ISLAM – Petite histoire de la « religion de la violence »

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Toutes les religions ont connu leurs accès de fièvre violents, des génocides, une violence s’inscrivant en un lieu ou un temps définis. Mais le retour à une pratique religieuse pacifique a été laborieux pour certaines religions, irréversibles pour d’autres et instrumentalisé dans la plupart des cas. Toutes les religions et toutes les idéologies ont eu ou ont leurs extrémistes.

Mais l’Islam est-il intrinsèquement et irrémédiablement violent ?

La violence dans les religions archaïques comme dans les religions monothéistes, le sacrifice, l’enfermement au sein de sa communauté nationale et/ou religieuse, l’utilisation par les religieux et/ou les politiques du bouc émissaire pour conforter leurs positions dominantes, voilà les ingrédients pour nourrir la violence à l’échelle communautaire, nationale, religieuse ou géostratégique.

Religion et violence

Les travaux de René Girard (La Violence et le Sacré) nous éclairent sur la violence, le désir de mimétisme, les rivalités, les interdits, le sacré et la religion. Même si je ne partage pas certaines conclusions concernant l’instauration de règles immanentes comme ce fut le cas avec les religions, je considère que Girard peut aider à comprendre le comportement du racisme et du terrorisme comme une dualité entre l’exclusion et la violence mais qui ne se concrétise pas par des rivalités mais par la violence comme réaction négative pouvant aller jusqu’au meurtre pour régler des conflits qui auraient pu l’être par le dialogue.

Le Traité sur la tolérance écrit par Voltaire en 1763, critiquant vivement les comportements de ses concitoyens et des hauts dignitaires du christianisme régnant, les accusant d’intolérance, cite les régions du monde où les religions cohabitent en parfaite harmonie, de la Grèce jusqu’à l’Asie, en passant par le monde musulman.

Le massacre de la Saint-Barthélemy, déclenché le 24 août 1572 à Paris puis en province, fut l’un des épisodes les plus sanglants des guerres de religion. Les facteurs sont cependant multiples dans le déclenchement de cette colère de masse aveugle et sauvage : le massacre de Protestants par les Catholiques répondait aussi à des tiraillements au sein de la noblesse française et des tensions internationales entre la France et l’Espagne.

L’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique en 1492, alors qu’ils jouaient un rôle important en matières culturelle, philosophique et économique, sous le règne des dynasties musulmanes, s’inscrit dans un mouvement de re-christanisation politique entrepris par les souverains espagnols.

La fin de la Convivencia, époque au cours de laquelle les idées s’échangeaient entre Juifs, Chrétiens et Musulmans en Espagne va ainsi se reconstituer au sud de la méditerranée.

À l’origine, les fondateurs du Christianisme, du Judaïsme et de l’Islam, furent des prédicateurs d’une foi, d’un ensemble de principes de paix, de fraternité et de justice qui étaient souvent en avance par rapport à leur époque respective. Si Moïse et Jésus Christ prêchaient en dehors de toute tribune officiel, sans couverture institutionnelle, Mohamed a été confronté à l’opposition de sa tribu, al-Quraich, d’exercer sa foi, ainsi que ses convertis, dans ce lieu symbolique qu’est La Mecque. En effet, les Quraychites fermaient systématiquement l’accès de la ville sainte aux Musulmans.

Selon Hichem Djaït (La vie de Muhammad – Le parcours du Prophète à Médine et le triomphe de l’Islam, 2012), afin de faire triompher l’Islam du vivant du Prophète, il fallait user de la force guerrière, seule option valable pour réformer et convertir les Arabes qui, à cette époque, ne comprenaient que les rapports de force.

En outre, les Muhajirun (les compagnons du Prophète qui ont émigré avec lui de La Mecque vers Médine), ayant perdu tous leurs biens, se vengeaient en organisant des expéditions contre les caravanes mecquoises, déjà avant la célèbre bataille de Badr. Il convient de souligner que cette période fut marquée par des rapports de violence, en l’absence de juridictions arbitrales et d’institutions coercitives.

D’après Hamidullah (Les champs de batailles au temps du Prophète, 1939), toutes les batailles livrées par Mohamed étaient défensives. Selon Ibn Hicham (218 de l’Hégire) dans la Sirât Rasûlillah, Mohamed aurait dit sur le combat et les armes : « Le vrai combat ne se livre pas au sabre, mais dans l’âme de l’homme. »

Le nombre de victimes fut limité à 216 (voire 250) morts parmi les « infidèles » et entre 138 et 150 parmi les hommes des tribus qui suivaient Mohamed. La plupart des Arabes se sont islamisés sans guerre après la prise de La Mecque par Mohamed, si on se réfère à la sourate Al-Fath (La Conquête). Il est remarquable de noter qu’il n’y a pas eu de massacres qui pouvaient se justifier par une volonté de revanche. Bien au contraire, la méthode choisie fut le pardon (qu’on retrouve d’ailleurs chez Moïse et Jésus), la mansuétude, la recherche de l’adhésion à la religion, en sacrifiant certains principes afin d’aboutir à un compromis. Preuve en est lorsque Mohamed procéda au démantèlement des statues (al-asnams) incarnant les dieux et déesses païens, il souhaitait en faire de même avec la Ka’ba (le Cube), qui est le nom ancien des sanctuaires de vénération des bétyles [ndlr : pierres sacrées]. Mais cette construction, qui a été édifiée avant l’Hégire, sera conservée et vidée des symboles du culte polythéiste. Ce lieu devint le centre de gravité des Musulmans et gardera sa vocation de lieu de pèlerinage et de direction de la prière pour les quatre coins de la planète.

Selon Sahih al-Boukhari, le Prophète a convaincu, en tant que messager (Rassoul), les humbles, les esclaves affranchis, les « sans grades » et tous ceux assoiffés de justice et d’une certaine égalité de traitement vis-à-vis des puissants notables et des grandes familles de Quraiyche. La conversion à l’Islam et son application rigoureuse permettent à n’importe quel fidèle de jouir du Paradis à égalité de traitement avec les autres. Les inégalités de classes sociales s’effacent.

Cette tolérance et la recherche de compromis et d’apaisement rompt avec l’islamisme radical aveugle et instrumentalisé de Daech.

S’appuyant sur plusieurs des Hadiths, l’organisation terroriste veut détruire la Ka’ba :

Abou Hourayra a dit que le Messager d’Allah a dit : « La Kaaba sera détruite par un abyssinien du nom de Dhou As-Souwayquatayn. »

Al-Boukhari (n°1519) : « L’éthiopien aux jambes courtes ruinera la Ka’ba. » ; et, dans une autre version : « Il me semble le voir, noir, les genoux cagneux, en train de la démolir pierre par pierre. »

Le Prophète a dit : « Laissez les Abyssiniens en paix tant qu’ils en feront de même pour vous ; seul l’Abyssinien aux jambes courtes extraira le trésor de la Ka’ba. » (Abou Dâwoûd)

Cette destruction définitive de la Ka’ba, rendant le pèlerinage impossible et faisant partie des signes majeurs de la fin des temps fait consensus chez tous les grands oulémas musulmans.

Les représentants de L’État islamique en Irak et au levant (EIIL) ont déclaré qu’ils détruiront la Ka’ba, après la conquête de l’Arabie Saoudite.

Abou Tourab al-Mugaddasi (membre de l’EIIL) a confirmé que son mouvement allait détruire la Ka’ba à La Mecque : « Si Allah le veut, nous allons tuer ceux qui adorent des pierres à La Mecque et détruire la Ka’ba. Les gens vont à la Mecque pour toucher les pierres, pas pour Allah. »

La recherche du pouvoir, pas la religion

Les différents courants qui traversent l’Islam depuis des siècles peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs.

Premièrement, les Hadiths [ndlr : ou « tradition du Prophète », rapportent des faist et diers attribués au Prophète Mohamed] sont des paroles et actions attribuées au Prophète et non une parole divine. Certains auteurs en comptent 700.000 rapportés par 50.000 compagnons ! Et il existe à ce jour environ 100.000 hadiths sahîhs, c’est-à-dire reconnus comme « authentiques ».

Leur authenticité dépend de la qualité de la chaîne de transmission (isnad) qui peut s’étirer sur une période comprise entre cent à deux cents ans. Les seuls qui paraissent crédibles (sahîhs) sont ceux certifiés par quelques savants, comme l’imam Al-Boukhârî (810-870). Ce dernier est l’auteur du Sahîh Al-Boukhârî . Son ouvrage regroupe 7.563 hadiths avec répétition et environ 2.230 sans répétition. Né à Boukhara dans l’actuel Ouzbékistan, il a sillonné pendant seize années les hauts lieux de l’Islam : La Mecque et Médine, Bagdad, l’Égypte et la Syrie. Son travail colossal visait à rectifier les hadiths inventés au cours du temps pour justifier les ambitions des califes et des rois ou pour corrompre l’Islam.

Deux autres savants sont aussi devenus la référence pour les Sunnites : Al-Tirmidhî (824-892), qui fut un compatriote et un complice de l’imam Al-Boukhârî ; et l’imam Muslim, né à Nichapur, en Iran, en 821, et qui semble disposer des recueils les plus sûrs de l’Islam sunnite, fréquemment appelés Sahîh Muslim (son auteur aurait produit son recueil en examinant près de 300.000 hadiths, un travail de quinze années).

À cela s’ajoute que les divergences sur l’authenticité des hadiths s’expliquent et sont même provoquées par l’opposition entre Chiites et Sunnites…

Deuxièmement, le Prophète Mohamed, contrairement à Jésus-Christ et à Moïse, fut un chef religieux et qui dirigeait aussi des institutions naissantes sur la base de valeurs nouvelles et souvent en avance sur son époque. Son autorité, tant morale que judiciaire, réglementaire et exécutive, fut incontestée et incontestable. Il cumulait les fonctions de chef d’un État embryonnaire et de « Commandeur des Croyants ». Il a donné la priorité à la piété, à la conviction, sans faire un usage excessif de ses forces armées. Il ne voulait pas imposer l’Islam par la violence de l’épée, mais par un argumentaire détaillé, alternant la récompense (l’admission au Paradis) et la sanction éternel (l’Enfer) avec une description minutieuse de l’un et de l’autre. De ce point de vue, les guerres menées par Mohamed furent défensives. Il n’en ira pas de même de celles qu’entreprirent ses successeurs…

De là la violence… Il convient de distinguer deux périodes : la première, transitoire, verra l’autorité religieuse, judiciaire et exécutive exercée par les compagnons du Prophète (Sahabats) ; la deuxième est marquée par la transmission du pouvoir aux descendants du Prophète, ce qui est contraire à la méritocratie (qui dépend d’un degré élevé de piété, comme suggéré par Mohamed).

Héla Ouardi, dans son ouvrage publié en 2016, Les derniers jours de Muhammad, décrit la fin de vie du Prophète sous un jour chaotique, suspectant son entourage de chercher à l’empoisonner afin de l’empêcher de trancher quant à sa succession. Et ses compagnons, en effet, s’engagèrent dans une lutte pour le pouvoir et son clan s’entre-déchira, ouvrant la voie à des guerres meurtrières.

À l’exception du premier calife, Abû Bakr, beau-père de Mohamed et père d’Aïcha, les autres califes, Omar Ibn Al-Khattâbe, Othmâne Ibn Affân, Ali Ibn Abû Talib et son fils Hassan ont tous connu une fin tragique, tous assassinés.

Progressivement les successeurs vont se préoccuper davantage de la prise du pouvoir que de l’application des préceptes du Coran, sur fond de rivalités tribales et régionales. Cela devient flagrant, lorsque le quatrième calife, Ali, cousin germain de Mohamed et époux de sa fille Fatima, adoubé par Médine, sera contesté par deux Mecquois, Talha et Zubayr. Soutenu par Aïcha, fille d’Abû Bakr, ils levèrent une armée pour s’opposer à sa nomination. La victoire d’Ali contre les rebelles est de courte durée. Il sera vaincu par le gouverneur de Syrie, ibn ʾAbī Sufyān, et perdit le califat avant d’être assassiné par un Kharijite (658), secte qui revendiquait l’égalité d’accès aux plus hautes responsabilités aussi bien par un esclave qu’un noir (cette secte comptait 500.000 ibadites, implantés surtout en Afrique).

Ali, fondateur de fait du mouvement Chiite, eut deux fils, dont Hassan, qui lui succéda à sa mort et devint le cinquième calife (625-669), mais qui se fera flouer par l’habile Mu’awiyya, dont certains dénonçaient l’opportunisme et doutaient de la sincérité de sa conversion à l’Islam. Les deux prétendants au califat, ayant désigné chacun un négociateur, s’engagèrent à s’en remettre à leur jugement. Dans le secret de leur isoloir, les deux arbitres se mirent d’accord pour proposer le renoncement d’Hassan et placer Mu’awiyya au pouvoir. À la sortie et devant le public, cependant, coup de théâtre : Mu’awiyya maintiendra sa candidature alors que Hassan va déclarer y renoncer.

Cet épisode lourd de conséquences montre à quel point la dimension humaine fut au centre des comportements des protagonistes. Les principes religieux de piété, de rectitude et de dévouement à la cause religieuse laissent place à des préoccupations matérielles de jouissance des bienfaits de l’exercice de l’autorité politique et de son confort.

Pour certains témoins Hassan, le second imam des Chiites, va retourner à Médine pour mener une vie luxueuse…

Son frère Hussaïn, troisième imam des Chiites, entra en conflit avec le calife Yazid (680) et se fit assassiner avec sa famille à Karbala (Irak), alors qu’il se rendait à une invitation de ses partisans perses.

Lorsque les ambitions politiques de familles et personnalités se concrétisent par une prise de pouvoir, la violence se banalise et se met au service d’une volonté de conquête, d’enrichissement et de pérennisation de la dynastie.

Les dynasties arabo-musulmanes qui vont se succéder ont évolué de la même manière que tous les empires à leur époque respective, privilégiant la conquête du trône et sa transmission à leur descendance.

Afin de légitimer son pouvoir califale, Mu’awiyya ibn ʾAbī Sufyān se donnera le nom de son ancêtre Omayyah Ibn Abd Shams, grand-oncle du prophète Mohamed, originaire de la tribu Qurayche.

Les Omeyyades vont gouverner le monde musulman de 661 à 750 et régner sur un État aux larges frontières, s’étendant de Damas, leur capital, jusqu’à la péninsule ibérique. Battu par les Francs de Charles Martel à Poitiers en 732, ils combattirent cependant l’Empire byzantin et l’Empire khazar, et firent disparaître le Royaume wisigoth en péninsule ibérique.

Contrairement la politique prônée en mla matière par Daech, les Omeyyades vont assimiler les non-musulmans (Chrétiens, Juifs, Zoroastriens, etc.), leur accordant une relative liberté de culte et une large autonomie judiciaire. La seule obligation qui leur fut imposée, ce fut un impôt, la ǧizyah, en contrepartie du fait qu’ils ne pouvaient pas être enrôlés dans l’armée.

Cet empire fonctionna, sans fanatisme religieux, maintenant la plupart des fonctionnaires byzantins dans leurs postes. Cette tolérance religieuse est habile et en rupture avec tout dogmatisme religieux. Elle visait à stabiliser une Syrie, majoritairement chrétienne, et à s’assurer une assise territoriale. Plusieurs savants prêtaient à la descendance d’Omayyah Ibn Abd Shams un manque de sincérité dans leur conversion à l’Islam. Contrairement aux préceptes de la religion musulmane prônant l’égalité entre tous les Musulmans, quelle que soit leur ethnie, des classes sociales se formèrent dans les provinces éloignées de l’empire à l’origine de troubles. Des inégalités sociales marquèrent les relations entre les Musulmans arabes et les peuples conquis, mais aussi entre tribus arabes rivales. Celles qui se réclamaient du Prophète Mohamed en firent chuter d’autres, qui avaient pourtant la même légitimité.

L’objectif était constamment la conquête du pouvoir et la jouissance de ses bienfaits matériels. Ainsi, un mouvement hétéroclite dirigé par les Abbassides fera chuter les Omeyyades, dont la famille régnante fut assassinée après la défaite au Grand Zab, en 750. Le fondateur de cette dynastie est Abû al-Abbâs As-Saffah, descendant de Al-Abbas ibn Abd al-Muttalib, oncle de Mohamed. L’un des survivants omeyyades fondera un État à Cordoue, en Andalousie, cinq ans plus tard.

Après avoir atteint son apogée sous Hâroun Arrachid, l’empire abbasside déclina et le Calife se cantonnera à un rôle religieux, sous la tutelle des Bouyides, au Xème siècle, puis des Seldjoukides, au XIème siècle. Le coup de grâce viendra des Mongoles, qui s’empareront de Bagdad, en 1258. Repoussée vers le Caire, une branche de la dynastie s’y installa en conservant le titre de Calife, mais sous domination des sultans mamelouks. En 1492, l’Espagne est entièrement reconquise (prise de Grenade) par les Chrétiens. Juifs et Musulmans sont expulsés vers le Maghreb.

Au Maghreb, la conquête musulmane fut initiée par les Kharijites, qui ont su convaincre les Berbères, lesquels étaient initialement rétifs à la domination arabe et attachés à leur système de communauté égalitaire avec une implication des femmes dans la vie sociale et économique.

Mais les rébellions se multiplièrent, dont une insurrection qui conduira Maysara à s’emparer de la ville de Tanger, en 739, après l’assassinat de son gouverneur. Les révoltes berbères n’avaient pas comme objectif la contestation de l’Islam, mais la protection de leur économie pastorale et l’exploitation de leurs richesses. Après la chute des Omeyyades de Syrie, l’ouest de l’Empire échappa ainsi totalement au pouvoir central de Damas.

Les Berbères, quand ils purent prendre et exercer le pouvoir, n’ont pas hésité à le faire. Ainsi, les Almoravides (Al-Mourabitoun signifie « combattants du ribat » ; les ribats sont des fortins qui furent construits au Maghreb sur les frontières pour défendre les territoires islamisés) sont issus des tribus berbères sanhadjas, des Lamtounas et des Guzzalas, qui nomadisaient dans le désert saharien entre l’Adrar et le Tafilalet. Ces tribus guerrières, menées par Abdullah Ibn Yassi, ont instauré un Islam sunnite de rite malékite en Andalousie et en Afrique du Nord et dans une partie de l’Afrique de l’ouest.

C’est la preuve, s’il en fallait une, qu’ils étaient largement majoritaires, et pour cause : les Arabes, qui ont envahi des contrées allant de l’Espagne jusqu’à l’Europe centrale et orientale en passant par l’Asie (Inde, Indonésie, Chine, Iran et l’Extrême-Orient), n’étaient pas en nombre suffisant pour s’y installer définitivement. Le débat qui est encore lancinant au Maghreb et qui peut engendrer une montée des violences, c’est celui qui oppose Arabes musulmans et Berbères musulmans.

Vaincus, les Berbères étaient pourtant majoritaires en Afrique du Nord. Ils acceptèrent le joug de leurs envahisseurs, soit pour ne pas devoir payer l’impôt levé sur les non croyants, soit pour s’allier les bons services des nouveaux maîtres des lieux, ou par conviction. Depuis qu’ils se sont affranchis de l’autorité des califes installés à Damas ou à Bagdad, à certains moment de leur histoire, ils acceptèrent de confier les clés du pouvoir à un dissident venus de La Mecque et prétendant appartenir à la famille du Prophète Mohamed (soulala charifa).

Ce fut le cas des Idrissides, dont la dynastie fut fondée par Idris Ier, arrière-petit-fils d’Al-Hassan ibn Ali. Fuyant la menace des Abbassides, Idris s’installera à Walilah (Volubilis), sous la protection de la tribu berbère des Awarbas et avec le soutien d’autres tribus locales. Il est instructif de remarquer la combinaison entre un transfuge venant de La Mecque qui apporta la caution religieuse d’une famille proche du Prophète et des tribus qui cherchaient un guide (imam) venant de l’extérieur, arbitre et homme providentiel.

Les Idrissides sont les bâtisseurs d’un État, d’une administration (le Makhzen, ce qui signifie « trésor public ») et de plusieurs villes, telles Fès, nommée capitale, Salé, Wazzequr, Tamdoult et Basra, ainsi que d’une université, Al-Quaraouiyine, qui participera à l’âge d’or islamique des sciences, des arts et des lettres, aux côtés des grands centres civilisationnels que sont à l’époque Cordoue, Le Caire et Bagdad.

Leur règne, qui débute en 789, est marqué par le pragmatisme sur le plan religieux : ils abandonnèrent le rite chiite pour embrasser le Sunnisme, afin de rester en phase avec leurs voisins Omeyyades installés en Espagne. Ces derniers, dans une alliance objective avec les Zirides –vassaux des Fatimides– et les Zénètes, auront raison de cette dynastie en 985.

On le voit : les conquêtes et les rivalités entre factions musulmanes furent dictées davantage par la recherche de ressources agricoles et minières. L’expansionnisme musulman était moins violent que celui des envahisseurs venant des autres civilisations, comme les Vikings venus de Scandinavie, qui convoitaient les ressources potentielles qu’offrait le sud de la Méditerranée.

La multiplication des royaumes et vassaux des deux grandes dynasties relève de considérations socio-économiques sur fond d’interprétations divergentes du Coran et des hadiths. Ainsi en fut-il du royaume des Berghouata (744-1058), une agrégation de tribus issues des Masmoudas, qui, après avoir participé à la révolte kharijite de Maysara, vont établir un émirat indépendant dans la région de Tamesna, entre Safi et Salé (côte atlantique de l’actuel Maroc), sous la direction de Tarif al-Matghari. Cet État aura l’outrecuidance d’inventer un nouveau culte, empruntant à l’Islam et au Judaïsme ainsi qu’aux croyances antiques locales et adopta  un livre saint inspiré du Coran. Malgré leurs divergences idéologiques, ils établirent des relations diplomatiques et commerciales avec les Omeyyades de Cordoue. Ces derniers étaient soucieux, avant tout, d’affaiblir les Fatimides et leurs alliés zénètes.

Autre exemple de la primauté de la « réalpolitique » sur le religieux : la dynastie des Midrarides, fondée par Samgou Idn Wassoul al-Miknassi et basée à Sijilmassa (758-1055). Après avoir adopté officiellement le kharijisme de rite sufrite, les nouveaux gouvernants vont reconnaître à partir de 883 la suprématie religieuse du califat sunnite des Abbassides de Bagdad, tout en gardant d’excellentes relations avec les autres États kharijites, comme le royaume des Rostémides de Tahert dirigé par une dynastie d’origine persane.

Sijilmassa, comme tous les royaumes et califats, va développer un courant d’affaires avec le royaume du Ghana, à l’époque centre de gravité des gisements aurifères de l’Afrique de l’Ouest. Ce juteux commerce de métaux précieux va attirer les convoitises des Omeyyades de Cordoue et des Fatimides, ainsi que des Almoravides, qui auront le dernier mot en écrasant le royaume midraride, en 1055.

Le ciment religieux (un schisme de l’Islam) a toujours joué un rôle de mobilisation de certaines tribus pour conquérir le pouvoir puis l’exercer. Très vite, le socle religieux laisse place à un exercice du pouvoir comme n’importe quel État se réclamant d’une quelconque religion. Ainsi, les Almohades (Al-Muwaḥḥidun) ont lancé leur opération de conquête du pouvoir à l’encontre des Almoravides sur la base d’une réforme morale puritaine prônée par Mohamed Ibn Toumert, en 1120, et soutenu principalement par les tribus des Masmoudas du Haut Atlas (Al Maghrib Al Aqsa). Son successeur, Abd al-Mumin, ne tarda pas à instaurer un régime héréditaire, en 1130, et les tribus berbères qui le soutinrent renversèrent les Almoravides en 1147, et seront à leur tour éliminées par les Mérinides en 1269.

Les Bani Marin, tribu berbère n’ayant pas une doctrine spécifique, devaient s’appuyer sur des états de service lors de guerres comme la bataille d’Alarcos (1196), remportée par le camp almohade, et celle de Las Navas de Tolosa, que les troupes mérinides remportèrent contre les soldats almohades en s’alliant à des troupes chrétiennes…

L’islamisme au Maghreb est à l’image des origines de sa population berbère génétiquement modifiée, suite aux invasions successives des Phéniciens, Romains, Vandales, Arabes, Espagnols, Turcs et Français. En outre des Juifs et des Espagnols islamisés arrivèrent en Afrique du Nord après 1492, en provenance d’Andalousie. L’arrivée des tribus hilaliennes (tribus bédouines arabes) chassées d’Égypte a accéléré, à tous les niveaux, l’arabisation de plusieurs tribus berbères.

C’est Ibn Khaldoun, vrai fondateur de la sociologie arabophone, qui fait l’analyse la plus objective du processus de prise du pouvoir grâce à l’esprit de corps (l’asabiyya) suivie d’une période faste et se terminant par le déclin. L’exercice des responsabilités en toute quiétude avec perte de solidarité et divergences d’intérêts, voire déception de ceux laissés pour compte explique la chute des régnants face à la montée en puissance d’une ou plusieurs tribus qui connaîtront les mêmes travers et chuteront à leur tour.

La religion musulmane (ou, plus exactement, telle ou telle « version de l’Islam ») n’est ainsi nullement à l’origine du déclenchement d’une violence fondatrice d’un ordre nouveau, mais bel et bien le désir au sens de René Girard, de s’accaparer les biens que possèdent les autres tribus.

Ce n’est pas un hasard si les populations berbères du Maghreb ont embrassé le schisme kharijite, qui est une dissidence par rapport à l’ordre établi à Damas ou à Bagdad sur fond de rivalités tribales parfois arbitrées par un imam venu du Machrek (les Idrissides) ou directement en tant qu’habitants autochtones (Almohades, royaume de Berghouata, Almoravides…).

Ibn Khaldoun expliquait les causes des évolutions historiques des tribus maghrébines par des facteurs sociaux, culturels, climatiques,

C’est le mouvement d’une asabiyya qui mène vers le mulk (la royauté). Ibn Khaldoun ne prétend donc pas retrouver dans l’histoire quelque dessein de Dieu et note que le sentiment religieux se dénature et se dissout en même temps que se distendent les liens de solidarité de l’asabiyya. Cette doctrine heurte le rigoureux idéalisme malékite qui règne alors au Maghreb.

La religion est à la fois superstructure du niveau d’éducation et de culture des gens et idéologie permettant de se différencier des autres et de les désigner comme bouc émissaire, dont l’élimination par la violence est la seule issue possible.

La religion permet aux dirigeants d’asseoir un ordre moral et de respect des institutions ; et c’est en plus une parade contre les comportements insidieux, séditieux et déviants. L’Islam, jusqu’à nos jour, s’insère dans un ordre politique. Elle est un supplétif à la volonté de l’appareil coercitif de faire respecter la sécurité des biens et des personnes. Dans une région où les forces de justice et de police ne peuvent assurer la paix, surtout que la siba (anarchie) est répandue dans les campagnes et les villes, la religion musulmane est facteur de stabilité et d’autorégulation des rapports humains et sociaux. Comme disait Voltaire, « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer » ; en poursuivant : « Je veux que mon procureur, mon tailleur, ma femme même croient en Dieu. »

La violence, à l’époque du Prophète

L’Islam originel était tolérant vis-à-vis des autres religions monothéistes pour la raison simple que Mohamed estimait que sa prophétie était dans la continuité des deux grandes religions qui ont précédé l’Islam : le Christianisme et le Judaïsme.

Lors de ses voyages en tant que représentant du commerce caravanier de Khadija bint Khuwaylid (qui deviendra sa première épouse), il a eu l’occasion de rencontrer des rabbins judaïques et des Chrétiens, qui lui expliquèrent les écritures sacrées. Il semblerait d’après certains hadiths que le cousin de Khadija, Waraqa Ibn Nawfal, se disait chrétien « nazaréen » (nasraniy) et avait une maîtrise parfaite des livres hébraïques. Il fait partie de ceux qui annoncèrent la venue d’un prophète (le Messie). Mais, au lieu de croire comme les Chrétiens orthodoxes que le Messie n’est autre que Jésus-Christ, les judéo-nazaréens pensaient qu’il serait le prochain prophète.

Un hadith rapporte que, quand Waraqa mourut, la révélation faite à Mohamed s’interrompit pour un temps.

Les Hadiths mentionnent Waraqa comme étant apparu en rêve dans la tenue des gens du Paradis (Jannah). C’est le premier qui reconnaîtra les signes de la révélation par l’ange Jibril lorsqu’il ordonna à Mohamed de lire : Iqraa (sourate Al-Aalaq).

Parmi les signes de tolérance non-violente de Mohamed, son retour à La Mecque ne s’est pas traduit par un massacre, comme cela se pratiquait à cette époque.

Certains prétendants à la prophétie n’ont pas été éliminés et sont décédés avec leurs convictions en dehors de toute islamisation. Il convient de citer Oumaya Ibn Abi Assolte, poète érudit, aimant les voyages et ayant rencontré des rabbins hébraïques et des prêtres chrétiens qui lui ont appris les livres de leur religion respective. Oumaya était monothéiste et fustigeait le culte des statues. Il semblerait que Mohamed avait accepté de débattre avec lui en présence de leurs fidèles respectifs.

En d’autres temps plus récents, le Russe Staline a fait assassiner Trotski qui s’était réfugié au Mexique suite à des divergences idéologiques. Les États-uniens n’ont-ils pas condamné à mort deux anarchistes d’origine italienne, en 1920, Sacco et Venzetti ? Sans parler des victimes du Maccarthysme, système de persécution des communistes, socialistes et syndicalistes aux États-Unis dans les années 1950, et des attentats et autres coups d’État fomentés par la CIA…

Durant toutes les conquêtes qui suivirent le décès de Mohamed, il n’y a eu ni génocide, ni oppression des non croyants, mais il leur a été appliqué un impôt.

Voltaire ne tarit pas d’éloges sur cette tolérance de l’Islam en ces termes : « Dans nos siècles de barbarie et d’ignorance, qui suivirent la décadence et le déchirement de l’empire romain, nous reçûmes presque tout des Arabes : astronomie, chimie, médecine, et surtout des remèdes plus doux et plus salutaires que ceux qui avaient été connus des Grecs et des Romains. L’algèbre est de l’invention de ces Arabes ; notre arithmétique même nous fut apportée par eux. »

Je cite encore Voltaire : « Ces mêmes Maures cultivèrent les sciences avec succès, et enseignèrent l’Espagne et l’Italie pendant plus de cinq siècles. Les choses sont bien changées. Le pays de saint Augustin n’est plus qu’un repaire de pirates. »

En réponse à un auteur qui lui reprochait de considérer Mohamed comme un grand homme, Voltaire écrivit : « J’ai dit qu’on reconnut Mohamed pour un grand homme ; rien n’est plus impie, dites-vous. Je vous répondrai que ce n’est pas ma faute si ce petit homme a changé la face d’une partie du monde, s’il a gagné des batailles contre des armées dix fois plus nombreuses que les siennes, s’il a fait trembler l’empire romain, s’il a donné les premiers coups à ce colosse que ses successeurs ont écrasé, et s’il a été législateur de l’Asie, de l’Afrique, et d’une partie de l’Europe. »

Il ne s’agit pas d’idéaliser telle ou telle religion. L’Islam n’est ni plus ni moins violent intrinsèquement que le Christianisme ou le Judaïsme.

Si Voltaire avait vécu dans les territoires contrôlés par Daech, et s’il avait eu à comparer les Musulmans avec les Catholiques français, il aurait tenu un autre discours.

L’Islam a été édulcoré dès l’origine par les interprétations de telle ou telle sourate et par cette profusion de hadiths, dont tous les oulémas s’accordent pour dire qu’une bonne partie, si ce n’est 80%, étaient des inventions pour conforter le pouvoir de tel calife ou tel roi ou pour soutenir un projet, un dessein, une conquête ou un partage des rôles. Les successeurs de Mohamed n’ont pas été concentrés comme lui sur une mission d’explication et de diffusion de principes et valeurs, mais par des enjeux de pouvoir et de jouissance des bienfaits que leur confèrent leurs fonctions étatiques et sociales.

Il faut retenir la dimension humaine et l’oscillation entre le spirituel qui impose des interdits, promet une récompense suprême (le Paradis), menace d’une sanction terrible (l’Enfer), et la vie terrestre matérielle qui naturellement peut donner des avantages immédiats. Mohamed n’était-il pas lui-même un riche commerçant, appartenant à la noblesse quraychite mecquoise ? Il a soutenu son statut par « hallala allahou attijarata » ou « harrama arriba » : « Dieu a permis le commerce et a interdit l’usure. » C’est une bonne riposte aux usuriers qui « spoliaient » les commerçants.

La violence dans le Coran

La présence de sourates dans le Coran ou des hadiths invoquant la nécessité de combattre les ennemis est à expliquer par le contexte de l’époque.

Mohamed, contrairement à Moïse et à Jésus, était chef d’État, Rassoul Allah (envoyé de Dieu) et chef guerre. Il s’est même blessé lors de la bataille d’Uhud.

Depuis les attentats de Paris en janvier 2015, des voix veulent illustrer la violence de l’Islam en citant certaines sourates du Coran, sans les restituer dans leur contexte et leur temporalité.

Quelques exemples :

La sourate 9 (verset 29) dit : « Combattez ceux qui ne croient pas en Allah, qui ne considèrent pas comme illicite ce qu’Allah et son prophète ont déclaré illicite (…) jusqu’à ce qu’ils paient le tribut, humiliés et de leurs propres mains. »

La sourate 2 (verset 216) dit  : « Le combat vous est prescrit et pourtant vous l’avez en aversion. Peut-être avez-vous de l’aversion pour ce qui est un bien et de l’attirance pour ce qui est un mal. Allah sait et vous ne savez pas. »

La sourate 9 (verset 5) : « Lorsque les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles partout où vous les trouverez. »

La sourate 8 (verset 17) : « Vous ne les avez pas tués [vos ennemis]. C’est Allah qui les a tués. Lorsque tu portes un coup, ce n’est pas toi qui le portes, mais Allah qui éprouve ainsi les croyants par une belle épreuve. »

La sourate 47 (verset 35) : « Ne faiblissez pas et ne demandez pas la paix quand vous êtes les plus forts et qu’Allah est avec vous ! »

La sourate 5 (verset 33) dit encore : « La récompense de ceux qui font la guerre à Allah (…) c’est qu’ils soient tués ou crucifiés, ou que soient coupés leurs mains ou leurs pieds. »

Il convient de périodiser et de contextualiser ces textes. Mohamed devait faire vivre un Islam naissant, au gré des tribus dominantes et des empires voisins.

Dans un hadith cité par Al Boukhari, rapporté par Oubaid Allah Bin Moussa, on lit :  « Le Messager de Dieu a dit : ‘L’Islam s’est construit sur cinq (piliers) : témoignage qu’il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et Mohamed, Prophète de Dieu ; faire la prière ; payer l’aumône (zakat) ; accomplir le pèlerinage ; et jeûner le ramadan ».

Il n’est point question de jihad, ni de combattre quiconque.

D’autres temps, d’autres mœurs…

De nos jours, il n’est plus besoin de faire la guerre à d’autres peuples pour des raisons religieuses. Nous sommes dans un village mondialisé où les Musulmans sont citoyens dans des pays où l’Islam n’est pas la religion d’État.

La guerre sans pitié que les États-uniens ont infligée aux Vietnamiens était aussi condamnable que les actes terroristes de Paris ou de Bruxelles. Les massacres au nom d’un idéal ont toujours existé. La révolution française a connu sa période de terreur comme aussi la révolution bolchevique qui devait libérer le prolétariat et qui a broyé des millions d’innocents.

La violence est présente dans la Marseillaise : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons. » Certains invoquent la pureté par rapport à une classe sociale (les paysans versus les nobles) ou par rapport à l’ennemi étranger. Rappelons que l’hymne national de la France reprend un vieux chant guerrier datant de 1792 et écrit pour l’armée du Rhin. Cette armée luttait contre la coalition royaliste.

Les « Islams » du Monde arabo-musulman

L’Islam a été traversé, quant à son interprétation, par les différences des cultures qu’il a dominées et les traits de caractère des populations conquises. Les Musulmans en Afrique noire ont gardé certains rites et autres éléments de sorcelleries, alors que les Maghrébins ont adopté un Islam dissident (les kharijistes) plus tolérant et plus égalitaire à l’image de sa forte berbérité.

Les Islamisés en Asie ont modulé la pratique de l’Islam suivant leurs situations historiques, ethniques et culturelles. Les Perses (Iran) sont restés sur une rancune vis-à-vis des Sunnites après l’assassinat de la famille d’Ali ; les Musulmans chinois, indonésiens, ont une interprétation plus douce de l’Islam que les Pakistanais, plus rigoristes.

Les possibilités de voyager et de communiquer ont rebattu les cartes. Les pratiques religieuses se sont modifiées. Des comportements ont été influencés au grès des contacts et des interpénétrations entre fidèles venant d’autres contrées.

Je me souviens, en 1970, lorsque j’avais adhéré au mouvement des Frères Musulmans, que nous avions reçu des prêcheurs pakistanais qui m’avaient convaincus de changer ma tenue vestimentaire (pantalon et chemise, à l’occidentale) pour l’abaya. Ce que ma mère avait refusé catégoriquement, car cela ne se faisait pas dans un Maroc sunnite malékite…

En Algérie, l’arrivée des Frères venant de Syrie, d’Irak et d’Égypte, pour prendre le relais des enseignants algériens exclusivement francophones, après l’arabisation de l’enseignement, a contribué à la radicalisation des années 1980 et 1990. En outre, le départ de volontaires algériens en Afghanistan a aggravé ce phénomène…

La radicalisation des mouvements islamistes au XXème siècle a été nourrie par les événements qu’ont connus le Moyen-Orient et l’Égypte à la fin du règne ottoman et  au début de l’occupation britannique à la faveur des accords Sykes-Picot, signés le 16 mai 1916. Les tribus arabes se sont senties trahies par Lawrence d’Arabie, cet agent des services secrets britanniques qui a coordonné la révolte contre l’occupant ottoman et aidé son administration à l’organisation des futurs émirats et royaumes. La création de l’État d’Israël en terre palestinienne et les guerres perdues contre cette entité, ainsi que les interventions franco-britanniques, ont été les catalyseurs de l’émergence et de la montée d’un islamisme militant, engagé politiquement.

Mais ce sont les interventions états-uniennes, qui eurent lieu par la suite, en Afghanistan et au Machrek, sur fond de guerre froide avec l’URSS, et la volonté de contrôler les richesses des pays du Golfe qui ont stimulé l’intégrisme islamiste.

Il est en outre évident que l’extrémisme religieux qui se manifeste aux États-Unis est beaucoup plus dévastateur que celui des jihadistes, dont il est la créature difforme. L’un ne peut excuser l’autre, mais force est de constater que, lorsque l’Église évangélique s’est emparée de l’esprit des dirigeants de la première puissance mondiale, les dégâts ont été beaucoup plus importants que ceux causés par les quelques milices de Daech ou d’AQMI, dont on ne peut pas comprendre comment elles peuvent résister à une coalition rassemblant 90% des forces armées du monde.

La domination culturelle et médiatique des États-Unis leur permet de nier l’évidence et d’accabler leurs adversaires. Les immigrants venus d’Europe ont massacré par millions les habitants autochtones sur le nouveau continent en invoquant la supériorité de leur religion par rapport à celle des habitants historiques de l’Amérique.

Mais notre imaginaire a été éduqué autrement : on lui a inculqué que, « les méchants », c’étaient les « Peaux-rouges » et que, les gentils, ce sont les héros blancs. Ces États-uniens ne seront jamais présentés comme des bourreaux par les historiens. Et pourtant, ils le furent, lors de leurs interventions en Asie, en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient.

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Camille Sari

Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives

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