Le dimanche 1er mars 2015, à Alger, le gouvernement malien a paraphé avec les groupes armés favorables à l’unité du Mali un projet d’accord de paix qui aurait dû permettre au pays de sortir de la longue crise sécuritaire qu’il traverse depuis 2012. Mais les groupuscules rebelles armés fédéralistes et/ou indépendantistes (MNLA, HCUA, MAA), réunis au sein de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), ont refusé d’apposer leurs signatures au bas du document, se retranchant derrière une déclaration par laquelle ils ont demandé « à la médiation internationale de leur accorder du temps pour partager le projet d’accord avec les populations de l’Azawad », avant de rejeter l’accord et d’exiger à nouveau l’autonomie de la région. Retour à la case départ : histoire d’un échec programmé…
Alors que, du côté du gouvernement malien, on n’en finissait pas de célébrer la signature de l’accord, le ministre de la réconciliation nationale, Zahabi Ould Sidi Mohamed, se gargarisait de mots, allant jusqu’à affirmer que cet accord était le fruit de « processus uniques », de « rencontres exploratoires », de « l’implication de la société civile », des « États généraux de la décentralisation », des « Assises du Nord »… Pour le ministre malien des Affaires étrangères, chef de la diplomatie, « cet accord a le mérite de la clarté et de l’équilibre, même dans ses ambigüités positives » (sic)… Mais il a reconnu que« l’accord n’est pas parfait ».
Dans la classe politique, d’aucuns ont fait le choix de se calfeutrer dans le silence. Une manière, certainement, d’éviter de paraitre jeter de l’huile sur le feu et de signifier au peuple qu’il faut s’en tenir à cet accord qui, seul, permet de préserver la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale : « La Coordination des Mouvements de l’Azawad qui n’est pas le grand perdant de l’opération a boudé la signature. Or, le projet valide la référence ‘Azawad’ [ndlr : appellation du Nord-Mali revendiquée en tant qu’espace national par les populations arabes et touarègues], impose la dévolution aux collectivités et ménage pour les dissidents un espace où une partie de leurs troupes peut faire office de police régionale. Malgré tout, les fauteurs de paix sont arrivés à convaincre le médiateur et la communauté internationale de leur laisser le temps de la restitution à sa base de quelques milliers d’indépendantistes inconvertibles. Quatorze millions de Maliens vont devoir les attendre et surtout vont vouloir en savoir plus et mieux sur le projet de paix et de réconciliation que le médiateur algérien ne doit pas être excessivement déprimé de passer à Bamako. », a conclu Adam Thiam, éditorialiste et chroniqueur au quotidien malien Le Républicain.
C’est donc à l’issue de la 5ème phase des négociations que le chef de file de la médiation internationale, l’Algérie, a soumis un projet d’accord où il est précisé, notamment, que le terme « Azawad » recouvre « une réalité socioculturelle, mémorielle et symbolique partagée par différentes populations du nord du Mali ». Aussi, l’article 14 de l’accord dit que « l’État s’engage à mettre en place d’ici 2018 un mécanisme de transfert de 30% des recettes budgétaires de l’État aux collectivités territoriales sur la base d’un système de péréquation avec une attention particulière pour les régions du nord. »
« [Cet accord] ne va-t-il pas sceller le clivage entre les Maliens du nord et ceux du Sud ? Pourquoi une ‘attention particulière pour les régions du nord’ alors que nous savons tous que le Mali est l’un des pays les moins développés du monde ?», s’interroge Fatouma Harber, enseignante et bloggeuse établie à Tombouctou, qui affirme ne pas comprendre pourquoi, au lieu de la seule région de Kidal, celles de Tombouctou et de Gao sont aussi associées à cette appellation « Azawad », alors que ces populations ne se reconnaissent pas dans les revendications des irrédentistes touaregs.
L’enseignante tombouctienne poursuit ainsi : « Cet accord d’Alger est comme les précédents qui ont été signés chez notre grand voisin, et qui ont été des sortes de boomerangs qui résolvent le problème des rebellions touarègues du Mali en surface, en ignorant superbement les autres ethnies, leurs sentiments et même leur existence dans un territoire sur lequel les Touaregs et leurs alliés arabes sont minoritaires. Ces accords ne font que conduire doucement vers une scission du Mali, déjà que c’est le Sénégal qui nous a abandonné dans notre grande fédération du Mali. »
L’accord selon la CMA
La Coordination des Mouvements de l’Azawad a refusé de parapher le projet d’accord au motif qu’il ne répond pas aux attentes et aux aspirations des populations de l’Azawad, mettant ipso facto en marche la machine de la pression internationale. Le souhait le plus ardent de la Communauté internationale étant une signature rapide de l’accord, même si les observateurs avertis sont nombreux, qui affirment que la signature ne saurait être un gage certain de l’avènement imminent de la paix.
Pourquoi refuser de signer un document dont tous ou presque s’accordent déjà à dire qu’il n’est pas parfait et qu’il ne résoudra pas les problèmes posés ?
Adam Thiam décode l’intransigeance des fédéralistes dans Le Républicain ; pour l’éditorialiste : « Elle voudrait dire trois choses. Un, que cela ne leur fait ni chaud ni froid d’être assimilés à des terroristes comme les en menace le chef de la diplomatie malienne. Deux, qu’ils sont convaincus qu’une telle classification par Bamako ne sera pas forcément retenue par Alger, Paris ou New York ; et qu’elle sera donc sans conséquence militaire à moins que ce ne soit pour l’armée malienne. Donc qu’il y a encore du temps. Trois, que malgré ses pressions et agacements, l’Azawad compte énormément pour les capitales qui comptent. Si Bilal Ag Shérif ne signait pas, que ferait donc IBK [ndlr : Ibrahim Boubacar Keïta, le président malien] ? »
Dans un entretien qu’il accordé au bihebdomadaire malien Le Reporter, quelques jours après le retour d’Alger de la délégation de la Coordination, Moussa Ag Assarid, représentant du MNLA auprès de l’Union européenne, a déclaré qu’un « accord imposé qui ne respecte pas la volonté des Azawadiens n’est pas un accord. »
« Les échos que j’ai eus ne sont pas du tout favorables à ce document. », a-t-il poursuivi.« Ceux qui l’ont lu considèrent qu’il ne prend pas en compte les aspirations des populations de l’Azawad. Il n’y a pas d’évolution significative par rapport à l’accord de Tamanrasset de 1991, au Pacte national de 1992 et à l’Accord d’Alger de 2006. Si on prend le seul exemple de l’élection du président de l’Assemblée régionale, le seul changement est qu’on passe du suffrage universel indirect au suffrage universel direct et qu’on lui confère des pouvoirs importants. Ce sont des termes trop imprécis pour s’en satisfaire. Ce projet d’accord est flou. Il y a trop d’ambiguïtés. Il y a beaucoup d’exemples de ce type dans le projet. »Et Moussa Ag Assarid de préciser en outre que la CMA se bat pour les populations de l’Azawad afin qu’elles puissent vivre librement et dignement chez elles, et que les mouvements qui la constituent tiennent « à ce qu’il y ait une reconnaissance politique et juridique de l’Azawad, car c’est cela qui est important. »
C’est ainsi qu’à l’issue des consultations organisées à Kidal, la CMA a maintenu son refus de signer et a confié aux représentants de la médiation internationale qui se sont rendus à Kidal le mardi 17 mars son souhait de reprendre les négociations avec le gouvernement malien. Les espoirs des médiateurs sont ainsi déçus : l’un d’eux, Pierre Buyoya, peu avant son arrivée à Kidal, expliquait que ses objectifs étaient « d’aider [les mouvements de la CMA]dans leur prise de décision [qui] leur appartient entièrement. (…) Mais notre mission essentielle, c’est de les encourager à prendre la bonne décision, celle de signer l’accord. » La médiation est en effet revenue bredouille de la capitale de l’Adrar (Kidal). Une mauvaise surprise qui a rouvert la bourse des interrogations et des inquiétudes à propos d’un accord pourtant salué par le monde entier.
De son côté, le porte-parole du gouvernement, Choguel Kokalla Maïga, ministre de la Communication et de l’Économie numérique, a indiqué qu’il n’était pas question pour Bamako de revenir à la table des négociations et de renégocier l’accord, tout en ajoutant que le gouvernement a signé le document et a sensibilisé les populations à cet accord, en ayant surtout conscience que l’accord offre un cadre global qui permettra de travailler au retour de la paix et de résoudre l’ensemble des questions posées dans le respect des principes fondateurs de la République. Avec la même fermeté, Mongi Hamdi, représentant du Secrétaire général des Nations unies au Mali, a précisé que « si on se réunit encore, ce sera pour parapher le document, permettre que la CMA soumette ses observations et signe. La négociation, pour nous, est terminée. Plus de négociations ! C’est une décision commune, prise par toute la médiation internationale ». Mongi Hamdi a ajouté qu’en dépit des réserves faites par le CMA « il n’y aura plus de modifications à l’accord. Comme le gouvernement, ils ont présenté des observations dont certaines seront prises en compte, sans toucher au contenu de l’accord. »
Que faire ?
Aujourd’hui, au Mali, la fameuse question léniniste se pose : « Que faire ? »
Les groupuscules rebelles armés restent fédéralistes, une attitude maximaliste qui porte pour certains tous les signes d’un retour à la case départ et exprime un déni des signatures de l’Accord préliminaire de Ouagadougou et de la « Feuille de route » des pourparlers, qui enterraient toute revendication fédéraliste ou autonomiste.
Il y a quelques mois, interrogé par l’hebdomadaire bamakois Le Flambeau, notre correspondant au Sahel et Sahara, Intagrist El-Ansari, avait expliqué que la remise sur la table des négociations par les groupes rebelles d’une revendication fédéraliste ou autonomiste était un non sens, puisque ces groupes armés du Nord avaient signé la « Feuille de route », en juillet dernier, et qu’ils avaient reconnu, par leurs signatures et en présence de témoins internationaux, le caractère « unitaire » et « républicain » et « l’intégrité territoriale » de l’État malien. Il dégage une autre piste de réflexion en disant qu’ « on pourrait s’interroger sur une possible tentative ‘d’esquive politique’ de la part des groupes armés vis-à-vis d’une partie de leurs militants qui avaient tant misé sur ‘l’indépendance’, puis ‘le fédéralisme’ et/ou au moins une ‘large autonomie’ de l’Azawad. Revenir à la table des négociations avec cette revendication est tout juste une manière, à long terme, pour les responsables de ces différents mouvements de se ‘dédouaner’ vis-à-vis de leurs militants, en prétextant ‘que résistance aura été faite, jusqu’au bout’ »
« Je crois, ajoute Intagrist El-Ansari, que cette histoire de va-et-vient est simplement un jeu pour gagner du temps et affaiblir l’attente des quelques militants des groupes armés, car la question – ou le compromis – a été bien scellée, dès la signature de la ‘Feuille de route’ en juillet dernier, et c’était clair pour tous, y compris pour les militants séparatistes qui s’étaient alors indignés et qui avaient compris dès lors ‘qu’ils n’avaient plus rien à attendre des différents groupes armés’. »
Il apparaît désormais que la Coordination des Mouvements politiques armés de l’Azawad (CMA) bloque l’avancée du processus de pacification du Mali ; et ce dans un contexte marqué par un attentat terroriste intervenu le 7 mars dernier en plein cœur de Bamako, la capitale malienne.
Dans un épais document intitulé « Points essentiels à introduire dans le projet d’accord produit par la médiation » qu’elle a remis à la médiation internationale qui s’est rendue à Kidal, la CMA exige à présent, entre autres revendications, la reconnaissance officielle de l’Azawad comme une entité géographique, politique et juridique, la création d’une assemblée interrégionale regroupant les régions de Gao, Tombouctou, Kidal, Ménaka et Taoudéni, dont les prérogatives relèveraient des domaines spécifiques à l’Azawad, et la mise en place de zones de défense et de sécurité dont le commandement reviendrait à des ressortissants de l’Azawad.
De toute évidence, par ces nouvelles exigences, les groupuscules rebelles qui composent la CMA agissent à rebours de tout ce qui a été discuté à Alger des mois durant, apportant de plus en plus la preuve que les négociations d’Alger n’ont mené qu’à brasser de l’air, balayées aujourd’hui par un retour à la case départ.
« Mais que faire ? », s’interroge l’éditorialiste du Républicain, Adam Thiam. « Nous étions un pays défait. Nous ne sommes pas encore debout. Nous ne prenons pas la juste mesure de notre tragédie et de nos moyens. Nous sommes dans l’auto-validation et pas dans l’obligation de résultats lisibles, visibles et impartialement constatés. Pour toutes ces raisons hélas, il est possible que nous n’ayons pas vidé le sac des mauvaises surprises… »
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