ARABIE SAOUDITE – Le « Royaume » aux abois (2/2) : la guerre est perdue

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On se souvient du célèbre mémo de décembre 2015, émanant des services de renseignements allemands, selon lequel la maison des Saoud avait adopté une « politique d’intervention impulsive » sous l’impulsion du ministre de la Défense d’alors (le prince héritier adjoint) Mohammed ben Salmane (MBS), un « joueur » potentiel fauteur de troubles.

Tout était dit dans ce mémo ; et les événements violents qui ont suivi ne font aujourd’hui que corroborer cette analyse. Mohammed ben Salmane s’est lancé impulsivement dans des guerres suicidaires (Yémen) ou dans des brouilles pathétiques (Qatar) ; et même dans une relation à peine cachée mais pragmatique avec Israël, État avec qui il partage la même haine de l’Iran. Enfin, MBS a même essayé de déstabiliser le Liban.

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Au Yémen, le Service fédéral de Renseignement allemand (Bundesnachrichtendienst – BND) s’est inquiété du soutien que la guerre de Mohammed ben Salmane contre les Houtis et les Yéménites pouvait apporter à Al-Qaïda dans la péninsule arabique. Aujourd’hui, la guerre de ben Salmane – menée avec des armes américaines et britanniques… belges et françaises – a également provoqué une atroce catastrophe…

Guerre sans fin au Yémen

La guerre au Yémen est une guerre par procuration que se livrent l’Iran et l’Arabie saoudite pour la conquête du Proche et Moyen-Orient après la rupture de leurs relations diplomatiques le 3 janvier 2016.

La  guerre au Yémen  coûte certainement très cher en bombes et en munitions à l’Arabie saoudite, mais la plus grande source d’inquiétude est que l’Arabie saoudite poursuit au Yémen une politique qui est sans issue : l’intervention est étroitement associée à MBS, conseillé par des « faucons » américains. Malgré certaines  victoires contre les rebelles Houthis et leurs alliés au Yémen, la coalition menée par l’Arabie saoudite a jusqu’ici échoué à reprendre tout le territoire dont s’est emparée depuis 2014 la milice chiite zaïdite prédominante (les Houthis).

C’est le  25 mars 2015 que  l’Arabie saoudite a lancé une opération militaire au Yémen, après avoir pris la tête d’une coalition de pays arabes et musulmans pour empêcher les rebelles chiites Houthis, accusés d’être soutenus par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble de ce pays voisin.

Les rebelles tiennent notamment la capitale Sanaa (depuis septembre 2014).

Cette guerre, l’Arabie saoudite l’a décidée sans concertation avec ses alliés, à commencer par les États-Unis. Par leur campagne au Yémen, les dirigeants saoudiens voulaient prouver qu’ils étaient capables de mener seuls leur propre politique dans leur pré carré et de chasser les Houthis soutenus par l’Iran. Le résultat est un fiasco et la guerre est devenue un désastre humanitaire.

Déjà, la coalition entre  l’Arabie et les Émirats arabes unis (EAU) s’est en partie disloquée : Abou Dhabi, qui n’a pas confiance dans le président yéménite en exil Abdu Rabbo Mansour Hadi, hébergé  par Riyad en raison de ses liens avec les Frères musulmans, n’a de cesse de saper son autorité.

Les infrastructures du Yémen, le plus pauvre des pays de la péninsule, ont été détruites méthodiquement par les bombardements aériens de la coalition arabe. Le bilan des pertes civiles approche les 10.000 morts, chiffre officiel donné par l’ONU depuis un an et demi. Le blocus du pays par les puissances arabes a provoqué la « pire crise humanitaire de la planète », selon les Nations unies : 7 millions de personnes, soit un quart de la population, sont au bord de la famine ; 1 million ont été touchées par le choléra. Les fronts piétinent et le gouvernement de Hadi n’a quasiment aucun contrôle sur le pays. De plus, à la lutte entre Houthis et les Saoudiens et leurs alliés s’est affirmé un belligérant supplémentaire travaillant pour son compte propre, à savoir le mouvement des  séparatistes sudistes qui occupent Aden et Moukalla. Il faudrait ajouter au tableau les régions où prospère Al-Qaïda. On est donc en réalité en présence de quatre belligérants ; la situation est inextricable.

Cette guerre sans fin ne semble pas pouvoir s’arrêter ; or, elle est une source de dépense énorme pour le royaume, au détriment de tous les projets économiques annoncés par MBS, qui seront de plus en plus difficiles à financer. Si désormais, un tiers du budget du royaume est consacré à l’effort de guerre, on peut en effet imaginer le poids budgétaire qui pèse sur l’avenir de l’Arabie saoudite.

Par ailleurs, le changement de la hiérarchie militaire opéré fin février 2018 (et dont le premier objectif, pour la famille royale, était de s’entourer de militaires de haut rang fidèles) avait aussi un autre but : modifier le commandement des troupes saoudiennes embourbées au Yémen. Ce changement est intervenu au moment où le royaume cherchait à sortir du bourbier yéménite. En effet, la campagne militaire, lancée en mars 2015 par Riyad, s’éternise, démontrant les limites de la puissance de l’Arabie saoudite.

L’Occident a quant à lui demandé un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, dont l’armée est accusée de nombreuses « bavures » meurtrières. Cette restructuration viserait à faire passer l’armée saoudienne d’une « force pléthorique et inefficace à une armée bien organisée et professionnalisée », et à faire pression sur le camp adversaire, c’est-à-dire le mouvement populaire Ansarallah (les Houthis).

Crise qatarie

La  crise avec le Qatar est le signal de la volonté de l’Arabie saoudite de se débarrasser de ses rivaux extérieurs.

Déjà, le Qatar et l’Iran partagent  le plus grand champ gazier du monde et, depuis toujours, ils ont été obligés d’avoir des rapports commerciaux à défaut de  rapports politiques. Mais l’Arabie saoudite et ses alliés, le 5 juin 2017, ont rompu  leurs relations diplomatiques avec le Qatar, l’accusant de soutenir des groupes « terroristes » et lui reprochant ses liens avec l’Iran, accusations rejetées par Doha.

Le royaume a alors  interrompu les liaisons aériennes et maritimes avec le Qatar et a fermé la seule frontière terrestre de l’émirat. L’Arabie saoudite avait d’ailleurs posé comme condition à une sortie de crise avec Doha la réduction des relations du Qatar avec l’Iran. Le Qatar a riposté en annonçant  le rétablissement de relations diplomatiques totales avec Téhéran.

À l’opposé, les pays du Golfe ont fermé leurs frontières avec le Qatar, ce qui a amené l’émirat gazier à se tourner vers l’Iran et la Turquie, notamment pour importer des produits alimentaires.

Ces deux pays ont exprimé une forte solidarité avec le Qatar. Un revers pour la politique impulsive de Riyad…

Les liens avec Israël à l’origine secrets apparaissent au grand jour

Les deux pays, si différents, partagent néanmoins de plus en plus la même haine contre l’Iran, pour des raisons différentes.

Ils ne pouvaient que s’entendre ; cette entente devenant par ailleurs de plus en plus notoire et  provoquant une onde de choc à l’intérieur du monde arabe sunnite, certains pays n’étant pas prêts à pardonner cette « faute ».

Le 11 novembre 2017, la télévision  israélienne Channel 10 a révélé le contenu d’un câble diplomatique adressé à tous les ambassadeurs israéliens suite à la démission du premier ministre libanais, Saad Hariri, et à la tension qui s’en est suivie entre le Liban et l’Arabie saoudite : immédiatement après la démission surprise du premier ministre libanais, Israël a adressé une dépêche à toutes ses ambassades, leur demandant de faire jouer au maximum leur influence diplomatique pour accentuer la pression sur l’Iran et le Hezbollah.

Ainsi, pour faire bloc contre ce qu’ils perçoivent comme l’influence et l’expansion iranienne dans des pays tels que la Syrie, le Liban et l’Irak, les deux ennemis historiques que sont Israël et l’Arabie Saoudite en sont venus à une coopération pragmatique, dont l’objectif politique commun est de morceler le croissant chiite. Cela fait longtemps qu’en tant qu’extension de la présence territoriale de l’Iran jusqu’à la frontière septentrionale de l’État juif, le Hezbollah est considéré par Israël comme « l’ennemi numéro 1 ».

Un nouveau regard de l’Arabie saoudite sur le conflit syrien

Le rapprochement entre le roi Salmane et le président russe Poutine a eu pour objet d’élaborer une stratégie commune pétrolière au niveau mondial susceptible d’améliorer les recettes de leur pays respectif. Un tel rapprochement a permis de constater  à quel point les points de vue des deux parties s’étaient rapprochés.

Certes, l’Arabie continue à abriter une partie des membres de l’opposition syrienne. Mais même dans ce cas, la Russie n’hésite plus à exercer sur l’Arabie saoudite une certaine pression  pour exiger de la part de cette représentation un comportement plus constructif.

Certes, l’Arabie n’a pas complètement abandonné certaines unités rebelles opérant encore en Syrie (par exemple, Abdallah al-Mouhaysini, cheikh wahhabite saoudien, a annoncé la réorganisation d’un groupe composé de miliciens de nationalité saoudienne, qu’il dirigera en personne). Mais le dossier syrien n’est plus un sujet prioritaire pour la diplomatie du royaume…

Selon  les médias russes, le roi Salmane aurait affirmé au président Poutine qu’il n’a « pas de problème avec le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad pendant la transition et même après cette période, mais les relations intenses entre Téhéran et Damas sont gênantes. »

Les péripéties de l’affaire libanaise

Le 4 novembre 2017, Saad Hariri avait annoncé, à la surprise générale, sa démission depuis Riyad, provoquant une crise entre les deux pays et des critiques au Liban contre l’Arabie saoudite qui avait été accusée de retenir le premier ministre contre son gré.

La France était intervenue pour trouver une porte de sortie. Saad Hariri était rentré dans son pays trois semaines plus tard et avait ensuite annoncé qu’il revenait sur sa décision.

À l’époque de la crise, des analystes avaient expliqué que le royaume saoudien sunnite avait forcé son protégé Saad Hariri à démissionner en incriminant le Hezbollah, tentative visant à endiguer l’influence de cet allié de l’Iran chiite au Liban.

Il est clair que l’objectif de la stratégie saoudienne dans la démission forcée de Hariri était de  provoquer au sein de la classe politique libanaise un choc qui aurait encouragé les sunnites à  hausser le ton face au Hezbollah, provoquant alors la chute d’une équipe gouvernementale sunno-chrétienne qu’on aurait remplacée par un cabinet dont le parti pro-iranien n’aurait pas été autorisé à faire partie.

La manœuvre allait cependant avoir l’effet contraire : en tentant de pousser les protégés de son rival iranien au Liban vers la sortie, l’Arabie a éjecté de l’échiquier libanais celui qui était jusque-là perçu comme son meilleur client, voire son favori et qui avait de plus  la double nationalité libanaise… et saoudienne.

Le royaume semble avoir depuis lors repensé sa stratégie libanaise : le dossier libanais a été enlevé des mains trop extrémistes de Thamer Sabhane, ennemi invétéré des chiites, qui a été remplacé par Nizar Alaoula, plus fin diplomate ; et Riyad reconnaît aujourd’hui, ouvertement et pleinement, les autorités compétentes du pays du Cèdre, et porte un autre regard sur le premier ministre libanais…

Dans ce contexte, Saad Hariri a été à nouveau l’hôte officiel de l’Arabie saoudite fin février 2018 : comédien accompli, l’homme, le sourire franc, y a rencontré le roi Salmane et son fils, MBS.

Les relations entre les deux pays n’ont pourtant jamais été simples car le Liban a pendant longtemps profité de financements privés, parfois publics, de l’Arabie saoudite ; mais celle-ci demande en contrepartie fidélité à sa stratégie.

Nouveaux rapports avec l’Égypte

Les deux parties ont signé, lors de la visite du prince saoudien en Égypte, en mars 2018, plusieurs accords dans les domaines de l’agriculture, de l’environnement et du tourisme.

L’Égypte a besoin financièrement de l’Arabie saoudite. Accusé de ne pas réussir à résoudre la profonde crise économique dont souffre l’Égypte, Mohamed Morsi, président élu démocratiquement après la révolution de 2011 qui avait chassé Hosni Moubarak du pouvoir, fut à son tour renversé par le coup d’État militaire de juillet 2013 qui porta le général al-Sissi à la tête du pays, lequel bénéficia de considérables aides économiques saoudiennes.

En effet, l’Arabie saoudite a besoin de l’appui de l’Égypte dans sa lutte contre les Frères musulmans.

Dans le domaine agricole, l’accord prévoit la création d’un fonds commun d’investissement, doté de 10 milliards de dollars, pour le développement des terres désertiques du sud du Sinaï. Elles sont appelées à être incluses dans le projet lancé par Mohammed ben Salmane en 2017, dans le cadre de son programme Vision 2030, pour la diversification de l’économie saoudienne. L’Égypte apportera sa part dans le fonds d’investissement (50%) en louant ces terres à long terme.

Dans le même cadre, l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie se sont entendues pour développer la région concernée par le projet Neom et sur leur littoral de la mer Rouge dans le cadre d’un mégaprojet touristique. Au moins 15 fronts de mer, 4 nouvelles villes et 50 stations balnéaires sont à construire. Les régions concernées sont : al-Akaba en Jordanie, Sharam al-Cheikh et al-Ghardaa en Égypte, et Neom en Arabie saoudite.

Quant au dossier israélien, Ryad et Le Caire sont sur la même longueur d’onde et n’ont cure des Palestiniens : tandis que Riyad fait front commun avec Tel Aviv (aujourd’hui… Jérusalem) contre l’Iran, l’Égypte d’al-Sissi a depuis belle lurette bouclé sa frontière avec Gaza, condamnant ainsi le Hamas à l’isolement.

Une instabilité croissante

L’Arabie saoudite connaît des signes croissants d’instabilité qui pourraient être dévastateurs.

Ces signes sont perceptibles en matière économique et aussi politique.

Sur le plan économique, l’Arabie saoudite a connu un certain nombre de problèmes qui contribuent à sa déstabilisation interne. En avril 2017, Bloomberg a signalé que le roi Salmane était obligé de rétablir les primes et les indemnités pour les employés de l’État, en revenant ainsi sur les tentatives de réforme des programmes d’austérité de l’Arabie saoudite. Le gouvernement saoudien a insisté sur le fait que la décision était due aux « revenus supérieurs aux prévisions », malgré le fait que les observateurs notaient en mars que les réserves en devises étrangères de l’Arabie saoudite plongeaient alors qu’un tiers des États du Conseil de Coopération du Golfe (Émirats arabes unis, Bahreïn, Arabie saoudite, Oman, Qatar et Koweït) ont vu leurs cotes de crédit réduites et sont de plus en plus en désaccord sur une politique étrangère commune vis-à-vis de l’Iran.

Les problèmes financiers croissants du royaume s’expliquent en partie par la baisse du prix du pétrole. En janvier 2016, The Independent a noté que la baisse du prix du pétrole compromettrait les programmes de dépenses de l’Arabie saoudite et qu’un tiers des jeunes de 15 à 24 ans ne travaillait pas. Middle East Eye a cité des experts américains affirmant que les exportations nettes de pétrole de l’Arabie saoudite ont commencé à diminuer en 2006, continuant de baisser chaque année de 1,4% (annuellement) entre 2005 et 2015. Citigroup a estimé que le royaume pourrait manquer de pétrole à exporter d’ici 2030. La fin de la vache à lait du royaume est susceptible de causer des problèmes dans une nation que The Atlantic a accusé de se gérer comme une « entreprise criminelle sophistiquée ».

Sur le plan strictement politique, Il existe un certain nombre d’indications selon lesquelles la famille royale d’Arabie saoudite connaît également beaucoup de conflits internes. Le roi Salmane a provoqué un bouleversement important dans le royaume en prenant l’initiative controversée de réviser totalement les règles de succession en Arabie saoudite et en nommant son fils, Mohammed ben Salmane, en tant que prince héritier. Ce mouvement est dangereux étant donné qu’il a causé une division dans la famille royale. La  revue Foreign Policy a noté que les forces de sécurité de l’Arabie saoudite ne sont pas sous l’autorité d’un seul commandant, ce qui signifie que l’armée court le risque de se fracturer en cas de conflit interne.

En 2015, The Independent a parlé avec un prince saoudien, lequel a révélé que huit des onze frères de Salmane étaient insatisfaits de son leadership et envisageaient de lui retirer le poste, en le remplaçant par l’ancien ministre de l’Intérieur, le prince Ahmed ben Abdulaziz. NBC News a révélé que la promotion du fils de Salmane au poste de prince héritier a également mis en colère le prince Muhammad ben Nayef, qui était auparavant en ligne pour le trône et qui est connu pour sa position dure envers l’Iran. Le 28 juin 2017, le New York Times a rapporté que Nayef avait été empêché de quitter l’Arabie saoudite et avait été confiné dans son palais de Jidda, tandis que ses gardes étaient remplacés par des fidèles de Mohammed ben Salmane.

Nayef gouverne la région de l’est de l’Arabie saoudite, qui est décrite comme l’une des provinces les plus susceptibles de se rebeller en cas de conflit civil en raison de la grande population de musulmans chiites qui y est établie. Nayef est généralement considéré comme l’un des principaux commanditaires de l’exécution, en 2016, du clerc chiite Nimr al-Nimr, un acte qui a provoqué une colère sérieuse chez les Iraniens. La famille de Nayef a également des liens historiques avec les groupes insurgés utilisés par l’Arabie saoudite comme outil de politique étrangère. Son père, Nayef ben Abdulaziz Al Saoud, a été ministre de l’Intérieur et a contrôlé les services de renseignements internes de l’Arabie saoudite, la police, les forces spéciales, l’agence de répression des drogues et les forces des Moudjahidines.

Le roi Salmane a utilisé la guerre au Yémen pour contrecarrer l’insatisfaction des élites en provoquant ce que le Washington Post décrit comme une poussée du sentiment nationaliste parmi les citoyens. La décision a également servi de tentative pour prendre des mesures proactives contre le soutien iranien aux Houthis du Yémen. Mais si l’intervention a peut-être fourni à Arabie Saoudite des avantages à court terme, elle a également contribué à une fracture accrue du Moyen-Orient et a permis aux États voisins de prendre des mesures pour remplacer l’Arabie saoudite en tant que puissance dominante de la région.

Enfin, il faut noter que les changements géopolitiques augmentent la vraisemblance des conflits. Ce n’est pas seulement le Yémen qui cause la préoccupation des Saoudiens. Des années d’ingérence signifient maintenant que le royaume mène de plus en plus ses affaires étrangères dans le but d’éviter la déstabilisation interne et d’équilibrer la donne du jeu de cartes régional. Les communiqués de câbles diplomatiques diffusés par Wikileaks et provenant du ministère des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite montrent que les fonctionnaires s’étaient engagés à continuer de détruire le régime syrien de peur que le gouvernement d’Assad ne puisse se livrer à terme à des représailles pour la guerre civile qui a détruit son pays. L’Arabie saoudite a contribué à alimenter la guerre en soutenant les groupes terroristes islamistes. Les câbles du département d’État publiés par Wikileaks également montrent que l’Arabie saoudite est considérée comme le bailleur de fonds le plus important des groupes terroristes sunnites à l’échelle internationale. Mais, comme pour les interventions étrangères, le terrorisme comme outil de politique étrangère sert à diriger au mieux l’énergie destructrice.

Il existe depuis longtemps des craintes que la méthode ne se développe de sa propre initiative et crée des problèmes pour les bienfaiteurs de la terreur. Les forces de sécurité saoudiennes ont régulièrement eu des problèmes d’infiltration par des groupes terroristes. En 2001, Stratfor a noté la préoccupation croissante de la famille royale concernant l’augmentation des sympathisants terroristes parmi les militaires en raison des craintes que certains des groupes insurgés ne soient pas amicaux envers le royaume. Des groupes de terroristes, tels que l’ISIS au cours des dernières années, se sont engagés dans un certain nombre d’attaques contre des cibles saoudiennes, y compris des attentats-suicides.

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L’Arabie saoudite est bien un géant aux pieds d’argile.

Bien des interrogations se font jour sur les ambitions démesurées du jeune prince qui aspire à rapidement devenir monarque dans son pays.

Sa stratégie de rupture brutale souvent cynique lui a inévitablement créé beaucoup d’ennemis internes parmi les hauts dignitaires et le commandement militaire. Il existe en effet de nombreuses incertitudes et turbulences sur le plan intérieur. La minorité chiite du pays encouragée par l’Iran ne cesse de  faire entendre sa voix. En politique extérieure, le prince héritier se trouve face au défi de démontrer aux  puissances occidentales et  aux investisseurs potentiels que l’Arabie est stable et qu’il a la haute main sur la péninsule, malgré les  problèmes avec  le Qatar et la guerre au Yémen.

En cas de troubles, c’est le peuple jeune du royaume (dont plus des trois-quarts ont à peine trente ans) qui pourrait faire office d’arbitre.

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Jean-Pierre Estival

Économiste et Politologue, Expert géostratégie et Président de la Commission des relations entre l'Europe et les pays arabes (Direction des ONG du Conseil de l'Europe)

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