LIBAN – Médecine du pauvre et médecine du riche ; médecine « business », entre trafics et escroqueries…

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Sur base du serment d’Hippocrate, que vous avez prêté, et compte tenu de votre vocation, laquelle consiste à prodiguer les meilleurs soins aux malades (les plus consciencieux et les plus appropriés), je vous invite, médecins du Liban, à vous joindre aux démarches visant à renforcer les mesures de protection du malade et à aider à faire voter une loi qui criminalise et prévienne les erreurs médicales et hospitalières, telles que les mauvais ou faux diagnostics, les examens cliniques non conformes aux règles de la pratique, les négligences, les incompétences, les prescriptions intéressées, les «trafics opératoires» sous forme d’interventions chirurgicales injustifiées, les services inhospitaliers, manipulations maladroites… et qui conduisent à des issues dramatiques ou fatales.

Vous êtes invités à faciliter la mise en place des mécanismes juridiques ainsi que des cabinets d’avocats spécialisés qui obligent les praticiens et les institutions pris en faute grave à répondre de leurs négligences, incompétences, escroqueries, et qui permettent aux victimes d’erreurs médicales (restées en vie) et à leurs familles d’obtenir justice, et ce à l’instar des pays civilisés qui se prévalent des lois protectrices et des recours juridiques en la matière.

Vous êtes invités à encourager ces démarches qui visent également à protéger votre profession et à préserver la confiance que voue (encore) une majorité de l’opinion publique à une majorité de praticiens honnêtes et consciencieux. Vous êtes même invités, pour le bien et le salut du patient, à prendre les devants, à user de votre influence à bon escient, non pour couvrir la faute ou le crime, comme le font quelques-uns sans scrupules, mais pour les prévenir, à tirer votre force de cette loi, à ne pas la craindre, de même que vos confrères des pays plus civilisés ne la craignent pas, puisqu’elle permettra de préserver l’image honorable de votre profession, et à séparer le bon grain dont vous faites partie, de l’ivraie dont font partie les praticiens négligents, incompétents ou véreux, qui ne peuvent être considérés comme des confrères puisqu’ils ont violé le serment d’Hippocrate.

Vous êtes invités à ne pas compter sur les mesures disciplinaires illusoires ou dérisoires, ni sur l’Ordre des médecins, incapable de gérer ce désordre, ce « chaos médical » (Dr. E. FARES HAYEK, Notre chaos médical), ni sur le ministère concerné, aux prises avec sa propre santé, mais sur une jurisprudence susceptible de lever l’impunité médicale et hospitalière et rendre les médecins corrompus justiciables.

Vous êtes invités, vous la majorité consciencieuse et silencieuse, à briser (courageusement) la « loi du silence », à dénoncer la « malpratique » médicale au profit de la pratique conforme aux règles de l’art, en toutes circonstances et en tous lieux, à vous désassocier de votre antithèse mercantile qui souille la profession et les professionnels désintéressés que vous êtes et à vous associer au patient pour qui vous vous êtes faits médecins, à ne pas annuler votre crédit d’avoir sauvé des vies par le discrédit d’avoir laissé des vies se perdre aux mains de quelques charlatans.

Vous êtes invités à ne pas ou ne plus être de faux témoins, par votre mutisme ou votre inaction, mais à témoigner haut et fort pour que justice soit rendue aux victimes des erreurs médicales et hospitalières, et protection assurée à vos semblables tombés dans la maladie. Vous êtes invités à faire preuve d’empathie, à vous voir un jour patients à votre tour, avec mes sincères vœux de santé et de longévité pour vous, et sincères regrets pour ceux qui sont tombés entre de mauvaises mains.

En attendant cette loi qui ne verra que miraculeusement le jour, étant donné les enjeux et les intérêts en jeu, qui sera probablement avortée ou au mieux accouchée au forceps et déformée, et à la faveur de ce même privilège qui vous rend (jusqu’à présent) intouchables, vous êtes invités à exercer ou accroître votre surveillance, autant que faire se peut, sur cette partie suspecte du secteur clinique afin que les consignes de la consultation médicale soient minutieusement respectées, que le temps complet soit accordé au patient par une meilleure gestion des rendez-vous, que l’examen soit exhaustif, le diagnostic précis, que les informations et les orientations soient patiemment prodiguées, et le suivi effectué, que les prescriptions soient faites loin de l’attrait du prospecteur pharmaceutique et sans préférence douteuse pour un laboratoire d’analyse donné.

Étant vous-mêmes l’épine dorsale et l’âme du corps hospitalier, vous êtes également invités à redresser certains centres hospitaliers peu hospitaliers, qui laissent poireauter les « irréguliers » à leur porte, qui n’ont pas la notion « d’urgences », qui ne se conforment pas aux standards d’hygiène hospitalière, de sorte à réduire ou éviter les risques d’infections nosocomiales qui touchent aussi bien les patients et le personnel de l’établissement que les visiteurs.

Les imperfections délétères du corps hospitalier pouvant entacher le vôtre, vous auriez par conséquent intérêt à exiger du Ministère de la santé une inspection régulière, un contrôle-qualité rigoureux de toutes les sections, des blocs opératoires jusqu’aux cuisines et cafétérias.

Et, cerise sur le gâteau, combien le corps malade alité vous saurait gré de mieux jauger le corps infirmier, de mieux évaluer la pratique infirmière et de vérifier s’il n’y aurait pas parmi la plupart des infirmières et infirmiers formés à bonne école de celles et ceux formés plutôt à piètre boutique et dont l’infirmité professionnelle pourrait, par conséquent, faire des infirmes.

Oui, être médecin, surtout au Liban, c’est s’inviter ou se faire inviter à tout cela.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

2 Comments

  1. Charles Fayad on

    Sans trop connaître la situation au Liban, un accident médical donne lieu à une confrontation entre le patient et le médecin ou le personnel soignant. D’abord en Belgique, par exemple, c’est à la victime à prouver et la faute médicale et le préjudice corporel. Je note au passage, que la Suède pays à la pointe du progrès social a résolu le problème en retenant le principe de “l’indemnisation sans rechercher la faute”. La difficulté, font remarquer les praticiens de la santé qu’il est toujours difficile, en cas d’accident médical, de savoir s’il s’agit d’un “aléa thérapeutique” ou d’une “erreur médicale”. Ce genre de conflit montre même l’inégalité face au corps médical, du fait que “le consommateur de santé”, comme le dit Jean de la Fontaine en son temps : “c’est selon que vous soyez puissant ou misérable”, n’est pas à armes égales face au corps médical. Des associations ont vu le jour, sans citer leurs noms, dans le but de défendre ou prendre en charge des personnes pour faire valoir leur droit. Mais là encore, il faut apporter la preuve de l’erreur médicale. Les médecins ont une assurance et le Fonds des accidents médicaux reçoit les dossiers. On peut multiplier les exemples des erreurs médicales. Pour moi, elle est celle du médecin qui donne des anabolisants ou des produits dopants lors d’une compétition sportive, ou un laboratoire qui ne donne des résultats probants cachant le résultat de l’analyse dans le seul but de modifier la donne des résultats de la compétition, etc ;
    Une “erreur médicale”, je ne suis pas sûr du terme, peut incomber sur le patient même, lors de la prise de médicaments sans avertir son médecin traitant de l’effet que s’est produit….. On lit toujours dans la presse que les médicaments font partie d’une des premières causes de mortalité dans le monde et c’est peu dire qu’il y a connivence entre les médecins et l’industrie pharmaceutique….
    Bref, le sujet est vaste et faire le tri nécessite une expertise sérieuse. Des associations publient chaque année le nombre de décès par erreur médicale.
    Je donne un exemple de l’étendue de la question et qui a fait débat il y a quelque temps en Belgique. Faut-il indemniser des parents lors de la naissance d’un enfant avec handicap quand celui-ci n’a pas été détecté au cours de la grossesse. Faut-il se retourner contre le gynécologue ou le laboratoire pour avoir une indemnisation, et le seul fait de sa naissance constitue en soi un préjudice ?
    On charge souvent les médecins et le personnel soignant, et les patients savent pertinemment qu’il y a des cliniques ou des hôpitaux à éviter, cherchant le chirurgien ayant les doigts de fées pour une opération à risque… bref, la médecine qui n’a rien d’une science exacte, a apporté des progrès immenses… et beaucoup de patients ne s’en plaignent pas …

    • Ronald Barakat on

      Merci pour cette recherche préliminaire sur le sujet, cher Charles. L’indemnisation suédoise sans rechercher la faute n’est qu’un pis aller parce que le fautif courra toujours et provoquera de nouvelles indemnisations. Quant au fardeau belge de la preuve qui incombe à la victime, il faut voir si là-bas, en Belgique, comme ici au Liban la “loi du silence”, de la falsification du dossier médical, du camouflage des données ne sont pas vigoureusement en vigueur. L’anglicisme «malpratique» peut aider à faire le tri entre erreur et erreur, entre complications et incompétences, entre idiosyncrasie et idiotie. Mais heureusement qu’il y a, devant tant d’impunité, la réputation du praticien et de l’hôpital qui joue pour ou contre, comme tu le mentionnes, ce qui vient accréditer les bons et discréditer les mauvais. Devant cette maigre consolation, il faut grossir les rangs et passer à l’attaque.

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