ARAB WORLD MAPS (Syrie) – Le jeu dangereux des puissances

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Depuis la reprise en main d’Alep par le gouvernement syrien, en décembre 2016, et la défaite de l’État islamique (EI) à Raqqah, en octobre 2017, la guerre de Syrie est entrée dans une nouvelle phase, qui semble s’approcher d’un dénouement final.

Mais un dénouement qui pourrait accroître encore le caractère dramatique de ce conflit : l’entrée de la Turquie sur le théâtre syrien, dans le but d’anéantir les Kurdes du YPG accusés d’être affiliés au PKK (le Parti des Travailleurs kurdes, combattu par la Turquie en tant qu’organisation terroriste) a en effet complètement rebattu les cartes, et encore plus internationalisé un pays de facto placé sous tutelles étrangères.

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La liste des pays directement impliqués sur le terrain est désormais impressionnante ; elle inclut trois camps, voire davantage : le camp loyaliste (dans lequel se trouvent la Russie et l’Iran, et de nombreuses milices étrangères, notamment le Hezbollah libanais), le camp kurde (soutenu par les États-Unis et une coalition internationale mobilisée à l’origine pour combattre l’État islamique) et le camp « rebelle » (soutenu principalement par la Turquie et basé dans le nord de la Syrie, mais dont les États-Unis soutiennent quelques factions à la frontière de la Jordanie).

Dans le camp loyaliste : les Russes et les Iraniens

Dans le camp loyaliste, les Russes sont le principal soutien de Bachar al-Assad.

Il est probable que leur intervention, à mi-parcours de la guerre, ainsi que celle du Hezbollah, ont permis au gouvernement syrien de ne pas disparaître, et au final de prendre le dessus.

Les Russes ont très vite apporté au régime syrien la maîtrise des airs, qui s’est révélée être une des clefs dans le conflit, notamment face aux rebelles syriens de la région d’Alep. Les Russes étaient déjà présents militairement à Tartous, où ils disposent d’une base navale importante, mais ils établirent leur principale base aérienne au sud de Lattaquié, couvrant ainsi l’essentiel du nord de la Syrie. Le dispositif fut complété par les bases syriennes de Shayrat et de T4, plus au centre de la Syrie, lesquelles leur permirent de soutenir les offensives lancées contre l’EI et vers les zones rebelles de Damas et du sud de la Syrie.

Outre les forces aériennes, les forces spéciales russes sont aussi présentes sur le terrain aux côtés des loyalistes sur les différents terrains de bataille, et ont une base près de Hama.

L’engagement iranien sur le terrain est quant à lui plus ancien ; il date du début de la guerre civile. L’armée iranienne apporte au gouvernement syrien des troupes de terrain et encadre un certain nombre de milices chiites paramilitaires iraniennes et d’autres provenances.

Les Iraniens ont été très présents notamment lors de la reprise d’Alep, en 2016.

Leurs bases principales se situent au sud d’Alep, dans les monts Azzan, et près de Damas, sur l’aéroport international, ainsi qu’à Sayyida Zeinab, dans la banlieue sud de Damas où ils ont sécurisé un important lieu de pèlerinage chiite.

À cela, on peut ajouter que les implantations iraniennes sont souvent en rapport avec les mouvements du Hezbollah, très surveillés par les israéliens qui craignent l’ouverture d’un nouveau front par la milice libanaise.

Dans le camp des Kurdes : les Américains et les Français

La présence américaine s’est structurée autour de la lutte contre l’État islamique et, étant donné hostilité de Washington envers le gouvernement de Bachar al-Assad, les Américains se sont implantés aux côtés des milices majoritairement kurdes des SDF (Syrian Democratic Forces), dont la principale constituante est le YPG, un mouvement idéologiquement proche du PKK turc.

Tout comme les Russes, les Américains disposent d’importantes forces aériennes, basées principalement dans le nord-est de la Syrie, sur la base de Rumeilan (près de la frontière irakienne) ou encore sur celle d’Arab Isk (au nord de Raqqa). La présence de ces bases des forces spéciales américaines a été rapportée par plusieurs sources, dont l’agence turque Anadolu, et inclut la région de Manbij, dont la Turquie souhaiterait chasser les milices kurdes.

Outre les combats menés contre l’État islamique, les Américains ont frappé des colonnes de combattants loyalistes près de Deir ez-Zor, empêchant ces derniers de prendre pied à l’est de l’Euphrate.

Aux côtés des Américains, des forces spéciales françaises ont été déployées dans le nord de la Syrie ; notamment près de Kobane et d’Ayn Isa, d’où elles ont conduit essentiellement des actions contre l’EI, plus au sud.

Dans le camp des « rebelles » : les Turcs

Les Turcs ont commencé leur engagement en Syrie par l’opération Euphrates Shield (Bouclier de l’Euphrate), en août 2016. L’opération a consisté à déloger l’État islamique de la région de Jarabulus et Al Bab, frontalière de la Turquie, mais aussi à empêcher le YPG de Manbij de relier ce territoire avec celui d’Afrin, plus à l’ouest.

À l’issue de cette intervention, plusieurs bases militaires turques ont été créées, notamment à Al Rai et à Akhtarin, près d’Al Bab.

Dans le cadre des négociations d’Astana, la Turquie a convenu avec la Russie de la mise en œuvre de « zones de désescalade », et notamment de celle d’Idlib, où les Turcs sont en train de mettre en place plusieurs bases d’observation destinées à geler le front entre les rebelles et les forces du régime syrien.

Depuis janvier 2018, les Turcs ont conduit une nouvelle opération conjointe avec leurs alliés « rebelles » (principalement les reliquats de l’Armée syrienne libre, l’ASL, et des factions islamistes), une opération dénommée Olive Branch (Rameau d’Olivier), laquelle a pour objectif de poursuivre le démantèlement du YPG et de l’expulser de la région d’Afrin. Cette opération a permis aux Turcs de relier les territoires rebelles d’Idlib à ceux d’Al Bab.

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Dans le jeu actuel des puissances impliquées en Syrie, on voit bien que les trois camps qui s’opposent ont des intérêts radicalement opposés, voire inconciliables.

La Turquie a un objectif bien établi, celui d’éradiquer les milices kurdes, ainsi que de disposer d’une zone tampon rebelle où elle pourra reloger les nombreux réfugiés syriens qu’elle héberge.

La Russie poursuit l’objectif d’une victoire du régime syrien, mais semble envisager un accord avec la Turquie pour un règlement politique du conflit ; alors que l’Iran souhaite continuer à renforcer son axe allié Irak-Syrie-Hezbollah.

Il est en revanche plus difficile de comprendre les objectifs à moyen et long terme de Washington (d’autant plus depuis que le président Trump a pris les rênes de la Maison blanche), alors que l’EI a déjà été vaincu sur le terrain. En effet, de nombreux nuages s’accumulent qui rendent obscur le jeu états-unien : d’une part, l’intervention des États-Unis est toujours illégitime au regard du droit international, n’ayant pas été invités par le gouvernement officiel à s’établir en Syrie comme ils l’ont fait ; d’autre part, les Américains sont maintenant en conflit diplomatique avec leur allié de l’OTAN, la Turquie, puisque celle-ci les accuse de protéger le YPG, qu’Ankara considère comme terroriste.

On voit mal comment les Américains pourraient justifier encore longtemps une présence aussi peu consensuelle et qui comporte des risques de guerre avec la Russie… et la Turquie.

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Emmanuel Pène

Cartographer, Historian and Economist, Founder of the website agathocledesyracuse.com Director of Consulting Services

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