Les mots manquent pour évoquer la tragédie de Kidal. En dépit de tout bon sens, les plus hautes autorités du Mali ont décidé de se rendre à Kidal sans avoir réfléchi aux conséquences potentielles de cette visite. Une bévue incompréhensible, aux accents de provocation, qui fera longtemps parler d’elle…
Après une visite saugrenue à Kidal, fief de la rébellion, en juin dernier, qui a déchaîné les forces de l’opposition au gouvernement de Bamako et brisé le cessez-le-feu, en juin dernier, le premier ministre malien s’est déclaré surpris par la riposte meurtrière des groupes armés insurgés.
Le déchaînement de violence était pourtant très prévisible, compte tenu du précédent de Aguelhok [massacre de soldats maliens par les rebelles]et de la nature criminelle de ces groupes.
Ce qui est surprenant, c’est que les autorités maliennes ne se soient pas préparées aux conséquences de leur décision. Cela démontre l’inexpérience, l’absence de vision et de stratégie à long terme, au sommet de l’État, pour gérer les défis nationaux du Mali.
Le jeune âge du premier ministre explique probablement son manque d’expérience, pourtant nécessaire à l’exercice de sa fonction. Mais qu’en est-il du Ministre de la Défense, dont la longévité et la présence dans les gouvernements successifs, à des postes clés, a fait de lui un expert en matière de sécurité dans la bande sahélo-sahélienne ? Il connaît le fonctionnement des groupes terroristes. Il connaît la réalité des (in)capacités de l’armée malienne.
Dès lors, on peut se poser la question : n’était-il pas en mesure de prévoir que cette visite aurait les conséquences désastreuses que l’on a connues ?
Le Mali a beaucoup perdu à Kidal, les 17 et 18 mai 2014, et surtout des vies humaines. Il est temps que les Maliens prennent leurs responsabilités et regardent la réalité en face en se défaussant de toute fierté mal placée : accepter la réalité de la faiblesse du pays permettrait de se préparer à durablement sortir de la crise politique et économique.
Cependant, le Mali souffre d’un paradoxe qui met en contradiction la souveraineté du pays avec ses engagements internationaux.
La souveraineté d’un pays se traduit par le pouvoir exclusif que détient l’État sur le territoire national et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements.
Le Mali est-il souverain ?
Kidal étant une partie du territoire national, le premier ministre malien peut, en théorie, librement s’y rendre. Dans les faits, Kidal est occupé par des groupes armés que l’État malien n’est pas, actuellement, en mesure de soumettre par la force. En outre, la présence des forces françaises, dans le cadre de l’opération SERVAL, et de celles de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation du Mali) limite l’autonomie des forces armées maliennes à Kidal. Le premier ministre a voyagé à bord d’un avion des Nations Unies. Sa sécurité était en partie assurée par les casques bleus et les militaires de SERVAL, donc par des forces étrangères. Le représentant de la France auprès de l’ONU a même affirmé dans un tweet que ce sont les forces françaises qui ont fait sortir le premier ministre de Kidal.
Par ailleurs, le Mali est donc aujourd’hui un pays assisté économiquement, militairement, politiquement et socialement ; les candidats à l’émigration ou à l’exil sont légions.
Mais, surprenant aussi le fait que le premier ministre et le gouvernement de cet État dépendant de forces étrangères pour sa survie a opposé sa souveraineté à l’action de ces mêmes États qui l’assistent, dans un esprit populiste irresponsable, face au risque de plonger le pays durablement dans une crise aux conséquences imprévisibles.
Jusqu’à présent, le pays a miraculeusement surmonté le risque de dérives ethniques et communautaires à grande échelle, même si le Mali en a enduré les soubresauts.
L’attitude privilégiée devrait être celle de la négociation, du dialogue politique, tout en reconstruisant l’armée. Un processus qui demanderait une dizaine d’années d’efforts et de bonne volonté.
D’une part, en effet, une refonte institutionnelle pourrait être la solution pour le Mali : l’exemple du Nigeria ou celui de la République démocratique du Congo peuvent inspirer le Mali et l’aider à prendre le chemin du fédéralisme.
D’autre part, les moyens conséquents devraient être alloués à l’armée, pour lui permettre de rétablir la souveraineté de l’État sur tout son territoire. Au contraire, le Chef de l’état-major malien a annoncé que les primes d’opération sont appelées à disparaitre, au risque de provoquer de nouvelles frustrations au sein de l’armée et de fabriquer d’autres Sanogos [officier de l’armée malienne qui avait temporairement pris le pouvoir, en 2012, à la suite d’un coup d’État]. Aucune leçon n’a été tirée des erreurs passées.
La visite à Kidal était un acte désespéré d’un gouvernement aux abois. Dans un premier temps, les autorités voulaient sans doute étouffer les polémiques sur l’affaire de l’avion présidentiel acquis pour 20 milliards de francs (CFA), sans aucun appel d’offre préalable ; il fallait détourner l’attention des Maliens vers une priorité « nationale » : la reconquête de Kidal, une promesse électorale du Président.
Le nouveau premier ministre cherchait aussi, à travers cet acte hautement symbolique, à toucher la fierté populaire et la dignité malienne mise à mal par la récente crise.
Et on peut dire que le dernier objectif a été atteint. Le PM apparait dorénavant comme un héros national qui brave SERVAL, l’ONU et les Mouvements armés.
Cependant, sur le long terme, la visite de Kidal aura des conséquences négatives sur les plans politique et militaire.
Sur le plan politique, l’absence de concertation préalable avec l’opposition a été une erreur considérable. Une telle visite pouvait se préparer et aboutir à un résultat positif. Le représentant de la France aurait pu jouer un rôle utile en initiant effectivement le processus de dialogue avec les groupes armés de l’opposition, tout en y impliquant les communautés locales. Si les tentatives d’apaisement n’avaient pu être rapidement couronnées de succès, la visite du premier ministre aurait pu être reportée et les raisons du report devaient être expliquées aux citoyens.
Sur le plan militaire, il semble que les autorités maliennes aient voulu bousculer les évènements en amenant l’ONU et les forces de l’opération SERVAL à intervenir et à les soutenir activement dans la reconquête de Kidal. Il n’en a rien été et le gouvernement a ainsi démontré une seule chose : qu’il ne contrôle pas Kidal et dépend totalement des forces étrangères et de leur bon vouloir.
Pire encore : lors du soulèvement, la priorité a été donnée à la protection de la délégation gouvernementale et les fonctionnaires locaux ont été abandonnés à leur triste sort, ainsi sacrifiés pour des calculs politiciens qui ont mal tourné.
Il a démontré que, pour l’instant, l’armée malienne n’est pas à mesure de prendre Kidal, ni non plus de s’y établir durablement.
Le gouvernement malien a décidé de piloter à vue, sans respecter les accords d’Ouagadougou qui ont mis fin à la crise de l’année dernière en invitant toutes les communautés du pays à négocier et à trouver un modus vivendi.
Toutefois, force est d’admettre que la crise malienne ne procède pas seulement des différends intercommunautaires.
Les évolutions récentes en Libye montrent que les clés de résolution de la crise échappent en partie aux autorités maliennes : le nord du Mali demeure le champ d’expansion de nombreux groupuscules terroristes. Si le Mali veut en venir à bout, il a besoin de l’aide internationale.