LIBAN – Le Pays du Cèdre en phase de désintégration

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Il n’y a sans doute pas eu de « plan américano-sioniste » de partition du Levant, comme l’avancent la gauche anti-impérialiste ou les Arabes nationalistes. Même si cette partition profiterait à Israël, le meilleur allié de Washington au Proche-Orient. Cela dit, le scénario d’un démantèlement semble se faire jour en ce qui concerne la Syrie, du fait qu’aucun des protagonistes n’a la capacité de l’emporter militairement sur le terrain. Et que le régime, même avec l’aide de l’Iran et de  la Russie, ne pourra jamais rétablir son pouvoir sur l’ensemble du pays.

Ce n’est d’ailleurs peut-être pas dans l’intention de Moscou, qui s’accommoderait d’un modus vivendi avec Washington pour se  partager  le territoire en zones d’influence. Il en est probablement de même de la position des États-Unis, malgré leur  récente  alliance avec les pays sunnites pour contrer l’Iran et leur nouveau revirement envers Bachar al-Assad dont le départ redevient, pour l’administration Trump, une condition sine-qua-non à toute solution politique au conflit.

Plus aléatoire se présente l’avenir du Liban, sur lequel pèse le risque d’un prolongement fort long du conflit syrien…

Ce risque affecte en effet particulièrement le Pays du Cèdre qui a le plus fort taux de réfugiés  par rapport à sa population de l’histoire (25%).

Une étude réalisée par le « think-tank » de l’École Supérieure des Affaires de Beyrouth (ESA) sur les conséquences de la crise des réfugiés syriens sur le futur du Liban prévoit qu’entre un-tiers et deux-tiers de ceux-ci (estimés à ce jour à 1.500.000) se fixeront dans le pays. D’après cette étude, l’Union européenne et les pays du Golfe sont déterminés à les stabiliser au Liban à n’importe quel prix, même au risque de compromettre la survie du pays.

En fonction de la combinaison de deux paramètres, le nombre de réfugiés restant dans le pays et le degré de résilience du système politique libanais, trois scenarios sont donc possibles, à l’horizon 2030.

Premier scénario : le conflit syrien ne prend pas fin dans un avenir prévisible. Le nombre de réfugiés dépasse le million, voire reste de 1,5 million.  Les tensions sectaires et impliquant les réfugiés augmentent. On assiste à l’apparition de milices que l’armée, paralysée par sa composition multiconfessionnelle, est incapable d’affronter. L’État libanais s’effondre et les institutions se désagrègent. S’en suit la division de facto du Liban en 5 cantons, deux à dominante chiite (dans le sud et dans la Bekaa), deux sunnites (dans le nord et à Saïda), et un druzo-chrétien (dans l’ancien Mont-Liban), autonome ; Beyrouth restant le siège de quelques institutions communes.

Cette  division provoquerait l’exode de beaucoup de Libanais, et surtout des chrétiens. Les réfugiés syriens, principalement concentrés dans le nord (sunnite), formeraient certainement des milices armées avec leurs coreligionnaires. Le nord passerait alors immanquablement sous influence saoudienne et le sud et la Bekaa (chiite), sous influence iranienne.

Le Liban, où seraient envoyées des forces d’interposition onusiennes, deviendrait ainsi un protectorat international, comme la Bosnie ; et la division de facto se transformera en une confédération de jure.

Deuxième scénario : le régime syrien parvient à reprendre le contrôle d’une grande partie de la Syrie. La reconstruction de la Syrie s’amorce timidement, mais son impact économique sur le Liban est limité. Près de la moitié des réfugiés retournent chez eux. Ceux qui restent (environ 750.000) s’organisent en lobby, et le gouvernement, paralysé, n’entreprend aucune mesure pour affronter la situation. L’aide internationale se réduisant, le Liban entre dans une crise économique et politique majeure. Dans ce cas, seul un coup d’État militaire pourrait éviter le chaos, l’hostilité et la répression envers les réfugiés s’amplifiant sans aucun doute. Des camps seraient alors établis afin de mieux les contrôler.

Troisième scénario : une solution politique et rapide est trouvée au conflit syrien. La Syrie est réunifiée et sa reconstruction commence. Environ deux tiers des réfugiés regagnent leurs foyers. Le nombre de réfugiés syriens au Liban se stabilise autour de 500.000. L’Union européenne et les pays du Conseils de Coopération du Golfe (CCG) proposent une sorte de « plan Marshal » au Liban, à condition qu’il intègre les réfugiés syriens en leur accordant des permis de travail et ensuite la nationalité, à tout le moins à ceux qui seront nés au Liban. Malgré l’opposition d’une grande partie de la population à ce qui serait vécu par elle comme un « diktat »,  le gouvernement est contraint de l’accepter. Les Palestiniens ne manqueraient pas, alors, de réclamer et probablement d’obtenir le même statut que les Syriens. Les institutions libanaises sont réformées en profondeur dans le sens d’une sécularisation. La croissance économique reprend grâce à l’aide internationale et aux investissements étrangers. Mais l’émigration des chrétiens qui ne représentent plus qu’une petite minorité de la population s’intensifie.

Ainsi, dans tous les cas de figure, le conflit syrien aura conduit le Liban vers une mutation profonde : si le maintien d’un grand nombre de réfugiés syriens au Liban ne peut qu’avoir des conséquences catastrophiques pour le Pays du Cèdre, leur diminution ne garantit cependant pas une issue positive à  la crise.

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Ibrahim TABET

Historien et Écrivain - Beyrouth (LIBAN)

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