Bédouins, Musulmans, Occident, État islamique… Quand tout se mêle, dans l’ignorance des uns et des autres, des uns pour les autres… Une tragique « faouda » bédouine !
On ne dira jamais assez que nous ne sommes que le produit de nos habitudes, de notre environnement, de nos connaissances… de notre culture.
Chacun voit midi à sa porte, n’en déplaise au dieu Internet et à ses velléités internationales.
« Un français décapité en Algérie : la France sous le choc ! » ; « Un américain décapité par l’EI : les Etats Unis ne se laisseront pas faire ! » ; « Cette religion de sauvages n’a pas sa place chez nous ! » ; « Je suis musulman, mais je pense que ces gens là sont des barbares… » (ndlr : cfr. la campagne « #Not in my name » de l’ONG britannique Active Change Foundation, qui invite les Musulmans à prendre position contre l’État islamique) ; « Œil pour œil, dent pour dent. Il faudra que l’on vous prenne combien d’yeux, pour que vous arrêtiez de nous mordre ? »
« Penses-tu vraiment que le monde soit fâchés contre les Musulmans ? », me demandent mes amis bédouins. « Mais pourquoi ? L’essentiel des victimes de ces meurtriers sont musulmanes. Vous ne le savez pas, vous qui avez l’internet si moderne ? »
Les Bédouins sont souvent des gens qui n’ont pas beaucoup de fascination pour les urbains. Et pour cause : le « bedo » est celui « qui vit dehors »…
On pourra dire assez justement que le Bédouin est à l’urbain ce que l’urbain est au Bédouin : celui à qui il ne veut pas ressembler.
Mais autant le Bédouin est conscient de cela, autant l’urbain (et en particulier l’urbain occidental) a beaucoup de mal à imaginer qu’il représente un anti-modèle pour une bonne partie de la planète.
En gros, classiques sont les Bédouins qui considèrent que d’avoir tant d’argent pour vivre si mal est surtout la preuve d’une inconscience totale, voire même d’une légèreté d’âme presque amusante.
C’est là que le bât blesse… Quand l’adjectif « musulman » se mêle à cela…
Tout se complique alors. Car il y a un grand nombre de minorités non musulmanes qui souffrent moins de leurs choix de ne pas vivre à l’occidental, mais auxquelles on fout la paix (la question étant « juste » de savoir : pour combien de temps?). Mais « bédouin » égale « musulman » ; et, là… C’est la « faouda » la plus totale. La « faouda » ? C’est le bazar, le chaos….
Car un Musulman, qui connaît la mentalité de l’Occident et sait la triste image qu’on véhicule de l’Islam en Occident et la méconnaissance qu’un Occidental a de l’Islam, va vouloir se démarquer d’un Islam comme celui de l’État islamique (EI), qu’il considèrera comme non conforme à « l’Islam véritable » (voire : #notinmyname).
Un Musulman qui connaît l’Occident, mais qui a des comptes à régler avec lui (« A-t-il totalement tort ? » ; c’est une vraie question. « Est-ce la bonne méthode ? » ; c’est une autre vraie question ?) utilisera cette méconnaissance pour expliquer qu’au contraire tout ce qui se passe en Syrie et en Irak (et ailleurs) est parfaitement conforme à l’Islam et que l’EI est légitime (voire : « œil pour œil »).
Un Bédouin saoudien est avant tout un Saoudien, donc fort riche ; et n’a de « bédouin » que le nom, mais incarne l’essence du « Musulman totalitaire », pour un Libanais (par exemple), et connaît parfaitement ce qui fait frémir (et jouir) les Occidentaux.
Un Bédouin pauvre (la majorité des Bédouins sont pauvres), qui ne se définit pas comme musulman en premier lieu mais comme Bédouin « avant tout », s’étonnera que, d’un coup, pour cet Occident qu’il comprend si mal, il est classé dans la catégorie « décapiteur », alors que, généralement, il n’a rien absolument rien à se reprocher, parce que les « décapiteurs » ont parfois l’accent anglais (lui, le Bédouin, il le repère tout de suite), et qu’en plus il est évident pour le Bédouin qu’il s’agit d’un problème politique et non religieux.
D’autant qu’en effet, les premières victimes de l’EI sont musulmanes et aussi bédouines.
Pourquoi ? Parce que les Bédouins ont toujours été protégés par les dirigeants. Protégés… Entendons nous bien : « courtisés » serait plus juste.
Pourquoi ? Parce que les Bédouins sont le symbole de l’Islam et qu’un dirigeant oriental avec une once de cervelle ne s’attaque pas à des « symboles de l’Islam sur pied ».
« Le désert, une datte, un peu de lait, quelques olives et la prière à l’ombre d’un palmier ou de son dromadaire. » Un symbole, quoi !
À la fois réel et fantasmé, mais toujours d’actualité dans le monde musulman.
L’EI l’a d’ailleurs parfaitement compris en choisissant comme décors à ses décapitations bollywoodiennes (passez-moi le terme) un vaste désert et le bruit du vent.
L’EI joue honteusement avec des symboles qui frappent : tenue Guantanamo, un message aux Occidentaux, le désert, symbole prophétique, et une mise en scène genre le « dernier combat ». Le Un film qui ressemble à une mauvaise blague, pour un Bédouin, mais fait trembler l’Américain dans son fauteuil et marche du tonnerre auprès du public occidental ciblé.
Certains jeunes Musulmans un peu paumés d’Occident (ils ont de nombreuses raisons de l’être parfois, paumés) d’y reconnaître à la fois la violence de Call of Duty, la puissance imparable de l’au-delà et… une très étrange et symbolique réconciliation avec son grand-père maghrébin (le Maghreb, Pays du couchant à l’ouest de l’Égypte).
Alors que devient le Bédouin machrékien (le Machrek, Pays du Levant ; l’Orient arabe) dans toute cette « faouda » ?
Il n’y comprend pas grand chose et souffre beaucoup.
Soit il choisit l’EI, car il ne veut pas mourir tout de suite et parce que, quand c’est l’unique option, on comprend une certaine hésitation de sa part…
Soit il n’y a pas d’option et il meurt ; et les rescapés appellent au secours (cfr. mon article du mois de septembre).
Soit il est réfugié, entassé qu’il est, à vingt-cinq dans un immeuble squatté en Jordanie ou au Liban, dans le meilleurs des cas. La tente de l’ONU n’est quant à elle pas faite pour une vie bédouine ; elle est surtout plantée très loin des puits d’eau.
Alors il rêve… Il rêve d’une vie au dehors ; il rêve des dattes, d’eau propre, de braises, de pain chaud cuit sous le sable ; et il pleure… en priant Dieu, avec lequel il sait qu’il a une relation privilégiée.
Soit, encore, il reprend les armes… Mais il ne sait plus bien à qui il doit s’attaquer.
Soit, enfin, il envoie un e-mail, avec la photographie d’une théière (symbole du dialogue) sur fond de désert ; il écrit à une vieille complice, qui pleure avec lui : « Penses-tu vraiment que le monde soit fâché contre les Musulmans ? Mais pourquoi ? »
Et elle ne sait que répondre…