YEMEN – Les Chiites ont le vent en poupe, au Yémen comme en Irak.

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Les Houthistes (du nom de leur leader), mouvement chiite du Yémen établi dans les régions situées au nord de la capitale, Sanaa, représentent près du tiers de la population yéménite. Dans un pays éminemment tribal où toutes les fratries disposent de leur propre armement, les Houthistes se sont dotés d’une puissante force de guérilla islamiste armée, le mouvement Ansarallah, pour la plus grande malchance du régime à dominante sunnite. Le mois dernier, ses combattants se sont emparés de Sanaa… À Ryad, on grince des dents.

Localisée à quelques dizaines de kilomètres de Sanaa, cette grosse minorité chiite s’estime persécutée par divers responsables militaires liés à des factions sunnites. Les Houthistes ont donc repris les hostilités en juin dernier.

Les tentatives de compromis du gouvernement qui a remplacé le président Ali Abdallah Saleh, renversé en 2011, n’ont pas abouti, d’autant moins que le régime est très fragilisé par la cure d’austérité que lui impose le FMI (la perspective d’augmentation du prix du carburant a enflammé les foules, dans la totalité du pays).

Le 22 septembre dernier, les milices d’Ansarallah ont fait irruption dans la capitale, vandalisant au passage la résidence du directeur de la Sécurité d’État. Le président Abd Rabbuh Mansur Hadi a dû accepter de signer un accord avec le leader des rebelles, Abdelmalek al-Houthi, aux termes duquel, désormais, en plus des représentants du sud [ndlr : mandatés par le mouvement séparatiste basé à Aden, qui revendique le retour aux « deux Yémens »], le président aura parmi ses conseillers un représentant des Houthis, et la désignation du premier ministre ne se fera plus sans l’accord de cette minorité.

C’est une victoire pour Téhéran, qui soutient la guérilla houthiste. Une information a même circulé, selon laquelle, après la conquête de Sanaa, les combattants d’Ansarallah auraient libéré des soldats iraniens qui avaient été arrêtés, quelques années auparavant, alors qu’ils tentaient de leur fournir des armes.

La milice chiite, tout comme le gouvernement, a trouvé un grand intérêt à démentir cette nouvelle qui révélait à l’excès pour qui « roule » la guérilla houthiste. Pour autant, le doute continue de planer à ce sujet ; et la presse yéménite, fin septembre, n’a pas hésité pas à titrer que l’Iran, désormais, se vante de contrôler quatre capitales arabes : Bagdad, Damas, Beyrouth… et Sanaa.

L’ampleur de la victoire des Houthis se mesure en tout cas à leurs déclarations : leur porte parole a fait savoir que le dispositif politique de répartition du pouvoir mis en place au Yémen, après les troubles de 2011, par le Conseil de Coopération du Golfe (qui regroupe les monarchies du Golfe) est désormais obsolète et « qu’Ansarallah continuera de clamer son slogan, ‘À bas les Etats-Unis’, d’une manière pacifique ». Elle s’évalue aussi à la violence des déclarations aussi tonitruantes que dépitées d’al-Qaïda (mouvement sunnite fondamentaliste), qui, bien enraciné dans tout le sud-est du Yémen, appelle à « faire voler les têtes des Houthis ».

Il s’agit d’un revers incontestable pour Washington, qui avait enregistré Ansarallah sur sa liste des groupes terroristes, mais a cependant dû apporter son soutien, ce 26 septembre, à la politique de compromis du président Hadi, tout en annonçant le même jour une réduction de leurs effectifs diplomatiques au Yémen.

Les événements de septembre constituent surtout un sérieux revers pour l’Arabie saoudite, qui a depuis longtemps fait du Yémen un quasi-protectorat. C’est d’ailleurs sur l’injonction de Ryad que les protagonistes de la « révolution » yéménite avaient dû se mettre d’accord sur une nouvelle répartition du pouvoir, la monarchie saoudienne percevant d’un œil inquiet les troubles qui affaiblissaient le régime face aux alliés de l’Iran.

Ainsi, les analystes pronostiquaient qu’Ansarallah prendrait Sanaa si l’État islamique prenait Bagdad. Aujourd’hui force est de constater que Sanaa se « chiitise » sans que Bagdad ne se « sunnitise » ; et Riyad a aujourd’hui dans le pied une épine pro-iranienne, fichée au sein même du gouvernement yéménite, sur son flanc sud, alors que les Etats-Unis l’oblige, au nord, en Irak et en Syrie, à bombarder les positions de l’État islamique, dont certaines composantes recevaient naguère encore le soutien financier d’hommes d’affaires saoudiens.

Retour de manivelle, donc, pour les Saoudiens, dont les expériences d’apprentis sorciers échouent les unes après les autres.

Quant au président états-unien Barack Obama, il ne peut plus rien contre les Chiites du Yémen ; pas plus que le président français, François Hollande (qui regrette peut-être aujourd’hui d’avoir fait inconditionnellement, depuis son élection, le jeu des Saoudiens et d’Israël, les perdants du processus actuel), obligé, le 22 septembre 2014, à l’ONU, de serrer la main du président iranien, Hassan Rohani, sans lequel aucune solution politique ne sera possible ni en Irak, ni en Syrie.

Tel est pris qui croyait prendre…

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Frédéric Delorca

Political Scientist and Sociologist

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