L’insécurité à deux visages dans le nord du pays (celle du conflit intercommunautaire et celle des narcotrafiquants), les fausses factures, l’achat du jet présidentiel, la suspension des pourparlers d’Alger, l’assassinat de deux Touaregs près de Kidal… Et, désormais, Ebola.
Au Mali, la confusion règne partout, au point qu’on a le sentiment que le pouvoir vacille.
« Toutes les promesses sur la moralisation de la vie publique, la bonne gouvernance des ressources financières et humaines, la réhabilitation de la justice, de l’école, de la santé s’effacent donc devant la quête effrénée de luxe à tout prix. Monsieur le président, il y a vraiment à désespérer de ce mandat qui n’est pas du tout favorable à un renouvellement de bail, hélas ! », écrit Abdoul Madjid Thiam, rédacteur en chef du quotidien malien Les Échos.
C’est un constat, qui donne la mesure des problèmes qui constellent le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta : après plus d’un an d’exercice du pouvoir, celui qui avait été porté à la présidence par un raz-de-marée électoral (77, 6% des suffrages au second tour) a du mal à trouver une direction dans laquelle conduire le pays.
Avec l’achat du jet présidentiel, qui a fait grand bruit, et les malversations du marché des équipements et matériels militaires de l’armée, le Mali se noie dans des affaires de corruption et de fraude, qui ont, au final, provoqué la colère des institutions de Breton Woods (FMI, Banque mondiale), lesquelles ont gelé leur aide.
Mais, à cette conjoncture politique et économique déplorable, s’ajoute le drame d’une épidémie : le virus Ebola, l’autre menace, qui complique tout…
L’épisode de la clinique Pasteur
Jeudi 13 novembre. Prières, peur, communiqués de sensibilisation, édition spéciale du journal de l’ORTM [ndlr : Office de Radiodiffusion et Télévision du Mali], c’est la panique depuis l’annonce du décès d’un infirmier de la clinique Pasteur à Bamako, victime de la fièvre hémorragique Ebola.
Il a succombé le mardi 11, après avoir déclaré « quelques symptômes de la maladie à virus Ebola ». Un autre malade, arrivé de la frontière guinéenne, est également décédé. Il avait été diagnostiqué « d’une insuffisance rénale aiguë ». Le soir du mercredi 12 novembre, des véhicules de la police et de gendarmerie barraient la route qui mène à la clinique Pasteur d’Hamadallaye, quartier huppé de Bamako. La clinique fermait ses portes, l’ensemble du personnel et des patients était mis en quarantaine. Toute personne ayant été en contact avec les deux personnes décédées doit être recherchée.
Longtemps contenu aux portes du Mali, Ebola est désormais dans les murs.
Une fillette, elle aussi venue de Guinée, en avait été victime à Kayes. Les appels au calme du ministre de la Santé sont restés lettre morte.
Il est clair que le tragique épisode à la clinique Pasteur est un scandale. L’hospitalisation d’un cas suspecté d’Ebola, par une clinique de cette envergure qui plus est, sans que l’on procédât à l’isolement du malade et donc, apparemment, sans que l’on s’interrogeât sur les symptômes déclarés par le malade, symptômes de la fièvre bien connu, constitue de la part du personnel sanitaire une erreur que la clinique ne peut plus réparer. Face à un tel cas, la logique voulait que le personnel de santé s’entoure de toutes les précautions avant tout contact avec le malade, d’autant plus que l’origine de la personne était connue (la Guinée).
Une pétition a circulé sur Internet, qui visait à atteindre 1000 signatures pour engager contre la clinique Pasteur « des poursuites judiciaires pour négligence criminelle ». Une démarche inutile, mais qui témoigne de la colère et de la crainte de la population, une colère décuplée par le fait que, jusqu’à présent, tous les éclaircissement n’ont pas encore été présentés au public, concernant ce qui s’est passé ce jour-là, à la clinique Pasteur.
Des cas importés
La jeune fille, le vieil imam et son fils déclarés morts d’Ebola venaient de Guinée, l’un des trois pays les plus affreusement touchés par l’épidémie.
Ainsi, le fait d’incompétence ne concerne pas que la clinique Pasteur. Il caractérise aussi les autorités qui, « au nom de la solidarité », a déclaré le président du Mali à l’intention de son homologue guinéen Alpha Condé, ont maintenu ouvertes les frontières avec la Guinée, incapables, en vérité, de contrôler les 800 km de frontières extrêmement poreuses qui séparent les deux pays. En outre, aux points de passage régulier, des négligences répétées ont émaillé le contrôle thermique des personnes entrant au Mali et les mesures prophylactiques ne sont pas respectées, et ce en dépit des recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de rapidement renforcer ces contrôles.
On pouvait prévoir que le virus allait entrer au Mali, en provenance de Guinée.
Avec plus de 5.000 décès et plus de 14.000 cas d’infection avérés en Afrique de l’ouest, Ebola progresse donc maintenant au mali. Mais l’on ignore exactement dans quelles proportions.
Les autorités ont en effet caché l’existence d’autres cas d’infection que ceux révélés par les médias, comme un rapport de l’OMS du 12 novembre a pu le laisser comprendre…
Le Mali est « mal barré »
Pour répondre à la colère populaire, le président Keïta a annoncé l’ouverture de plusieurs enquêtes pour « découvrir la chaine de négligences coupables ».
Quant à la clinique Pasteur, qui aurait peut-être bien tenté de dissimuler la contamination de son personnel, elle a été fermée pour une durée de vingt et un jours.
Mais il ne fait plus aucun doute que le Mali « est mal barré ». Pays pauvre au système de santé et à l’État fragiles, le Mali ne s’est toujours pas relevé des crises qui l’ont terrassé depuis le début de 2012.
Les autorités appellent maintenant les populations à la vigilance, alors que la frontière avec la Guinée est toujours ouverte. Laxisme ? Inconscience ? Incompétence ?
Au risque de propagation de la fièvre sur le territoire malien, les autorités ont simplement opposé ce que Marwane Ben Yahmed, dans les colonnes du magazine Jeune Afrique, appelle « une gestion suicidaire »…