniteurs.

Même si les jeunes incultes qui les suivent cherchent parfois ce chemin, perdus qu’ils sont dans les brumes de systèmes d’éducation « nationale » à la dérive et de jeux vidéos criminels produits par les élèves des « meilleurs » studios du monde…

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About Author

Bruno Drweski

Historien et Politologue - Maître de Conférences à l'Institut national des Langues et Civilisations orientales (Paris - France)

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