ÉTAT ISLAMIQUE – Quand les moudjahidin dament le pion à Washington sur Facebook et Twitter

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Après avoir longtemps sous-estimé le potentiel de l’État islamique (EI), les États-Unis se sont engagés dans une nouvelle campagne militaire au Moyen-Orient. Accompagnés d’une large coalition de pays arabes et occidentaux, ils ont multiplié au cours des dernières semaines les frappes aériennes visant des objectifs stratégiques de l’EI et du Front al-Nosra (la branche syrienne d’al-Qaeda) en Syrie et en Irak. En dehors du champ de bataille, la coalition doit également faire face à la propagande de l’EI, très active sur Internet. Le gouvernement américain s’est donc également lancé dans une guerre de l’information, un terrain sur lequel l’administration Bush avait largement échoué lors de l’invasion de l’Irak en 2003. L’enjeu, en effet, c’est de convaincre l’opinion du bien-fondé d’une action militaire, et ce malgré les profondes incohérences de la politique étrangère de Washington. Histoire d’une « diplomatie publique » en faillite…

L’EI est en quelques semaines parvenu à prendre le contrôle de larges parties des territoires syriens et irakiens.

Dotée de moyens militaires performants et d’une véritable armée, elle est aussi une machine de propagande qui est arrivée à se rallier des sympathisants à travers le monde entier, dont plusieurs milliers sont venus combattre dans ses rangs.

De l’annonce du retour du Califat à la mise en scène sordide de l’assassinat d’Occidentaux, l’organisation s’est montrée capable de tirer profit des outils les plus modernes afin de communiquer, convaincre ou recruter. Très présente sur les réseaux sociaux, elle publie régulièrement des vidéos et diffuse massivement ses informations sur Twitter, malgré la suppression par l’entreprise américaine des comptes de ses sympathisants, que l’on estimait à plus de 60.000 cet été.

Plus qu’un engagement purement militaire, combattre l’EI exige donc de la « Coalition internationale » qu’elle adopte également une stratégie de contre-propagande.

D’abord, il s’agit de saper la légitimité de l’EI : si la proclamation du « califat » d’Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’EI, a globalement été accueillie dans l’indifférence par la plupart des Musulmans à travers le monde, certains ont toutefois été séduits par son appel au djihad, sa remise en cause des frontières définies par les Accords Sykes-Picot, ses succès militaires et sa progression rapide à travers l’Irak et la Syrie jusqu’alors dominés par des gouvernements chiites. À cet effet, les gouvernements du Golfe ont, dans un premier temps, mobilisé leurs oulémas, figures de l’autorité religieuse, à travers la presse et les chaînes de télévision, afin de décrédibiliser le discours religieux de l’EI et de présenter l’incompatibilité de ses méthodes et de ses principes avec l’Islam.

Il s’agit ensuite de remettre en cause la sincérité de l’opposition de l’EI au régime de Bachar al-Assad en Syrie. Les médias ont à ce titre largement mis en évidence l’affaiblissement de l’opposition syrienne, de l’Armée syrienne libre notamment, depuis que ces groupes doivent également se battre contre l’EI.

Enfin, les Etats-Unis doivent faire face à de multiples théories du complot, dans une région où elles fleurissent habituellement. Se basant sur divers documents, des faux grossiers, quelques conspirationnistes avaient affirmé qu’Abou Bakr al-Baghdadi et Hillary Clinton, à l’époque où cette dernière était secrétaire d’État, s’étaient rencontrés à plusieurs reprises, accusant ainsi les États-Unis d’avoir délibérément participé à la création de l’EI dans le but de diviser davantage le monde arabe. Cette histoire grotesque avait entraîné la convocation embarrassante – pour le Liban – de l’ambassadeur des États-Unis à Beyrouth par le ministre libanais des Affaires étrangères…

Il est donc nécessaire pour le gouvernement du président Barack Obama de s’engager sur « le champ de bataille de l’information ».

Il dispose à cet effet de puissants outils de « diplomatie publique », discipline née pendant la guerre froide et souvent employée pour désigner la propagande (terme qui a pris un sens très péjoratif…). Elle peut néanmoins être considérée comme sa forme moderne, plus élaborée…

Son objectif est de « gagner les cœurs et les esprits » à l’étranger, offrant ainsi des conditions favorables à l’exercice de la politique extérieure américaine.

Un sous-secrétariat d’État lui est spécifiquement dédié. Il est dirigé par Richard Stengel, qui soulignait, en septembre, la nécessité pour le gouvernement américain d’accompagner son intervention militaire d’une campagne de diplomatie publique adéquate.

La diplomatie publique américaine est sans aucun doute la plus développée au monde : le gouvernement américain a mis en place un réseau de médias (Voice of America, Al Hurra,…) faisant office de relais et offrant une lecture américaine de l’actualité. Il dispose également d’importants instruments de financement des organisations non gouvernementales étrangères et ses programmes d’échanges internationaux sont les plus prestigieux.

Les moyens colossaux alloués à la diplomatie publique – dans le monde arabe en particulier – n’ont pourtant pas empêché son échec total après 2001 et lors des guerres d’Afghanistan et d’Irak. L’image des Etats-Unis s’était alors considérablement dégradée, résultant dans un rejet massif de sa politique étrangère.

À l’époque, une commission gouvernementale avait été chargée d’identifier les causes de cet échec et avait mis en évidence l’incohérence de sa politique étrangère avec le message véhiculé par sa diplomatie publique ; le mensonge sur les objectifs de son intervention en Irak en 2003 en est l’exemple le plus emblématique.

À nouveau engagé militairement, le gouvernement américain doit donc accompagner derechef son action d’une diplomatie publique, outil légitimateur établissant le bien-fondé de sa politique sur le front de l’information et des idées et affaiblissant les efforts de l’EI sur le même terrain.

Le Département d’État américain a donc lancé une campagne en ligne baptisée Think Again, Turn Away. Il fait ainsi le choix de se confronter directement à l’EI sur les réseaux sociaux.

Un compte Youtube a été créé, diffusant des vidéos sur les méthodes de l’organisation djihadiste, ainsi qu’un compte Twitter très actif.

Ces initiatives ne font cependant pas l’unanimité et sont la cible, déjà, de nombreuses critiques. Certains reprochent à cette approche directe de crédibiliser l’EI et donc d’être contre-productive. Les vidéos postées sur Youtube accusent par ailleurs à peine quelques milliers de vues, bien loin derrière celles publiées par l’EI.

Non seulement, donc, la campagne lancée par Washington ne fait pas le poids devant les moyens déployés par un ennemi rôdé à la guerre de l’information, mais, politiquement, par ailleurs, comme à l’époque de l’intervention américaine en 2003, la politique étrangère américaine, cousue de fil blanc, manque de cohérence pour convaincre.

D’abord désireuse d’affaiblir Bachar al-Assad, au point de considérer l’éventualité d’une intervention militaire après l’attaque chimique controversée de la plaine de la Ghouta en août 2013, l’administration américaine n’a pourtant jamais apporté à l’opposition démocratique syrienne le soutien nécessaire à sa victoire. Ce qui a eu pour effet de renforcer relativement le poids des djihadistes. Pire, aujourd’hui, Washington partage un ennemi et donc des intérêts communs avec le régime syrien, dont les atrocités rivalisent au moins avec celles de l’EI.

En 2011, l’armée américaine s’est désengagée d’Irak, déjà en proie à l’instabilité et à des troubles confessionnels hérités de l’occupation. À l’époque, Bagdad n’échappe pas au printemps arabe. Les sunnites exigent la fin de leur marginalisation politique et dénoncent l’autoritarisme du premier ministre chiite Nouri al-Maliki, manifestant leur mécontentement au cours de rassemblements pacifiques. Le refus du gouvernement chiite de répondre à leurs revendications mènera à l’insurrection des tribus sunnites, puis à leur alliance avec l’EI. Les États-Unis ont donc une responsabilité historique dans la montée en puissance de l’ennemi qu’ils combattent aujourd’hui.

Enfin, si les États-Unis ont retiré leur soutien à Nouri al-Maliki, remplacé en août 2014 par Haïder al-Abadi au poste de premier ministre, ils accueillent au sein de la coalition contre l’EI des régimes anti-démocratiques et dont la « barbarie » rivalise, là encore, avec celle de l’organisation djihadiste. Riyad décapite régulièrement les repris de justice condamnés à la peine de mort. En Égypte, Human Rights Watch qualifiait récemment les évènements de Rabaa de « crime contre l’humanité ». Washington y avait soutenu le coup d’État du maréchal al-Sissi. Aujourd’hui, le pays vit sous la menace de groupes djihadistes opposés au régime militaire et inspirés de l’EI.

Refuser à des peuples leurs revendications légitimes pour préserver des intérêts sur le court terme ne peut mener qu’à des formes de rejet, de radicalisation et de violence, ce qui affecte in fine ces mêmes intérêts.

Comme lors de l’invasion de l’Irak en 2003, la politique étrangère américaine souffre toujours de ces mêmes incohérences qui mettent en danger son succès et discréditent le message de sa diplomatie publique.

Elle reproduit les mêmes schémas qui ont mené à son échec il y a dix ans et prépare aujourd’hui l’instabilité et la violence de demain.

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Mehdi Karimi

Politologue - (Le Caire - ÉGYPTE)

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