SYRIE – Des missiles de croisière… et un avenir angoissant

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Ce n’est pas le bombardement ponctuel d’une base aérienne par des missiles de croisière américains qui risque de  changer radicalement la donne politique en Syrie.

D’une part, car Washington a de nouveau  signifié que sa  priorité  reste de vaincre Daech et non de renverser le régime.  Et, d’autre part, car un engagement militaire direct de la part des États-Unis contre le gouvernement de Bachar al-Assad comporte un risque de confrontation avec la Russie. Sans compter que des frappes, surtout limitées à des tirs de missiles, c’est-à-dire sans un engagement (hors de question à l’heure actuelle) de troupes au sol ne peut remporter la décision.

En fait, contrairement à Moscou pour qui la Syrie constitue un enjeu vital,  Washington  n’y ont pas d’intérêt stratégique majeur ; ce qui explique, à la fois, la décision du président Obama, en son temps, de ne pas donner suite à sa menace de bombarder le régime syrien si Damas franchissait la ligne rouge qu’il avait lui-même tracée (l’utilisation d’armes chimiques) et, à la fois, la volte face apparente de Donald Trump sur ce dossier.

Il ne faut  donc pas exagérer la portée de sa démonstration de force qui constitue un coup de maître psychologique autant motivé, si pas plus, par des considérations de politique intérieure que par des intentions extérieures significatives.

Ainsi, au-delà de l’agitation médiatique  et des flots d’analyses suscités  par  cet événement,  il est peu probable qu’il entraîne une fin rapide du conflit en Syrie, même s’il aura forcément un impact sur les négociations en cours.

Surtout, il n’y a pas  lieu d’être optimiste sur  l’avenir de la Syrie qui a peu de chance d’être  réconciliée un jouir avec elle-même ; en tout cas pas sous le régime de Bachar al-Assad, qui a bombardé sa propre population. Quant à l’instauration d’un pouvoir de transition, c’est une perspective plus qu’improbable, dans le contexte du rapport de forces actuel qui est favorable au régime, notamment du fait du soutien russe et iranien.

Enfin, au vu de la radicalisation de l’opposition et de la faiblesse de son aile laïque et modérée,  il est illusoire de penser que l’installation à Damas d’un gouvernement révolutionnaire qui serait de facto dominé  par  les islamistes puisse conduire à l’effet officiellement recherché par les détracteurs internationaux du régime, à savoir l’instauration de la démocratie. Une telle perspective risquerait, au contraire, de déboucher sur une dictature de la majorité sunnite, comme  cela a été le cas de la part de la majorité chiite, en Irak, depuis 2003. Et cela même dans l’hypothèse d’un régime de « partage communautariste » du pouvoir, et même si les organes de  l’État syrien n’étaient pas purgés de leurs cadres actuels, comme l’on fait les Américains de l’armée et des fonctionnaires baasistes irakiens.

On ne voit pas non plus comment la haine accumulée par les atrocités perpétrées de part et d’autres et les centaines de milliers de victimes de la guerre pourraient rendre possible une réconciliation, empêcher des représailles et faire cesser les combats.

Par ailleurs, même si Daech est délogé de son fief de Raqua, sa défaite ne signifiera  pas la fin de cette organisation criminelle et pourrait entraîner une recrudescence des attentats terroristes et leur extension à tout le territoire syrien et au-delà.

Autre écueil au projet de paix en Syrie : à la différence de la guerre civile libanaise de quinze ans qui n’a pris fin que grâce à l’intervention syrienne entreprise avec la bénédiction américaine, on ne voit pas, aujourd’hui, quelle  force serait en mesure de s’interposer entre les combattants.

Les autres  facteurs  jouant en défaveur de la reconstruction de la « nation » syrienne, c’est aussi  la volonté des Kurdes de se tailler une province autonome dans le nord-est du pays ; ce sera l’incapacité du régime à rétablir son autorité sur le territoire actuellement contrôlé par Daech, après qu’aura eu lieu, inéluctablement, la reconquête par des forces non gouvernementale et de surcroît appuyées par les Américains ; et c’est l’incertitude concernant les régions de Deraa  et d’Idlib, toujours aux mains des groupes islamistes apparentés à Al-Qaeda. Même si une partition de jure de la Syrie est exclue par les protagonistes internes et externes du conflit (et si Damas  restera le siège du gouvernement central) on se dirige probablement de facto vers une large décentralisation du pouvoir et la division du pays en plusieurs « zones d’influence ».

Une « Syrie utile », sous influence russo-iranienne, comprenant une forte composante alaouite  dont la gouvernance, avec ou sans Bachar al-Assad, reste à négocier entre Russes, Américains et Iraniens ; des régions sous influence américaine comprenant la zone kurde et les territoires à majorité sunnite qui seront reconquis sur Daech ; et une petite enclave sous l’influence d’Ankara à la frontière turque.

Un autre problème majeur, le sort des millions de réfugiés, déplacés à l’intérieur et à l’extérieur  du pays : il est à craindre que la majorité d’entre eux ne pourra pas regagner leurs foyers de sitôt, non seulement du fait de la destruction souvent totale des zones urbaines qu’ils ont fuies et de l’énormité du coût de la reconstruction du pays,  mais aussi du fait de la réticence probable du régime qui a procédé à des déplacements de population de grande ampleur à  les accueillir dans les régions qu’il contrôle. Une problématique qui affecte non seulement la Syrie, mais aussi les pays voisins, surtout le Liban qui accueille plus d’un million de refugiés sur son territoire dont la présence fait peser une menace existentielle sur son équilibre confessionnel…

Un avenir angoissant, donc, pour une Syrie dévastée, et un chemin encore long vers l’issue du conflit, sur lequel les cinquante-neuf missiles de croisière américains n’auront été qu’une étape plus ou moins inconséquente.

 

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Ibrahim TABET

Historien et Écrivain - Beyrouth (LIBAN)

2 Comments

  1. Ahmed B- (Tunisie) on

    Malheureusement, que des contradictions dans cet article! Toutes les thèses colportées contre le régime de Damas par ses plus féroces ennemis (dont les pays du Golfe constituent le chef de file) sont avancées par cet article qui au fond réduit le débat à : avec Bachar Al Assad, il n’y a pas d’avenir pour la Syrie (l’article aura mentionné aussi qu’il n’y a pas d’avenir avec le reste des forces et courants). Autre point remarquable: la thèse de déplacement irréversible des populations par le Régime : comment voulez-vous la prouver quand les plus grands perdants (Liban par exemple) ne veulent pas avoir de rapport avec ce Régime: il y a peu de chance que le 1,5 million de Syriens réfugiés au Liban reprennent le chemin de la patrie, dans ces conditions!

  2. Jouirou M. on

    Ce qui est tuant dans ce types d’analyses, c’est que tous parlent des intérêts des puissances occidentales et de la russie; mais aucun ne parle du crime commis par ces puissances qui ont comploté pour détruire, encore une fois un pays souverain, qui ne cesse de se développer, pour le remettre à “zéro” et disloquer le tissu social de son peuple. Ces médias qui choisissent de nommer l’armée syrienne de l’armée de Assad pour dire qu’il sont entrain d’éliminer un dictateur et non la destruction d’un pays. Ils veulent , pays par pays nous apporter la démocratie à l’irakienne.
    Ces occidentaux, bandits et pilleurs, menteurs et sales d’esprit sont devenus un danger mondial. Là où ils réussissent, ils ne sèment que la désolation, la pauvreté, les cissions sociales; mais surtout le dépouillement des pays de leur richesses et de leur liberté. C’est le cas en Irak, en Afghanistan, en Yougoslavie,…., Là où ils ont perdu, les pays ont regagné leur unité et leur paix sociale, comme au vietnam, en tchétchénie,….
    Alors arr^tez de reprendre les idées et les objectifs colonialistes dans vos analyses et défendez les intérêts des peuples et n’essayez pas de justifier les crimes et propager les mensonges.

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