LIBAN – Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Monsieur Hariri…

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Samedi 4 novembre 2017, de Riyad, un missile politique baptisé « Démission » est tiré en direction de l’Iran, par la bouche d’un Premier ministre libanais à partir de la rampe saoudienne, missile qui s’écrase dans le camp libanais pro-iranien tenu par le Hezbollah, bras armé de l’Iran dans le pays et la région.

Sauf que ce missile « éclatant » a envoyé quelques éclats sur la personne même de l’envoyeur, outre ses incalculables dommages collatéraux sur la scène libanaise dans son ensemble.

En effet, la question qui court sur toutes les lèvres, à la fois favorables et hostiles au premier ministre Saad Hariri, porte davantage sur la forme et le timing que sur le fond de sa démission surprise : pourquoi avoir jeté l’éponge à partir de l’étranger, de Riyad en l’occurrence, et conforter, voire confirmer le rapport de sujétion entre tuteur saoudien et tutoré sunnite libanais, qui a pour équivalent diamétralement opposé le rapport d’égale sujétion entre le tuteur iranien et le tutoré chiite libanais ?

Pourquoi prêter le flanc aux railleries de ses adversaires et apparaître en public ce qu’on est en privé : le jouet d’une puissance étrangère (Riyad) qui est d’ailleurs elle-même le jouet d’une puissance supérieure (Washington), ce qui vaut aussi pour la puissance opposée (l’Iran, qui se protège derrière la Russie) ?

Pourquoi rendre son tablier à la porte d’une officine étrangère et donner l’impression d’avoir posé un geste « commandé », plutôt qu’à la porte du Grand Sérail (la résidence du premier ministre) dans un geste télécommandé ?

Pourquoi avoir montré à l’écran de la chaîne saoudienne Al-Arabiya une « marionnette à gaine » au lieu d’afficher une « marionnette à fils » (invisibles) sur l’écran de la chaîne nationale libanaise ?

Pourquoi cette humiliation, cette dévaluation de la fonction de premier ministre du Liban, qui se répercute sur le public libanais et spécialement sur sa communauté sunnite représentée dans ladite fonction ?

À moins que ce geste inattendu n’ait réellement été imposé, forcé, comme le colportent les détracteurs de Hariri ? Pour des questions (entre autres) d’affaires reliées à la faillite de l’entreprise Saudi Oger, ex-géant saoudien de la construction créé par Hariri-père ? Ou pour quelque affaire de corruption ? D’autant plus que l’annonce de la démission a coïncidé avec la purge anti-corruption menée par le prince héritier Mohammad Ben Salmane, laquelle a mis le grappin sur des dizaines de princes, ministres, ex-ministres, fonctionnaires et hommes d’affaires du Royaume, dont certains avaient des liens avec le premier ministre libanais…

Serait-il possible que Saad Hariri soit parmi les gros et moyens poissons pris dans le coup de filet, mais que son statut de premier ministre libanais ait primé celui de citoyen saoudien pour contraindre Riyad à lui réserver un traitement spécial ? Lui laisser un semblant de liberté de mouvement au lieu de le mettre sous les verrous d’or du Ritz-Carlton, en compagnie du gratin des corrompus du royaume ?

Cela dit, pourquoi le Royaume wahhabite aurait-il commandé ou permis une telle prestation de son « protégé » (dans l’espoir qu’il l’est toujours) et ainsi apporter de l’eau au moulin de ses ennemis ? Quel intérêt avait le roi d’Arabie, ou le prince héritier, de ternir l’image de son « sujet » favori dans la région et d’en faire un objet ? Et par conséquent d’alimenter les rumeurs folles sur son « assignation à résidence », son arrestation, etc. ? Est-ce pour le brûler politiquement ? Dans l’affirmative, pour quelle raison ? À cause de ses volte-face, de sa « mièvrerie » vis-à-vis de l’adversaire chiite ? De sa cohabitation avec lui dans le gouvernement ? Et dans quel but ? De le faire remplacer par une figure sunnite charismatique et plus « radicale » ? Mais le problème est que, depuis la disparition de Rafic Hariri, les sunnites libanais sont en panne de figures d’un tel calibre, contrairement aux chiites qui en ont une, et de taille, en la personne du patron du Hezbollah, Hassan Nasrallah…

Quoi qu’il en soit, à la décharge du premier ministre, afin de lui accorder le bénéfice du doute et conférer à son geste spectaculaire des motivations autonomes, nationales, force est de constater que depuis sa prise en charge, il y a un peu moins d’un an, la portion anti-saoudienne, soit pro-syro-iranienne du Conseil des ministres, qui comprend notamment le Hezbollah, le parti Amal, le Courant patriotique libre (CPL) et autres partis affiliés, s’est employée à lui mettre des bâtons dans les roues, à le narguer, à lui faire des pieds de nez. En effet, des ministres frondeurs se sont arrogés le droit de renouer diplomatiquement avec Damas, à titre officiel ou officieux, de visiter des foires, rencontrer leurs homologues, conclure des ententes, et ce au grand dam du premier ministre et en violation de la politique du gouvernement fondée sur la neutralité et la distanciation. Ceci outre les marchés « suspects » relatifs à la location de navires-centrales (pour la production d’énergie électrique), les appels d’offres aux cahiers des charges taillés sur mesure, la gestion malodorante de la crise des déchets, le dossier fumant du gaz offshore, etc., qui furent autant de brandons de discorde pour mettre le feu à la baraque gouvernementale.

Sans oublier, bien entendu, l’exfiltration scandaleuse des assassins des militaires libanais otages à l’issue de la « bataille des jurds » [ndlr : en août 2017, l’armée libanaise a attaqué des positions tenues par l’État islamique dans les jurds (hauteurs) de Qaa et Ras Baalbeck, à la frontière syrienne], suite à la conclusion d’un accord bilatéral entre Daech et le Hezbollah que le gouvernement libanais n’a fait que constater. L’incompatibilité entre les deux tranches gouvernementales était telle qu’on parlait d’un gouvernement de façade vs. un gouvernement de l’ombre. D’ailleurs, quelques jours avant la date fatidique de sa démission, Hariri aurait confié à l’un des ministres représentant le parti chrétien des Forces libanaises qui était sur le point de jeter l’éponge, fatigué de jouer les « watchdog » pour stopper les tours de passe-passe au sein du gouvernement : « Patiente un peu, on démissionnera ensemble. »

À cela s’ajoute la position du président de la République, le chrétien Michel Aoun, qui -et de l’avis de plusieurs observateurs- n’a pas honoré les termes du « compromis » qui l’a porté à la présidence, lequel reposait sur une juste équidistance entre les parties, le respect de la neutralité-distanciation par rapport aux conflits régionaux, notamment syrien, la « maîtrise » des deux bras du Hezbollah, paramilitaire et politique, de sorte à restaurer la souveraineté du pays et à confier au seul État libanais le pouvoir de décision en matière de guerre et de paix.

Or, les positions et les déclarations de Aoun, depuis son investiture, dans lesquelles il défendait, voire légitimait les armes controversées du Hezbollah, en liant leur « dissolution » à la solution de la crise du Moyen-Orient, donc à la Saint-Glinglin, étaient pour le moins décourageantes, et peut-être « rageantes » pour la partie libanaise souverainiste, et sans doute pour le tuteur saoudien et son tuteur américain, d’où le triste épilogue que l’on voit… et l’obscur prologue qu’on entrevoit.

En effet, dans quel tunnel ou labyrinthe s’engage le Liban après cette démission sismique ? Où va le pays ? À davantage de fissures, voire de fossés entre les parties adverses locales, qui subissent le bras de fer irano-saoudien, le clash confessionnel sunnito-chiite, les retombées d’une nouvelle équation géostratégique ?

Pourvu que les fossés ne se transforment pas en tranchées !

Et quels sont les rapports de force dans la nouvelle partie qui va se jouer ? À y regarder de plus près, ou plutôt de plus loin et de plus haut, on voit cette fois-ci une coalition d’un nouveau genre se former, laquelle n’est pas à l’avantage de l’axe syro-iranien.

On constate, en effet, un recoupement d’intérêts où se rejoignent quatre capitales qui forment un impressionnant capital pour le camp libanais anti-Hezbollah (dit « du 14 mars »), longtemps désavantagé par l’absence de moyens guerriers : Washington (hostile à l’Iran), Riyad (idem), Moscou (qui veut à présent écarter l’Iran de Syrie pour avoir le champ libre) et Tel Aviv (qui veut en découdre, coûte que coûte, et retrancher son appendice libanais).

Une partie qui s’annonce… « hot » !

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

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