LIBAN – Je suis Samir… Je suis Gebran…

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Que les nations de l’Occident, la France notamment, marquent un temps de pause, au milieu de cette folie, pour réfléchir, et non seulement réagir ; pour essayer de savoir pourquoi elles sont rendues à un tel degré d’insécurité, à cet état de guerre.

Je suis Samir… Je suis Gebran…Je ne le dis pas pour prendre un quelconque contre-pied ou me désolidariser du drame qui a eu lieu à Paris, épouvantable en soi, mais pour dénoncer cet excès de zèle du Libanais qui se fait plus français que le Français, alors que le contraire n’est pas vrai.

En effet, je n’ai pas vu de Français s’écrier « Je suis Samir » ou « Je suis Gebran », lorsqu’ils ont été assassinés [ndlr : Sami Kassir est un journaliste libanais, mort le 2 juin 2005, dans l’explosion de sa voiture qui avait été piégée ; Gebran Tueni était le rédacteur en chef du quotidien an-Nahar, assassiné le 12 décembre 2005].

On peut exprimer sa peine, condamner les actes odieux, défendre la liberté de presse et d’expression sans verser dans cette surenchère aussi mièvre que ridicule.

D’autant plus que nous vivons des drames au quotidien, ici au Liban, et tout à côté de la Syrie…

Pas un jour ne passe sans que des civils innocents tombent sous les bombardements, les barils d’explosifs, au « Pays du Mal » (pour reprendre le titre du livre de Pierre Piccinin da Prata et Domenico Quirico) ; et tout cela dans l’indifférence générale, mondiale, depuis des années déjà.

En ce moment, sous nos cumulus orageux, des réfugiés syriens, nourrissons, enfants, femmes, vieillards, gèlent de froid et en meurent, dans l’indifférence totale aussi.

Nos militaires et policiers sont depuis des mois retenus en otages, entre les mains cruelles de djihadistes, et rapatriés l’un après l’autre la tête à côté du corps, sans que je n’aie vu de manifestation de solidarité dans les réseaux sociaux et les rues, à part celles de leurs proches, pour au moins augmenter la pression sur les décideurs politiques, afin de les enjoindre à cesser leurs atermoiements et sauver les restants.

On ne se rend pas vraiment compte de ce que ces otages endurent depuis des mois… pendant que l’État libanais prend son temps, ou gagne du temps, à leurs risques et périls. Dommage pour ces captifs qu’ils ne soient pas membres du Hezbollah qui, lui, négocie avec succès et procède à un échange de prisonniers avec les djihadistes d’al-Nosra et de Daesh.

Dites au moins, aussi : « Je suis Waël ». Pour épauler ce ministre de la santé qui fait campagne depuis des semaines pour prolonger votre espérance de vie, dangereusement écourtée, qui s’efforce, contre vents pestilentiels et marées nauséabondes, à vous faire manger sain, à vous débarrasser des déjections de rongeurs qui assaisonnent vos aliments, votre sucre, votre blé… et qui ne bénéficie même pas de l’appui de ses pairs – jaloux de son initiative et de ses succès – qui s’ingénient à le discréditer, car pour eux il en fait trop (contre toute habitude où il ne faut rien faire à ce niveau) ; il n’y va pas de main morte (car il faut laisser mourir) ; ses pairs qui ne sont nullement scandalisés par l’état mortifère des cuisines, entrepôts, abattoirs, fermes, silos, etc. Et cette opinion publique libanaise, si prompte à se solidariser avec la cause des autres, qui n’est aucunement concernée par sa propre cause, pas le moins épouvantée d’avoir ingurgité du poison, en amont, de fils en père, de père en grand-père, etc., avec le risque que cela reprenne en aval, lorsque le mandat du présent ministre de la santé aura expiré. On expirera bien avec lui.

Libre à vous, Libanais zélés, de vous exclamer « Je suis Charlie », mais sachez aussi qu’on a encore le droit de dire  « Je suis musulman », « Je suis chrétien »… et en tant que musulman, chrétien, on a le droit de se sentir offensé par des écrits et des caricatures qui se rient de nos symboles religieux. Les crayons et les pinceaux ont le droit de s’exprimer, mais sans pourfendre le sacré, ce qui ne justifie nullement le recours à ce genre de représailles criminelles contre Charlie Hebdo, contraires aux préceptes religieux et condamnables à plus d’un titre.

La liberté d’expression n’est pas la liberté de railler, d’insulter, de fouler aux pieds les valeurs d’autrui qu’on ne partage pas. Comme on n’accepterait pas, en bon patriote, d’entendre un étranger insulter sa patrie, il devrait être plus que normal de refuser toute atteinte à ce qui est plus précieux qu’une patrie, aux yeux des croyants. Caricaturer, à titre d’exemple, un bouche à bouche baveux entre un cheikh et un dessinateur ne relève pas de la liberté d’expression, mais d’oppression de la liberté d’autrui, même si cette liberté consiste à ne pas être libre et à s’aliéner à ses symboles religieux pour y être jalousement attaché. Il ne s’agit plus d’insolence, là, mais de pure offense. Et dire que « ce n’est qu’une caricature » est un non-sens. C’est comme abreuver quelqu’un d’insultes, écrire un article diffamatoire… et dire que ce ne sont que des mots. Les mots, les images, tuent, au même titre que les armes à feu.

Et clamer haut et fort « nous sommes tous Charlie » comme pour affirmer que nous allons tous continuer les provocations ne mettra pas fin aux drames et enfoncera la société encore plus dans la spirale de l’insécurité et de la violence. Quand on a affaire à des déséquilibrés, des fanatiques, des lunatiques, on ne leur agite pas la muleta, mais on essaye de les raisonner (même si c’est un peu rêver). Ou on leur donne le moins de raison pour perdre la tête. Et la meilleure des recettes est de ficher la paix aux religions, de cesser de les diffamer, en prose, en vers ou en dessins. Que l’athée respecte les valeurs du croyant comme le croyant respecte les valeurs de l’athée. Pas besoin de caricaturer le Prophète ou le Christ ou tout autre symbole ou objet sacré. La liberté d’expression ne s’en portera que mieux, et elle pourra mieux s’exprimer.

Et que les nations de l’Occident, la France notamment, marquent un temps de pause, au milieu de cette folie, pour réfléchir, et non seulement réagir ; pour essayer de savoir pourquoi elles sont rendues à un tel degré d’insécurité, à cet état de guerre ; pourquoi, au lieu d’avoir un compatriote sous leur toit, elles ont un ennemi à leur patrie…

Pourquoi certains Français sont sous le charme de l’État islamique et non de l’État français, au point de délaisser les privilèges d’être français et de rejoindre les rangs des djihadistes en Syrie et en Irak…

De plonger d’une main leur passeport français dans le brasier et de brandir de l’autre le couteau à égorger des impies.

Il est temps que les autorités françaises fassent appel, non seulement à des experts en anti-terrorisme, mais aussi à des anthropologues et des sociologues.

Afin d’expliquer ce phénomène ; et d’identifier les défaillances et les lacunes qui sapent leurs systèmes d’intégration et d’éducation.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

2 Comments

  1. “Les mots, les images, tuent, au même titre que les armes à feu.”
    Non.
    Comment pouvez-vous écrire cela?

    • Justement, Adeline, les MOTS ET LES IMAGES TUENT, c’est exactement cela. Quand j’étais petite, j’avais des cours de civisme et deux des phrases majeures répétées pendant des années étaient :’ ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent’ et l’autre était : ta liberté s’arrête là où commence celle de l’autre”. On ne vous apprend plus ça de nos jours? On vous apprend la liberté d’expression qui arrange les uns et pas les autres, mais les autres, on n’en n’a rien à faire. Les caricaturistes de Charlie Hebdo (ce n’était pas des journalistes, leurs écrits ne rapportaient pas des faits objectifs et compréhensibles pour la masse) ne devaient pas mourir. Mais la mémoire vous fait défaut à moins que ce ne soit le manque de culture : personne n’approuve les meurtres, seulement, nous, progressistes refusons de faire porter au plus grand nombre la faute de quelques uns et surtout, surtout ce que nous demandons, C EST LE TRAITEMENT JUSTE de l’information : a-t-on oublié (ou sait-on seulement) que Siné avait été renvoyé de Charlie Hebdo pour ANTISEMITISME et que Dieudonné est jugé pour ‘apologie de la haine raciale’. Comment s’appelle le traitement ordurier d’une religion et de son représentant? Liberté d’expression. Quand tu auras compris que les médias manipulent l’information et les lecteurs peu cultivés (et qui apparemment ne cherchent nullement à se cultiver), tu pourras t’indigner. Rappelle-toi : critiquer Israël et ses assassins, est considéré comme de l’antisémitisme (alors qu’en réalité c’est de l’antisionisme, c’est-à-dire le rejet de l’occupation d’un pays et le soutien des Résistants exactement comme ce fut le cas quand la France fut occupée par les nazis durant 4 ans et une partie de ses territoires annexés : l’Alsace et la Lorraine), dénoncer les meurtres insoutenables de vieillards, enfants, les destructions de maison, le vol des terres cultivables de malheureux paysans palestiniens pour les offrir aux colons, soutenir BDS sont punissables par la loi française alors que boycotter l’Afrique du Sud de l’Apartheid était une marque de grandeur de la France. La grandeur de la France se mesure à l’injustice de son comportement politique, la France n’est plus un exemple, elle n’est que le suiveur des Merkel, Obama et autres leaders. Indigne-toi en te servant de ton intelligence et de ton instruction et pas en aboyant avec les loups “je suis Charlie” quand personne ne crie ‘je suis la Syrie’, ‘je suis l’Afrique’, ‘ je suis le Mali’, ‘je suis l’Irak’….

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