MALI – Le processus de réconciliation nationale, une bombe à retardement…

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Complètement ignorée par le processus d’Alger, la société civile malienne s’inquiète : aucune de ses préoccupations majeures n’a fait l’objet de l’attention des négociateurs, tandis que la part belle est faite aux mouvements armés de tous bords, qu’ils soient proches de l’État ou en rébellion. La lente progression vers l’acceptation de l’impunité et l’utilisation de l’amnistie pour permettre l’aboutissement des négociations laissent de côté toute réflexion collective sur les causes profondes du conflit. Le processus d’Alger n’apporte ainsi aucune garantie de « non-répétition » du conflit.

La société civile était dans l’attente d’une mise en question constructive de la défaillance dont l’État malien a fait preuve dans la gestion de la crise et du conflit au Mali, d’une analyse objective et sans complaisance, de façon à ce que cet épisode dramatique de l’histoire malienne puisse servir à bâtir un avenir définitivement stable et juste pour toutes les communautés du pays.

C’est cette société civile, à travers ses groupes de réflexion nombreux, qui avait su, par sa mobilisation, entretenir l’espoir des citoyens dans l’unicité du pays et préserver les fondements de la république, mais également les valeurs d’humanité et, plus importants encore, les liens séculaires du vivre ensemble au Mali. Or, cette question du vivre ensemble est aujourd’hui reléguée au second plan des préoccupations du processus d’Alger, alors même que le Mali –ne l’oublions pas !- est toujours en proie à la tourmente.

Si l’on considère l’Accord préliminaire d’Ouagadougou et les avancées qui y avaient été faites, il y a eu, dans le processus d’Alger, un recul évident, qui a fini par entamer l’esprit d’Ouagadougou et les perspectives qu’entrouvraient ces premières négociations.

Dans l’Accord préliminaire d’Ouagadougou, il est précisé, au chapitre III du processus postélectoral (article 21) : « à l’issu de l’élection présidentielle et 60 jours après sa mise en place, le nouveau gouvernement du Mali, en collaboration avec la Commission dialogue et réconciliation entamera, avec l’accompagnement de la Communauté internationale, des pourparlers de paix avec toutes les communautés du nord, les signataires ainsi que les groupes armés ayant adhéré au présent Accord, en vue d’aboutir à l’établissement d’une paix globale et définitive. » ; et, à l’article 25, il est dit : « les dispositions du présent Accord restent en vigueur jusqu’à la signature d’un accord global et définitif de sortie de crise ».

« Toutes les communautés du nord », expressément mentionnées dans l’Accord préliminaire d’Ouagadougou, sont mises en marge du processus du processus d’Alger, pour ne pas dire exclues, à la faveur de la montée en puissance des groupes armés.

Ainsi, il faut constater, encore une fois, que les populations et les organisations qui représentent la société civile se retrouvent dans la posture d’acteurs de second plan, que l’on a convié aux débats pour simplement assurer une certaine légitimité au processus de négociation.

L’Accord préliminaire est pourtant très précis en ce qui concerne la participation de la « société civile » aux négociations ; à charge pour le gouvernement du Mali de mettre en œuvre les modalités nécessaires à assurer l’implication du plus grand nombre d’organisations dans le processus de dialogue et réconciliation.

Dans la nouvelle configuration des négociations, cependant, déterminée par la « Feuille de route d’Alger », l’essentiel des efforts a été consacré à asseoir les différents groupes armés autour de la même table. Et même la manière de parvenir à un accord sur cette « Feuille de route » est frappante : il a fallu procéder à des signatures séparées de deux feuilles de route, jumelles mais coépouses, ce qui -nous nous en excusons- frise quelque peu l’inceste…

En réalité, les deux « Feuilles de route d’Alger » sont assez révélatrices des divergences qu’il y a sur le fond, entre les parties représentées, concernant la crise prolongée que connaît le Mali ; divergences sur le diagnostic, c’est-à-dire sur les responsabilités, et sur les projections d’avenir possible.

Une sortie de crise dans laquelle on consacre de facto les groupes armés comme porteurs des revendications des populations, à l’exclusion de leurs organisations civiles, éloigne le Mali des bons principes républicains, qu’il aurait pourtant été possible de promouvoir, avec l’aide de la communauté internationale présente au chevet du pays.

Ce n’est pas le choix qu’ont fait les négociateur les plus forts, un choix qui, pédagogiquement, aurait proscrit l’usage de la force comme forme de revendication et ancré dans les esprits le principe que seul l’État doit avoir le monopole de l’usage de la force. Un choix qui aurait soustrait le Mali à la surenchère sécuritaire, dans un environnement mondial où la sécurité est la nouvelle matière stratégique pour laquelle chaque nation faible doit payer le prix fort. Un choix qui n’aurait pas généré sur le territoire malien un énième marché international de forces armées privées, de mercenaires au service du plus offrant.

Bien sûr, des promesses ont été faites, pour une prochaine étape du processus planifié par les feuilles de route d’Alger, selon lesquelles les désidératas de la société civile seraient prises en compte ; mais le rôle des organisations civiles, tel que planifié, demeure essentiellement consultatif.

Ce caractère strictement consultatif pourra-t-il faire valoir toutes les revendications de fond des populations du Mali ? Des revendications qui, au nord comme au sud et dans toutes les communautés, ont pour dénominateur commun la volonté d’engager le Mali dans un nouveau contrat social républicain, avec pour deux plus grandes exigences l’amélioration durable de l’offre de service public en matière de sécurité et la garantie de non-répétition des rebellions et des exactions ?

Certainement, non.

Les négociations se déroulent sur fond de spéculations partisanes, à coup de surenchères sur les enjeux sous-régionaux, dans le seul but de satisfaire les ambitions des groupes armés qui veulent garantir leur positionnement par rapport aux marchés et aux partenariats qui résultent du déficit sécuritaire du Mali.

Des objectifs de toute évidence bien plus importants pour les chefs de guerre que le « droit primaire à la vie » des populations !

Dès à présent, les représentants de la société civile malienne se rendent à l’évidence que le processus de négociations en cours à Alger n’offre aucune garantie de non-répétition du conflit au Mali, les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets.

Un terrible déficit de bonne gouvernance, qui condamne le Mali à un éternel recommencement.

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Mohamed Fall Ould Mohamed

Secrétaire politique de l’Alliance de la Communauté arabe du Mali (al-Carama) (Bamako - Mali)

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