TUNISIE – Démystifier la politique !

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En ces temps postmodernes — et la Tunisie depuis son « coup du peuple » [ndlr : la révolution de 2011] est une expression basique de la postmodernité —, il est bien temps de démystifier la politique en répudiant celle qui a toujours cours dans le monde et chez nous, une pratique « à l’antique » !

Alors que la socialité est en effervescence en un tel âge des foules aux pulsions exacerbées, aux sens en émoi, la politique ne peut plus se faire comme avant, de cette manière éculée de simuler et de dissimuler, où il sied de jouer au lion et au renard dans le même temps, tenter de laisser croire être l’instigateur de ce qui nous dépasse au vrai.

Car de nos jours, il serait prétentieux à quiconque de prétendre être maître des événements. Tout au plus peut-on espérer les accompagner afin de profiter de leur cours, le dévier ou en atténuer les retombées fatales. C’est un peu, à l’œuvre, une sorte de Mektoub [ndlr : fatalité, prédestination] postmoderne que la notion « d’écosophie » résume à merveille.

On ne pense plus, on est pensé; on n’agit plus, « on est agi ».

 

Pouvoir de l’imaginaire et de la libido

En effet, l’homme maître et souverain de l’univers de la Modernité a depuis longtemps cédé la place à l’homme soumis, sinon dépendant de son inconscient, son imaginaire surtout. Aussi,  s’il ne prend pas conscience de leur pouvoir irrépressible le manipulant à sa guise, il en est le jouet.

L’imaginaire, en nos temps aveuglés par le matérialisme outrancier allié à un positivisme dépassé, n’est plus la folle du logis du cartésianisme des beaux jours de la science, devenu un simple « cartésisme » quand la science se fait scientisme. Il est aujourd’hui une structure anthropologique éminente à ne point négliger.

En ces temps troubles, la composante essentielle de l’imaginaire, cause et effet de son essence même, est une texture émotionnelle qui n’est, étymologiquement, que le fait de bouger. Et c’est désormais un besoin irrépressible, sous toutes les coutures.

On a pu dire, d’ailleurs, que la postmodernité est la communion des émotions, un érotisme social qui n’est que l’amour qu’emporte son étymologie, soit le sentiment et l’attachement intenses liant les êtres entre eux. Et on sait que si l’amour est contrarié, il verse dans la haine la plus impitoyable; le dépit amoureux étant cruel, éros et thanatos, deux faces d’une même réalité : ce besoin d’aimer ou de haïr chez l’humain.

C’est bien de libido sociale qu’il s’agit, au sens d’énergie vitale jouant à plein dans nos rues et sur les sentiers de traverse de par le monde, étant contrariée dans ses manifestations paisibles d’amour, y compris courtois.

C’est ce dont il nous faut impérativement tenir compte, surtout en terre d’Islam livrée à la plus criminelle des turpitudes, celle d’une religiosité castratrice à force de pudibonderie et de tartuferie.

Et c’est dans les pays du Sud plus généralement, partie du monde la moins vieillie, où la jeunesse est la moins dotée de droits et de libertés, que la faim de la vie est à son comble. Aussi une telle appétence nourrit-elle les tragiques événements auxquels nous assistons dans le monde et qui signent dramatiquement la fin de son ordre ancien périmé.

Sortir de la « daimoncratie »

Il serait illusoire de continuer à pratiquer la politique comme si de rien n’était ; par exemple, rabâcher la rengaine vidée de sens de la démocratie devenue de notoriété juste une « daimoncratie », la chose exclusive des démons de la chose publique.

Qu’est-ce donc d’autre la démocratie de nos jours, et pas seulement en Tunisie ?  Et qu’est-ce la politique ? Des menées affichées et surtout occultes, immorales et sans éthique, motivées par l’acquisition et la conservation du pouvoir par tous les moyens.

L’outil majeur supposé magnifier le pouvoir du peuple n’est plus, même dans les démocraties de vieille tradition — qui sont ce qu’on qualifie de démocratie d’élevage —, que cette feuille de vigne inutile en un temps où la nudité ne pose plus et ne doit plus poser problème.

Car la vérité ne se conçoit que nue; ainsi est-elle éthique dans sa rigueur esthétique, cette syntonie absolue avec l’environnement afin d’en être l’expression fidèle à la perception et à la sensation.

C’est d’éthique que la politique en postmodernité a le plus besoin, une conscience qui lui manque et sans laquelle elle n’est que ruine de l’âme. La démocratie doit y devenir une « démopraxie », une pratique de la chose publique au plus près de l’étymologie du mot, et donc la plus proche du citoyen réinvesti de son autorité et de sa puissance sociétale venant remplacer un pouvoir devenu une coquille vide.

Les spécialistes parlent de la bascule inévitable de la « cratie » (le pouvoir) à « l’archie » (la puissance), annonçant la future « démoarchie ».

Le temps de la « poléthique »

Ne nous leurrons plus ! Aujourd’hui, c’est le pouvoir qui est au centre de la politique : ni l’intérêt de la patrie, ni celui du peuple. Prenons donc un exemple tout bête, celui de tous les jours, compréhensible par le premier venu.

La population, dans sa majorité, se plaint que son niveau de vie se réduise de jour en jour à peau de chagrin, et qu’elle manque de moyens pour subsister, survivre. Or, on sait pertinemment que l’argent ne manque pas; mais il est mal distribué.

La création de la monnaie n’est-elle pas, au demeurant, dépendante de la planche à billets ? Qui donc l’actionne sinon les détenteurs du pouvoir qui, eux, ne se privent pas de moyens, non seulement symboliques, mais aussi matériels dont ils redemandent toujours. Regardons donc de qui émanent les dossiers soumis à l’Instance Vérité et Dignité [ndlr : créée en décembre 2013, l’IVD traite les plaintes relatives aux préjudices commis sous les régimes de Bourguiba et Ben Ali] : que de pontes et de privilégiés parmi ceux-là !

C’est pour incarner l’autorité de l’État, disent-ils !

Nul n’ignore, pourtant, qu’une telle autorité et le véritable prestige de l’État sont pour l’essentiel dans la dignité de son peuple, à commencer par le premier démuni, sa jeunesse, qui incarne son avenir. Comment le fera-t-elle dignement si elle est brimée comme elle l’est aujourd’hui, émasculée même ?!

Une telle façon de voir les choses et de faire la politique est finie et bien finie en notre ère des foules en effervescence. Son émoi, celui surtout de sa jeunesse, traduit une faim de loup de droits et de libertés et surtout d’éthique qui l’amène à verser dans l’horreur. Or, elle est avant tout dans nos têtes !

C’est le temps de la « poléthique », qu’on y pense, la faim faisant sortir le loup du bois.

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Farhat Othman

Ancien diplomate - Juriste et Politologue - Chercheur en Sociologie (Tunis)

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