TUNISIE – Femmes au temps du choléra

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Emna pose en robe de mariée immaculée. Coiffée, maquillée à outrance… Grimée en jeune épouse, elle arbore un large sourire, à côté de son fiancé qui l’enlace.

Emna a 12 ans, Ahmed en a 15.  La famille célèbre les fiançailles des deux jeunes gens dont les photos feront le buzz sur internet…

Cela s’est passé il y a trois semaines, à Gafsa, dans le sud-ouest de la Tunisie…

À l’heure où leurs camarades se préparent à la rentrée scolaire, se déplacent pour s’inscrire à l’école et acheter leurs plumes, crayons et cahiers, le couple plonge dans la vie d’adulte sans avoir vécu d’adolescence.

Cela semble un cas isolé ; anodin, pour beaucoup. Certains internautes justifient même cette union, arguant que le choix des jeunes est plus judicieux  que celui des adultes et que l’amour fait des miracles…

Mais de quel choix s’agit-il, quand le mariage devient l’unique destin ? De quel choix s’agit-il, quand la jeunesse est sacrifiée ? De quel avenir s’agit-il, quand la vie d’une fille est volée, ses études, ses projets, ses rires ?  Rien ne lui appartient, ni son avenir, ni son corps, ni ses rêves.

Cette joie qu’ils affichent sur la photo semble fausse ; et elle frise l’indécence.

Deux familles sont complices d’un crime contre l’enfance.

Mais, elles festoient, exhibent leur allégresse, affichent des visages heureux.

Le délégué de l’Enfance de Gafsa bénit cette union et justifie ce crime par les mensurations de la jeune fiancée déclarée « apte au mariage ».

Cela signifie qu’à 12 et 13 ans, selon le délégué de l’Enfance, les filles pourraient contracter mariage. D’ailleurs, il ne s’intéresse pas au garçon, ni à sa corpulence. C’est un homme. Seule la fille doit avoir les mensurations « idéales ».  Appelé pour enquêter sur les circonstances de ces fiançailles précoces, à la suite de l’émoi de nombreux Tunisiens,  le délégué de l’Enfance a estimé que ce pré-engagement  matrimonial est conforme aux  « us et coutumes ».

Cela signifie également que l’âge du mariage légal importe peu. Un mariage « coutumier » scellera l’union. Encore une transgression de la loi, car cette union ne sera pas reconnue légalement ; mais il suffit qu’un couple soit uni par un imam ou toute autre autorité religieuse, en présence de deux témoins. C’est ainsi que les islamistes « légalisent » désormais la polygamie dans un pays dont la législation l’interdit.

Quand ceux qui sont chargés de protéger les enfants les donnent en pâture à la voracité d’une idéologie islamiste qui justifie toutes les dérives possibles, où trouver du secours contre des parents fanatisées qui désirent se débarrasser tôt d’enfants nombreux, devenus une lourde charge pour des familles plus que jamais paupérisées, dans le contexte économique actuel ?

Conforme aux « us et coutumes »…

Et la Constitution, alors ?   Celle de 1959, qui a fixé l’âge légal minimum du mariage à 17 ans pour les filles ? Et celle de 2014, à 18 ans pour les 2 sexes ? Bien que la moyenne d’âge  réelle pour le mariage, en Tunisie, soit passée à 25 ans pour les femmes et à 30 ans pour les hommes…

La vague  d’indignation sur les réseaux  sociaux a été telle que le ministre de l’Enfance a pris la décision d’évincer le délégué incriminé, et que le nouveau responsable a annoncé qu’il allait « suivre l’affaire ».

Mais, cet événement inquiète, à plus d’un titre ; car il est symptomatique d’un réel danger pour les enfants exposés à la folie des adultes dans la Tunisie d’Ennahdha.

Qui sait si d’autres cas n’ont pas été ignorés, commis dans des patelins éloignés, encouragés par la lame de fond islamiste ?  Les nombreuses nominations à des postes à responsabilités de ses partisans par le parti islamiste Ennahdha ont fait beaucoup de dégâts dans les administrations tunisiennes. L’incompétence, le laxisme, l’absentéisme, l’improvisation se sont propagées partout, et le citoyen en pâtit.

Le projet pernicieux des islamistes n’a pas changé depuis leur accession au pouvoir en 2011. Malgré leur tentative de le masquer, il demeure l’objectif à atteindre : islamiser la société, et tous les moyens sont bons pour y parvenir ; il leur faut barrer la route aux femmes qui se battent pour le contrer. Les islamistes n’ont proposé jusqu’à présent aucun programme  économique ou social viable. Ce ne sont pas là leur préoccupations principales… Évidemment, les enfants et surtout les petites filles sont leurs victimes privilégiées.

Les  conditionner, dès l’enfance, afin de les préparer à leur rôle de procréatrice et d’épouse…

Soumission et obéissance.

Le corps tabou est lieu de conquête, de bataille et de servage.  Les écoles maternelles illégales sont nombreuses où les petites filles portent déjà l’uniforme de leur servitude. Rappelons que l’année 2011 a vu déferler sur la Tunisie tous les prêcheurs et prédicateurs d’Arabie Saoudite et du Qatar, venus propager un Islam wahhabite des plus rigoureux.

Initiation à l’excision, à la polygamie, au dressage des femmes.

Le corps féminin a été exposé à toutes les convoitises, lieu de désir qui doit selon ceux-là appartenir aux hommes, les dépositaires du pouvoir.

Pourtant, la loi reconnaît les droits fondamentaux des femmes ; sur le papier, depuis 2011, il y a eu des avancées : proclamation de l’égalité entre les citoyens et les citoyennes devant la loi,  sans discrimination (article 21 de la Constitution) ; le droit à un travail exercé dans des conditions décentes et un salaire égal sont garantis (article 40) ; les femmes ont désormais le droit de voyager avec leurs enfants mineurs (ce qui n’était pas le cas avant 2015).  L’article 46, consacré spécifiquement aux droits des femmes, engage l’État à protéger leurs droits et acquis, à instaurer le principe de parité et à éradiquer toutes les violences faites aux femmes ; mais il n’est pas rare qu’un fait divers remette en question ces droits…

Il suffit qu’un policier, sur une plage par exemple, s’institue en « protecteur des mœurs » pour qu’une femme portant un bikini ou un short soit  inquiétée, voire même arrêtée…

Il suffit qu’une femme soit au volant de sa voiture, après avoir assisté à une fête de mariage, pour qu’elle soit  soumise à un interrogatoire policier ; qu’un médecin stagiaire de sexe féminin rentre chez elle de nuit, après sa garde, pour qu’un policier l’embarque au poste, à 3 heures du matin…

Ces faits se répètent et encombrent le quotidien de l’actualité tunisienne ; ils prouvent que la régression existe bel et bien, et que l’islamisme, rampant, mine la société et s’attaque aux femmes, de manière de plus en plus visible et systématique.

L’absence de l’État, à cause de conflits politiques entre partis (et à l’intérieur même des partis) génère un laisser-aller généralisé ; le fatalisme, la tendance à la facilité, la paresse intellectuelle s’installent en Tunisie, qui  rejaillissent sur la situation des femmes, à nouveau exposées au sexisme et à la marginalisation.

La paupérisation des femmes, la remise en cause de la place des femmes dans l’espace public, l’impact du religieux sur les jeunes, l’indifférence de nombreuses personnes !

La banalisation de certains faits divers !

Le lent oubli de la révolution de 2011…

Attention !  Vigilance ! Face cet islamisme, qui rêve de conquête…

 

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Tounès THABET

Écrivaine - Journaliste (TUNIS)

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