SYRIE – Sur le terrain, Bashar al-Assad marque des points… et une solution politique ne semble pas à l’ordre du jour

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La Syrie, qui vit sa quatrième année de guerre civile, se trouve toujours dans la même impasse politique ; et la crise humanitaire ne cesse de s’amplifier. Sur le plan militaire, le camp gouvernemental continue d’avancer : après la prise des positions rebelles à al-Qousseyr et Yabrud, et tout le long de la frontière libanaise, le régime a fait tomber Homs, ville éminemment symbolique du conflit syrien. Alep, la deuxième ville du pays, passée à la rébellion en 2012, bombardée à plusieurs reprises par l’aviation de Bachar el-Assad, a été mise à rude épreuve cet hiver et au printemps, et malgré l’aide humanitaire parvenue en avril. La coupure de la route Damas-Alep a pris la population de la ville au piège de la guerre…

Selon les médias iraniens, le front al-Nosra aurait attaqué un convoi d’aide humanitaire dans les villages au nord d’Alep, le 7 mai ; et Rami Abdel Rahmane, de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, le Beijing Time, ainsi que le docteur Nabil Antaki, proche de l’ONG chrétienne Maristes bleus, confirment qu’un groupe djihadiste a bloqué la station de pompage Suleiman Al-Halibi, assoiffant ainsi les 2,5 millions d’Aleppins pendant deux semaines, avec les conséquences humanitaires qu’on peut imaginer (aucun intellectuel « mainstream » ni aucun gouvernement occidental n’a manifesté d’indignation à ce jour).

Le camp palestinien de Yarmouk, au sud de Damas, où vivraient 20.000 réfugiés, reste assiégé et affamé par les forces gouvernementales, qui estiment que des groupes rebelles y sont encore infiltrés. L’ONU, impuissante, ne peut que compter les morts du fait de la famine, et les cas de malnutrition.

Début mai, le gouvernement a repris Homs, ancien fief de l’Armée syrienne libre.

Des négociations assez inédites ont eu lieu pour permettre l’évacuation des milices rebelles. Selon le chercheur syrien Hassan Ahmad Hassan et le député syrien Khaled Abboud, cette singularité s’explique par le fait que des agents et/ou des experts de services de renseignements européens et de plusieurs États arabes se seraient trouvés parmi les miliciens évacués. Leur départ aurait été obtenu en échange de la libération d’otages civils et militaires détenus par des djihadistes, au nord et à Lattaquié, ainsi que de l’envoi d’un convoi d’approvisionnements à Noubbol et Zahra, les deux localités chiites assiégées depuis plus d’un an (où plus de 500 personnes ont été tuées).

Selon The Wall Street Journal, qui citait le 17 mai des officiels afghans, l’Iran aurait offert aux réfugiés afghans accueillis sur son territoire de se battre en Syrie, tandis que Téhéran ne cesse d’intensifier son investissement dans l’encadrement de l’armée syrienne.

Le gouvernement de Damas continue de dénoncer les livraisons d’armes anti-aériennes et l’arrivée de combattants islamistes via la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite, mais les nouvelles divisions diplomatiques entre ces trois pays (la Turquie d’Erdogan étant par ailleurs paralysée par des scandales politiques internes), et l’intensification de la répression des réseaux de recrutement djihadistes au départ de l’Europe (en France notamment) affaiblissent logistiquement le camp des rebelles qui, par ailleurs, sait, depuis août-septembre 2013, qu’il ne peut plus compter sur une intervention militaire de l’OTAN.

Sur le plan politique, le régime du président Bachar el-Assad semble incapable de tirer profit du ballon d’oxygène dont il dispose sur le terrain des combats, pour mettre en œuvre le processus de démocratisation qu’il s’était engagé à promouvoir en 2011. Mais en a-t-il jamais eu l’intention ? Quoi qu’il en soit, aucune force d’opposition pacifique crédible n’a pu s’imposer en Syrie, comme le montrent déjà les élections présidentielles à venir, où les deux challengers déclarés de Bachar el-Assad, à l’élection présidentielle du 3 juin, sont de parfaits inconnus : l’ex-député communiste d’Alep, Maher Abdul-Hafiz Hajjar (46 ans), et l’ancien député Hassan ben Abdullah al-Nouri (54 ans).

Un des 24 candidats refusés a été enlevé par un groupe de rebelles et exhibé dans une vidéo qui le montre au milieu de ses ravisseurs, affirmant que « ces élections sont une farce », sans qu’on puisse déterminer si ses déclarations reflètent vraiment son opinion profonde. Mais bien peu de peu de gens en Syrie, même parmi les partisans du président, s’aventureraient à nier que Bachar el-Assad a fait un vide politique autour de lui (tout autant, d’ailleurs, que la logique de polarisation que crée la violence dans toute guerre civile). Si bien qu’aucune alternative à l’hégémonie du système oligarchique du Baas ne paraît pouvoir émerger.

Dans ce contexte, la France mène un étrange combat d’arrière-garde, qui paraît viser surtout à défendre l’image-cliché du « pays des droits-de-l’homme se dressant aux côtés d’un peuple opprimé ». Mais sans prise aucune sur la réalité, du fait, notamment, que Paris s’est méthodiquement aliéné toute voie de dialogue avec le régime syrien.

À l’occasion d’une visite de son homologue états-unien à Paris, John Kerry, le 13 mai, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a rappelé que Paris regrettait que Washington n’ait pas décidé de bombarder l’armée syrienne après l’attaque sur la banlieue de Damas, al-Gouta, en août 2013, sur laquelle bien des mystères planent encore, et a affirmé que Damas aurait utilisé à 14 reprises des armes chimiques (du chlore, plus volatile que le Sarin) depuis octobre 2013 (date du début du démantèlement des arsenaux chimiques syrien suivant les accords russo-états-uniens), une accusation portée aussi par le ministre de la Défense israélien, Moshe Yaalon.

Cette rhétorique accusatrice s’accompagne toujours d’un soutien des onze pays membres du groupe des « Amis de la Syrie » (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, France, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Qatar, Egypte, Jordanie, Etats-Unis, Turquie), lesquels, réunis le 15 mai à Londres, ont dénoncé les futures élections en Syrie comme une « parodie de démocratie » ; mais ce théâtre demeure sans le moindre effet, d’autant plus que le Conseil national syrien (CNS), basé en Turquie et censé représenter les forces d’opposition de la rébellion, auquel les onze apportent leur soutien depuis le début du conflit, ne représente en réalité plus aujourd’hui que lui-même, n’ayant plus aucune emprise sur les combattants en lice à l’intérieur des frontières syriennes

Dans l’état actuel du rapport de forces, le CNS pourrait au mieux espérer être intégré un jour à un gouvernement d’union nationale, comme le proposent les Iraniens, sur le modèle du processus de pacification du conflit au Zimbabwe ; le CNS ne serait ainsi engagé dans la négociation qu’au titre de simple gadget…

Mais la question se pose-t-elle ? La définition d’un nouveau contrat social en Syrie, n’est sans doute pas pour demain.

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Frédéric Delorca

Political Scientist and Sociologist

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