On l’appelait « Cheikha » Naji Jabara, en référence à son père qui avait été assassiné en 2006 sur ordre d’al-Qaeda, alors qu’il revenait d’un pèlerinage à La Mecque. C’est de ce souvenir que venait sa méfiance à l’égard des intégristes et de l’hypocrisie qui prévaut dans leur comportement. Elle était bédouine irakienne, une femme qui menait une vie traditionnelle… Mais quand, en 2012, Daech a tué son frère Abdullah, Cheikha Naji a décidé que sa haine serait totale et que plus rien ne l’arrêterait dans sa colère.
Au printemps 2012, Cheikha Naji a pris les armes. Elle a créé sa propre armée, en rassemblant autour d’elle les membres de la tribu Jabbour, et elle a attaqué systématiquement tous les fiefs conquis par Daech, de Mossoul à Tikrit.
Aux yeux de ses hommes, Cheikha Naji était « le courage personnifié », « la grandeur du sang bédouin » « la dignité en marche » ; une femme, comme étendard de la lutte contre l’extrémisme.
C’est une pluie d’éloges que l’on peut lire sur elle ou écouter dans les vidéos réalisées en son honneur.
Bon sang ne saurait mentir ! La tribu Jabbour fait partie des grandes tribus arabes sunnites (tels les Chammar, Doulaym et Zoubay) qui se sont installées au VIIème siècle déjà sur l’actuel territoire irakien, alors dénommé « l’Irak arabe » (al-Iraq al-arabi). Elles ont peuplé, en particulier, les zones centrales du pays (les actuelles provinces d’al-Anbar, de Salahaddin, de Diyala et de Tamim).
Ces tribus ont conservé leurs traditions bédouines (liens du sang, code d’honneur, pastoralisme) et elles continuent à se définir, de prime abord, par leur identité arabe. Leur force est telle que c’est à elles qu’a fait appelle le cheikh des Chaitat, en Syrie, lors de l’attaque par Daesh dont a été victime sa tribu (sept cents morts). Depuis, deux cents jeunes hommes de la tribu sunnite d’al-Chaitat ont rejoint les rangs de l’armée syrienne à Deir ez-Zor et les grandes tribus, côté syrien et côté irakien, continuent de se mobiliser contre Daesh. D’une part car, ils en sont les premières victimes et, d’autre part, car ils n’ont aucune valeur en commun avec les intégristes.
C’est dans cette logique que s’inscrit l’entreprise héroïque de Cheikha Naji Jabara.
Elle représente la colère bédouine après le vol de leurs terres et, surtout, à cause du non-respect de la personne, de son intégrité et de son honneur. De surcroît, les Bédouins s’insurgent sans réserve contre ce « soi-disant Califat », millionnaire et qui s’autoproclame « représentant du Prophète Mahomet sur la terre ». On n’oublie pas, ici, que Mahomet était bédouin… et pauvre ; incontestablement plus proche de la Cheikha que de Daech, de ce ramassis international de haineux et de frustrés.
La Sheikha Oumaya Naji (comprendre « mère d’Omar »), puisqu’en vraie bédouine son nom vient de son père décédé et son fils, est la preuve que l’on ne peut absolument pas réduire le combat mené par le Daesh à un conflit sunnites contre chiites. Non seulement c’est totalement irrespectueux pour tous les sunnites qui sont tombés sous les balles et les sabres du monstre intégriste mais en plus c’est la preuve d’une méconnaissance absolue de la carte des terres qui ont été spoliées à la population pour que ce dernier s’installe. Tous ces gens chassés, volés, tués, torturés étaient sunnites, chrétiens et yésidis. De même, on ne peut pas réduire à une vison salafiste extrême, la vision de la femme sunnite. Les bédouins sont sunnites et Oumaya avait inclus les femmes volontaires dans ses troupes. Celles qui voulaient aider à l’hôpital, toute la journée en présence d’hommes donc, le pouvaient aussi.
La Cheikha Oumaya Naji est morte en plein combat, à une quinzaine kms à l’est de Tikrit ; proclamée « Femme de l’année » par le quotidien Le Monde. C’est en connaissant son histoire -et la fierté de son sang bédouin- que l’on peut comprendre ce que représente cette femme aux yeux du Proche Orient, face à la menace actuelle que constitue Daech, et que l’on peut essayer de lutter contre les clichés ou les analyses trop rapides…
Ce sont aujourd’hui des hommes qui chantent avec respect sa mémoire et expliquent, comme le fait Saïd Ahmed Abdullah, un des membres de sa tribu, que « mourir comme cette femme serait un honneur pour nous : elle est une source d’inspiration bédouine pour le peuple d’Irak ; elle est la sentinelle de notre révolte interne contre le terrorisme ; sa mort est une leçon d’amour patriote qui prouve que, loin de représenter le sunnisme, Daech est une maladie qui nous opprime tous et qui doit être combattue. »