Le jeudi 12 juin trois étudiants disparaissaient, âgés de 16 à 19 ans. Gilad Sha’er, originaire de la colonie de Talmon, en Cisjordanie ; Eyal Yifrach, d’Elad, en Israël ; et Naftali Frenkel, du quartier orthodoxe de Nof Ayalon, à Modiin, dans la région de Tel-Aviv, qui possèdait la double nationalité israélienne et américaine. Ils auraient été enlevés près de la colonie de Goush Etzion, dans le sud de la Cisjordanie, non loin d’Hébron. Ce lundi 30 juin, les corps sans vie des trois garçons ont été retrouvés, abandonnés dans un champs, dans la campagne d’Hébron…
Leur disparition a ébranlé l’ensemble de la Cisjordanie.
Pour les hauts responsables israéliens, les auteurs de l’enlèvement étaient tout désignés : « Des terroristes du Hamas ont enlevé trois adolescents israéliens. C’est un fait et ce n’est pas une surprise (…) car le Hamas est voué à la destruction d’Israël », avait déclaré le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, avant d’ajouter qu’il tenait le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour « responsable de toute attaque émanant d’un territoire sous contrôle palestinien ».
Dans la foulée, l’État hébreu s’était empressé de déployer un dispositif militaire d’envergure, 7.000 soldats, en lançant l’opération « Brother’s Keeper », dont l’objectif avoué était moins de rechercher les disparus que de s’attaquer aux positions du Hamas dans les territoires investigués.
Depuis deux semaines, ainsi, la Cisjordanie vit au rythme soutenu des incursions militaires. Cibles favorites : les camps de réfugiés. Balata, l’un des plus importants du pays, a été envahi par un millier de militaires et plusieurs dizaines de véhicules blindés. Un haut officier israélien a déclaré que cette opération menée dans la banlieue de Naplouse était la plus importante depuis 2002. L’armée aurait ainsi découvert plusieurs caches contenant des armes légères, mais aussi des grenades à main et de l’argent.
Insistons sur le fait que les responsables militaires israéliens ne cachaient pas que l’opération n’avait pas pour objet de retrouver les victimes, mais d’affaiblir les mouvements radicaux liés au Hamas : l’enlèvement des trois jeunes gens a immédiatement été perçu comme une aubaine par l’État israélien, conscient que l’émoi généré à travers toute la Communauté internationale lui laissait une latitude dont il ne pouvait rêver. Le contexte d’émotion créé par la disparition des trois garçons n’a pas incité la presse, ni l’opinion publique, en effet, à s’interroger sur les causes de l’enlèvement, ni à se poser de questions sur l’envergure disproportionnée de la réponse israélienne et sur ses conséquences à long terme.
On apprendra d’ailleurs par la suite que, très vite, la police, les services de renseignement israéliens et le gouvernement, dont le premier ministre, savaient que les trois adolescents avaient été tués. En effet, au moment de leur enlèvement, le jeune Gilad a réussi à utiliser son téléphone portable et à appeler la police ; et la communication a été enregistrée. L’enregistrement, qui a finalement été diffusé par la presse israélienne, permet de reconstituer les faits, dans tous leurs détails : « J’ai été enlevé », a dit le garçon, avant d’être rabroué en hébreux par ses ravisseurs (lesquels avaient un fort accent arabe), qui ont ensuite exécuté les trois victimes. Le téléphone portable de Gilad Sha’er était resté allumé ; on entend sur l’enregistrement les cris d’un des garçons, les coups de feu, tirés avec une arme munie d’un silencieux, et les auteurs du triple meurtre, qui se félicitent « d’en avoir éliminé trois »…
Les policiers contactés n’ont pas immédiatement donné suite à cet appel. Ont-ils cru à une plaisanterie ? Et ce n’est qu’après plusieurs heures, quand les parents d’une des victimes, inquiets de la disparition de leur fils, ont demandé l’aide de la police, que l’enregistrement a été transmis aux services de renseignements.
Les autorités israéliennes savaient donc que les trois étudiants n’étaient plus en vie. Ils l’ont toutefois caché, tant à leurs familles qu’au public israélien et à la presse internationale. Plus encore, les services de renseignement ont prétendu avoir des éléments qui prouvaient que les trois garçons étaient toujours vivants et détenus quelque part en Cisjordanie, justifiant ainsi les opérations militaires qui y ont été menées et amenant les parents des victimes à participer à une campagne de sensibilisation pro-israélienne devant le Conseil des Droits de l’Homme à Genève…
Pas moins de quarante personnes ont ainsi été arrêtées rien qu’à Naplouse et placées au secret ; chaque jour, la chasse israélienne survole la ville, le jeu consistant à franchir bruyamment le mur du son. Et des opérations similaires ont été menées à Bethléem, à Hébron et dans d’autres agglomérations de Cisjordanie. Même Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne, habituellement épargnée, a été ciblée par l’opération.
C’est donc un processus de punition collective que les Israéliens ont enclenché, interpellant près de cinq cents personnes, dont onze parlementaires du Hamas. Plus d’une centaine de Palestiniens ont été placés en détention administrative, parmi lesquels une cinquantaine de prisonniers relaxés lors de l’accord d’échange de 2011, contre la libération du soldat israélien Gilad Shalit. Sept d’entre eux ont vu leur libération tout simplement annulée, ce qui signifie que les peines de prisons qu’ils purgeaient avant leur libération pourraient être reconduites immédiatement.
L’opération a en outre déjà été entachée de plusieurs bavures ; plusieurs adolescents ont trouvé la mort, atteints par les tirs de soldats de Tsahal, dans des circonstances qui restent à définir. Des faits qui prouvent, une fois de plus, que la vie de trois jeunes Israéliens valent celle de cent Palestiniens.
L’opération est rapidement entrée dans une phase de longue durée et a d’emblée bénéficié d’une forme de banalisation médiatique, bien encadrée par le service de communication des armées, qui a régulièrement fait parvenir aux médias un point sur les opérations menées « pour retrouver les jeunes victimes ».
Les progrès sur le terrain ne semblaient pourtant pas évidents et les chances de récupérer les trois otages vivants s’amenuisaient de jour en jour. Pour ceux qui connaissent ce type de crise criminelle, il est évident que cacher trois otages en vie se révèle extrêmement difficile ; et bon nombre d’Israéliens étaient pessimistes, même si le Shabak (nouvelle dénomination du Shin Beth, le service de sécurité intérieur israélien) et l’armée affirmaient qu’avec de la patience et des efforts, en maintenant leur présence sur le terrain, ils arriveraient à identifier le lieu de détention des otages.
L’Autorité palestinienne a de son côté fermement condamné le rapt ; et ses forces de sécurité coopéraient étroitement avec les forces israéliennes. Une attitude vertement critiquée par le Hamas, qui a réfuté toute implication dans l’enlèvement (et l’a condamné… du bout des lèvres), tout en payant le prix fort de la répression israélienne.
Dans ce contexte, la stabilité du nouveau gouvernement palestinien de transition, à peine mis sur les rails, résultat de la réconciliation et de l’alliance du Fatah de Mahmoud Abbas (dominant en Cisjordanie) et du Hamas (dominant dans la bande de Gaza), a soudainement été mise a rude épreuve. Mahmoud Abbas s’est brusquement retrouvé pris entre deux feux : le gouvernement israélien, qui exigeait des actions exemplaires pour retrouver les disparus et impose aujourd’hui ses conditions à l’encontre du Hamas (demandant à Mahmoud Abbas de condamner publiquement le Hamas), et la population palestinienne de Cisjordanie, qui n’acceptera pas, sur le long terme, d’endurer sans réagir la répression israélienne.
Depuis la découverte des corps des victimes, en effet, les opérations se sont amplifiées.
« Le Hamas paiera », a asséné le premier ministre israélien ; et le vice-ministre de la défense d’ajouter que le gouvernement israélien allait « éradiquer le Hamas », quel qu’en soit le prix. Le Hamas, qui a été décrété par Tel-Aviv « coupable » du triple meurtre : sans qu’aucun élément de preuve n’ait été avancé, deux noms, ceux de deux membres du Hamas, ont été publiés par le porte-parole du gouvernement, Marwan Qawasmeh et Amer AbouEisheh, habitants d’Hébron. Ils ont pris la fuite et l’armée israélienne a dynamité leur maison, Israël renouant ainsi avec les vieilles pratiques punitives à l’encontre des familles des activistes soupçonnés de terrorisme.
Le président des États-Unis d’Amérique, Barack Obama, a dénoncé « un acte de terrorisme insensé, commis contre de jeunes innocents ». Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a fustigé « cet acte haineux, perpétré par des ennemis de la paix ».
Le président de l’Autorité palestinienne a quant à lui condamné cette « punition collective » dont fait l’objet le peuple palestinien. Réunie à Ramallah, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP, dont le Fatah constitue la composante la plus significative) a renchéri et dénoncé une campagne « raciste » et rejeté les « fausses accusations » de Benyamin Netanyahu, affirmant que cette affaire n’était « qu’un prétexte pour étendre la colonisation ».
De son côté, le Hamas pourrait bien profiter de la répression israélienne pour fédérer les mécontentements de la population et affaiblir la position du Fatah en Cisjordanie, tout en se renforçant lui-même d’un soutien populaire qui compensera largement les pertes militaires que lui inflige l’opération israélienne en cours.
Le gouvernement israélien, qui avait vu d’un mauvais œil la réconciliation palestinienne se concrétiser depuis bientôt deux ans et avait été contraint, depuis peu, à reprendre le processus de négociations pour la création d’un État palestinien, ne peut donc que se réjouir de la crise actuelle.
Tel-Aviv n’a d’ailleurs pas tardé à autoriser l’implantation de nouvelles colonies en Cisjordanie, surfant sur la vague de sympathie qui déferle sur les familles de colons… Par ailleurs, plusieurs dizaines de raids aériens ont immédiatement été menés sur Gaza, Kahn Younès et Rafah, faisant plusieurs victimes.
À qui profite le crime ?
Le processus de paix est bien (ré)enterré.
En Cisjordanie, ce mois de juillet commence avec un nouveau décès, celui d’un adolescent palestinien, tué mardi 1er, lors d’une opération de l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jenine. Il s’appelait Youssef Abou Zagher. Il avait 18 ans. Les médias n’ont pas diffusé sa photographie. Ni la Maison blanche, ni l’ONU n’ont commenté sa mort.
Autre drame, dans la nuit du 1er au 2 juillet, des hommes ont enlevé un jeune Palestinien, Mohammad Abou Khdeir, âgé de 16 ans, dont le corps a peu après été retrouvé, carbonisé, dans la campagne, près de Jérusalem. L’hypothèse la plus probable est celle d’une vengeance, peut-être organisée par des colons… Mais le ministère de la Justice israélien a interdit la publication des détails de l’affaire, que la presse israélienne a presque passée sous silence…
Déjà, semble s’amorcer une spirale dangereuse, que d’aucuns pressentent comme le point de départ d’une « troisième Intifada ».
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Afin de compléter l’article avec les derniers développements de cette affaire, voici le lien d’un article du Monde !
Merci monsieur Pouchairet de donner votre témoignage sur ce sujet sensible.