LIBAN – Entre « Mundial » et véhicules calcinés… Le Liban sur « multi-écrans »

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Un tour d’horizon très peu optimiste de la situation intérieure libanaise… Si nous visualisons le quotidien actuel libanais sur multi-écrans, que voyons-nous ?

Nous voyons tout d’abord un fauteuil présidentiel toujours vacant, objet d’ambitions politiciennes égotistes et égoïstes. Nous voyons sur l’écran d’à côté un candidat peu candide à ladite présidence, qui vient carrément nous révéler et nous confirmer, lors d’une entrevue sur la chaîne TV de son parti, ce que les rumeurs nous ont fait suspecter : sa sordide proposition portant sur l’accès à la présidence du « maronite premier » qu’il croit être, et ce en échange du retour sécurisé de l’exilé Saad Hariri, toujours réfugié en France, et, dans la foulée de son retour, sa désignation probable comme premier ministre. C’est la figure géométrique triangulaire (bien exprimée, dessinée et médiatisée), qui comprend les trois “pôles confessionnels” de la surréalité libanaise : le maronite Michel Aoun, le sunnite Saad Hariri et le chiite Hassan Nasrallah. Le pôle druze est quant à lui relégué au second plan, au grand dam de son représentant accrédité [ndlr : Walid Joumblatt]. Et au diable les principes de parité entre musulmans et chrétiens, pourtant stipulés dans l’accord de Taëf [ndlr : accord qui avait mis fin à la guerre civile libanaise et assure une représentation politique équitable à chacune des communautés].

Passons maintenant à l’image figée de l’écran suivant : une assemblée législative qui songe déjà à renouveler, encore une fois, la confiance qu’elle s’est généreusement accordée l’an passé sans consulter le peuple, et qui vote des lois controversées qui soulèvent des ruelles, telle que la loi sur les loyers, les rues étant la propriété de ces mêmes parlementaires, achetées grâce au système clientéliste qui prévaut dans le pays, depuis que le monde est monde ou que le Libanais est (apparemment) libanais.

À l’écran juste en dessous, nous voyons quelques ONG pour les Droits de l’Homme, la démocratie et la bonne gouvernance, peu représentatives de la vox populi vox dei (?), se démener et gesticuler pour rappeler le désordre démocratique parlementaire à l’ordre, mais en vain. En effet, forts de leur relation verticale patron-client avec leurs bases communautaires respectives, et soutenus par leurs partis aux réservoirs pleins à craquer de voix partisanes fanatiques, les députés font peu cas des sans-voix minoritaires émanant d’associations soucieuses d’éviter la chienlit qui fait, prestement et sûrement, son lit orgiastique au milieu du bordel général.

Sur un écran à part entière, consécutivement à des anathèmes proférés sur écran géant contre les takfiristes et aux opérations miliciennes sectaires en territoire syrien, nous voyons tout récemment des volutes de fumée sanglante s’élever à Dahrel-Beidar, aux portes de la banlieue sud de Beyrouth, et à Raouché, dans un hôtel de la capitale, après un temps de pause qui nous a fait croire que la sécurisation de la frontière libano-syrienne, vantée en grande pompe par les pompeurs du pays, allait mettre un terme aux attentats-suicides. Or il n’en est rien. La psychose reprend de plus belle, suivie de la névrose devant les micros, sur les lieux des attentats.

Sur l’écran juxtaposé, tout près des flammes, des corps et des véhicules calcinés, nous voyons les feux d’artifice et entendons les hourras des fous-furieux du foot qui sautillent devant leur écran alors que d’autres viennent de sauter. Le « Mundial » est à leurs yeux plus important que ces incidents qui viennent troubler la fête. Cette compétition constitue pour le Libanais en mal d’identité un enjeu vital, parce que c’est son équipe étrangère adoptive qui joue, qui a été choisie selon ses préférences irrationnelles et émotives, pour laquelle il se voue corps et âme et se damne jusqu’à devenir entièrement brésilien, allemand, argentin, hollandais, français…tout sauf libanais.

Ne nous attardons pas sur l’écran gouvernemental, qui s’ingénie à faire écran à la pagaille et à montrer qu’il gère une situation en réalité intenable, peu enclin, en raison de son aliénation au Hezbollah dominant, à rappeler le principe de distanciation du Liban par rapport aux crises régionales, stipulé dans la Déclaration de Baabda, laquelle fut signée par toutes les parties, y compris la partie qui mène campagne sanglante pour maintenir un régime sanguinaire voisin [ndlr : les groupes paramilitaires du parti chiite libanais, le Hezbollah, ont dépêché plusieurs milliers d’homme en Syrie, en appui au gouvernement du président Bashar al-Assad]. Cet écran gouvernemental et ses services sécuritaires n’oseront certes pas pointer du doigt la partie « divine » qui, par ses ingérences militaires en Syrie, a fait entrer le loup djihadiste dans la bergerie libanaise. Ces services de sécurité poussent le sacrifice jusqu’à protéger les régions « coupables » d’immixtion en les ceinturant de leur bouclier pour recevoir de plein fouet les ceintures d’explosifs et voler en éclats avec les kamikazes, au lieu de signifier aux parties concernées qu’il leur incombe de prendre elles-mêmes les risques pour avoir ouvert elles-mêmes la boîte explosive de Pandore.

D’autres petits écrans viennent s’aligner ou se superposer selon l’ordre des priorités du lecteur, tels que les manifs pour l’adoption de la grille des salaires du secteur public, à l’appel du Comité de coordination syndicale et d’autres syndicats, des femmes couvertes d’ecchymoses, à l’œil au beurre noir, victimes chroniques de violence conjugale à la faveur d’une culture religieuse et sociale phallocratique et d’une loi imparfaite, des taux de pauvreté et de chômage galopant sur la vigoureuse monture de la corruption, des rivières desséchées, des robinets à sec suite à la sécheresse montante et aux défaillances du système de collecte des eaux pluviales, des incendies de forêt à chaque canicule, faits de l’irresponsabilité des pique-niqueurs ou de la criminalité des pyromanes, des espaces verts de plus en plus étriqués, des sites touristiques désertés, des plages polluées pour cause d’incivisme et de défaillance des systèmes d’évacuation des eaux usées ; il en va là comme du pays…

Quant à l’écran noir, il est aussi familier aux autochtones qu’aux visiteurs : c’est celui des coupures de courant, qui vont en croissant et en croix, indistinctement.

Le seul signe de laïcité au Liban.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

1 Comment

  1. Giles E. HARB on

    Mes remerciements à l’auteur qui a dressé un Bilan digne d’une caméra Polariod..Autrement dit, pour des “novices” ou observateurs en herbe en matière du Liban… On ne peut espérer mieux pour une meilleure lecture des conjonctures et aléas qui bafouent actuellement le pays des cèdres.
    Toutefois un bémol s’impose :
    Etre un fan d’une équipe « étrangère adoptive » selon les mots de l’auteur… n’accuse pas un «Libanais en mal d’identité » (sic). C’est un cliché malheureusement TROP en vigueur actuellement au Liban – et tant galvaudé – devenu un « amuse-bouche » de quelques speakers et speakerines de Télé en mal d’inspiration ; et au quotient intellectuel inversement proportionnel aux contours de leur bouches et lèvres siliconées.
    Adopter une équipe étrangère est le propre des peuples qui n’ont jamais eu dans leur histoire une équipe nationale qui participe aux mondiales, voire une équipe tout court qui leur rehausse la dignité nationale et non chauvine.
    Je juge et qualifie cette prise de position de l’auteur très dure et même incompréhensible. Tout le monde s’accorde avec la maxime ou proverbe utilisé une fois par Freud dans son livre phare |Malaise dans la civilisation| : « Qui a des soucis, a aussi des liqueurs ». je crois que les Libanais affichent le taux de souci le plus élevé dans le monde, cadencé au gré des attentats au quotidien, le marasme économique, les incertitudes quant au future et j’en passe.
    Ils ont le droit de développer (un) leur mécanise de défense. de Rêver… qu’ils sont victorieux l’espace d’un match, par intérim…pourquoi pas. Ils ont le droit de choisir une équipe de prédilection « choisie selon ses préférences irrationnelles et émotives » (sic). D’ailleurs, depuis quand un choix est exclusivement rationnel et objectif?… je parle en matière de sport?
    Ils ont le droit d’être tout le monde… « tout sauf libanais » (sic)…durant un entracte, entre un attentat suicidaire, et l’explosion d’une voiture piégée. Un peu de clémence et d’humilité cher Auteur.

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