MALI – Déni de réalité : la guerre continue !

0

En juin 2015, a été signé, entre le gouvernement malien et les ex-rebelles de la Coalition des Mouvements de l’Azawad (CMA), un accord de paix que la « brigade d’acclamation », pour reprendre les mots de Serge Halimi, n’arrête pas de saluer et dont tous, ou presque, attendent la mise en œuvre. L’accord a été signé pour mettre fin à la crise qui a débuté en 2012 ; en réalité, il y a eu peu de progrès dans sa mise en œuvre… et le Mali peine à sortir la tête de la guerre.

Dans le nord du pays, les tirs d’obus, les assassinats, les enlèvements font le quotidien des populations.

Alors que -grand paradoxe- on disait les djihadistes aux abois depuis l’intervention militaire française de 2013, « à Tombouctou et Gao, Aqmi est en guerre ouverte contre les forces armées maliennes qui payent aux embuscades, mines ou assauts d’aube le tribut le plus lourd à la crise du Nord depuis le carnage de Konna en janvier 2013, observe Adam Thiam, chroniqueur et éditorialiste du Républicain. (…) La guerre elle-même est asymétrique dans le sens où les jihadistes sont dits dans leurs derniers retranchements depuis l’intervention française en 2013 pendant que l’armée malienne un moment groggy serait en phase ascendante. »

De la signature de l’accord (le 20 juin 2015) à aujourd’hui, plus de cent incidents violents ont secoué aussi bien le nord que le sud du pays, occasionnant le bilan effarant de près de 400 morts. Les attaques terroristes, qui étaient limitées au nord du pays, se sont étendues au sud (Bamako, la capitale) et au centre, notamment aux villes de Kolondièba (Sikasso) et de Nara, achevant de convaincre les Maliens qu’ils ne sont nulle part à l’abri des actions de la constellation de groupes djihadistes devenue un obstacle à la paix : Almourabitounes ( dirigé par Mokhtar Bel Mokhtar, le « Ben Laden du Sahel »), Ansar El Sariat (branche d’AQMI), le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), le Front de libération du Macina (Imam Hamadoun Diallo, dit Hamadoun Koufa), Ansardine (Iyad Ag Ghali).

Ces groupes sont exclus de toute négociation par le gouvernement malien et ses partenaires, notamment la France et les Nations unies, malgré qu’ils apparaissent de plus en plus comme les ennemis de la paix : ils sont « terroristes ».

Pourtant, depuis six mois, les forces armées maliennes et onusiennes continuent de payer un lourd tribut à Tombouctou, Gao et Kidal à ce qui n’est autre qu’une guerre. Comme le vendredi 12 février dernier, où, près de Tombouctou, trois militaires maliens ont été tués et le camp de la mission de l’ONU (Minusma) a été attaqué à Kidal ; cette dernière opération a été revendiquée par Ansardine de Iyad Ag Ghali, devenu l’ennemi public numéro un au Mali, mais aussi un sujet de profonde divergence : faut-il négocier ou pas avec lui ?

Négocier avec Iyad Ag Ghali ?

« Tant que Iyad est libre d’aller et venir, cela n’en finira jamais », a commenté une consœur française qui couvre l’actualité malienne… Iyad Ag Ghaly est-il une menace pour la paix au Mali ? C’est la question que se posent beaucoup d’observateurs depuis fin juin 2015. Et elle divise au Mali, où des voix émergent pour demander le dialogue avec lui : « Nous encourageons le chef de l’État à explorer le dialogue avec les djihadistes maliens pour stabiliser le pays », a déclaré Tiébilé Dramé, le président du Parti pour la Renaissance nationale (parti d’opposition) et expert des questions de sécurité. Un avis auquel adhère Oumar Mariko, du parti SADI (Solidarité africaine pour la Démocratie et l’Indépendance), député élu à Kolondièba, qui, en juillet 2015, a confié au Journal du Mali : « Le soi-disant accord de paix ne peut exclure Iyad et ses hommes, les vrais acteurs du Nord ! »

Iyad Ag Ghaly, Abou Fadl de son nom de guerre, a été d’abord une figure historique du mouvement rebelle malien, avant d’être nommé conseiller consulaire du Mali à Djeddah, en Arabie saoudite. Ensuite, il s’est rapproché des mouvements islamistes pour finalement créer Ansardine, mouvement touareg islamiste, l’un des groupes islamistes ayant contrôlé d’avril 2012 à janvier 2013 les régions du nord du Mali, avant d’être délogés par l’intervention militaire de la France.

En juillet 2014, quelques semaines après la signature de l’accord de paix, qu’il a rejeté et considéré comme une offense, son groupe Ansardine a revendiqué des attaques terroristes dans le centre du pays (Sikasso et Nara). Une alliance serait en outre en train de se conclure entre Ansardine et le Front de Libération du Macina (FLM) du djihadiste Amadou Koufa, qui veut créer un État islamique dans le centre du pays. « Le processus de paix est entravé par Iyad et Iyad seul. Doit-on, dès lors, continuer de refuser tout dialogue avec lui ? À notre sens, le principe de réalité doit prévaloir sur tous les autres et l’intérêt de la paix commande de discuter avec l’ennemi, quel qu’il soit. Après tout, la France de De Gaulle n’a-t-elle pas signé les Accords d’Evian avec le FLN algérien qu’elle qualifiait de ‘groupe terroriste’ ? », écrit l’avocat Cheikh Oumar Konaré, dans le Journal du Mali.

Face à ce croissant appel au dialogue, le Premier ministre français, Manuel Valls, en visite à Gao le vendredi 19 février 2016, a déclaré qu’« Iyad Ag Ghali est un ennemi de la paix, c’est la cible numéro 2 de l’opération Barkhane juste derrière la cible Mokhtar Bel Mokhtar ».

« Les cheveux se hérissent aussitôt qu’il est suggéré de négocier avec ce fauteur de troubles qu’aucune des forces n’a pu jusque-là débusquer. La bien-pensance locale ou internationale, sincère ou fourbe, exclut toute idée de s’asseoir avec le chef d’Ansardine même dans la perspective de consolider la paix escomptée d’un accord aux aspérités redoutées. Les faucons ont peut-être raison. Mais alors les forces majeures au nord peuvent-elles jurer qu’elles ne savent pas où Iyad se trouve ? C’est à dire la France et dans une large mesure, l’Algérie. », s’interroge Adam Thiam.

Où se trouve Iyad Ag Ghali ? À ce jour, personne ne sait où est Iyad. En janvier 2014, les services de renseignement français disaient qu’il se cachait probablement en Algérie, un an après que le département des États-Unis le désignait comme « terroriste mondial » (le 26 février 2013). On le disait aussi à Kidal…

Mais, pour l’éditorialiste, le paradoxe réside dans le fait que « Alger est salué partout comme notre solution, alors qu’Iyad que tout le monde donne pour son précieux protégé soit considéré comme un de nos plus sérieux problèmes en ce moment. »

L’envers du décor

Dans le nord du Mali, les forces françaises de l’opération Barkhane sont présentes pour lutter contre les terroristes. Mais de plus en plus d’observateurs se posent la question de savoir si les actions militaro-policières sont efficaces pour mener à bien cette lutte.

Selon le ministre algérien des Affaires maghrébines, de l’Union africaine et de la Ligue arabe, Abdelkader Messahel, il « ne faudrait pas se baser sur l’action militaire, mais sur d’autres facteurs ». Dans le premier trimestre de 2016, l’Algérie organisera deux conférences sur la lutte contre le terrorisme, la dé-radicalisation et la cybercriminalité. Ces rencontres, qui réuniront des experts et des spécialistes de renom, se dérouleront dans le cadre du Forum global de lutte contre le terrorisme. Il s’agira de réfléchir à une solution qui permettra d’assécher les sources de financement du terrorisme (trafic de drogue, paiement de rançons, crime organisé), et l’utilisation des réseaux sociaux et d’internet par les groupes terroristes.

Au Mali, le trafic de drogue dans le nord est une question qu’on intègre assez rarement dans les grilles d’analyse.

C’est un sujet que l’on préfère balayer d’un revers de manche, d’aucuns allant jusqu’à dire « qu’il ne faut pas mélanger les choses »…

Pourtant, le cœur du problème semble moins le terrorisme que les trafics (drogues, cigarettes, armes). « Si vous donnez le choix à un jeune du septentrion qui a une djakarta de transporter soit un sac de riz pour 10.000 francs CFA, soit un sac de drogue pour 1.000.000 de francs, il n’hésitera pas une seconde, il choisira le sac de drogue. », confiait un ancien premier ministre malien en juillet 2015.

Dans un récent article (« Au Mali, le trafic de drogue sera-t-il sauvé par la paix ? », Médiapart), Fabien Offner, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest de retour de Bamako, a mis en évidence à quel point la lutte contre le trafic de drogue dans le nord du Mali pourrait être un obstacle à la paix. Le président français, François Hollande, a d’ailleurs appelé les Européens à lutter contre le trafic de drogue, « parce que le terrorisme se nourrit aussi de ces trafics, particulièrement en Afrique de l’Ouest » (5 février 2013).

Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) à Dakar, « 35 à 40 tonnes de cocaïne transiteraient chaque année dans la sous-région. La moitié repart vers l’Europe de l’Ouest, l’autre est stockée sur place pour réguler les prix du marché européen et développer les marchés africains émergents. »

Encore plus important, certaines informations font de plus en plus état d’une implication de certains hommes politiques et hauts gradés de l’armée dans ce trafic…

De quoi se persuader qu’au Mali, la guerre continue…

Share.

About Author

Boubacar Sangaré

Journaliste (Bamako - MALI)

Leave A Reply