La France et l’Afghanistan sont liés par une vieille tradition de coopération en matière constitutionnelle : la constitution afghane, monarchique libérale, de 1964 avait été rédigée par le conseiller d’État Guy Fougère ; la version républicaine du 26 janvier 2004 l’a été en partie par Guy Carcassonne, à la demande du président afghan (alors intérimaire) Hamid Karzaï.
Un article de Jacques Follorou, publié en 2009 et titré Du malheur afghan et des constitutionnalistes français, avait évoqué cette tradition de coopération… L’article commençait ainsi : « Et si tous les malheurs de l’Afghanistan n’étaient imputables qu’à un fonctionnaire français ? » Le fonctionnaire en question était le conseiller d’État Louis Fougère, qui avait rédigé la constitution de 1964 à la demande du roi Zaher Shah, et qui aurait commis l’erreur d’inclure dans le texte une disposition dirigée contre un cousin du roi, le prince Daoud. Celui-ci, ne pouvant accéder autrement au pouvoir, renversera le monarque en 1973… par un coup d’État.
« Pour les juristes, la disposition introduite par Louis Fougère était inutile. Les professeurs de droit aiment imaginer que si l’on avait envoyé à sa place les grands maîtres du droit public français, Georges Vedel ou Maurice Duverger, il en aurait été autrement. Selon eux, un conseiller d’État ne pouvait résister aux raisonnements à court terme des politiques. L’histoire du pays en eût été changée. Les partisans de Louis Fougère, au Conseil d’État, goûtent peu cette forme de procès et rappellent que Georges Vedel lui-même l’avait précédé à Kaboul en 1952… »
Prééminence américaine oblige, la constitution de la république islamique d’Afghanistan emprunte bien plus à celle des États-Unis qu’au schéma de la Vème république en France : si le président est élu au suffrage universel, il n’y a pas de premier ministre, le gouvernement n’est pas collectivement responsable devant le parlement, et la chambre basse ne peut être dissoute par le chef de l’État.
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La constitution afghane de 2004 a peut-être atteint sa « date de péremption », à la fois parce que ses mécanismes les plus fondamentaux ne fonctionnent plus et parce que l’évolution de la guerre civile qui déchire ce pays depuis presque quarante ans pourrait bien lui être fatale.
Une coquille vide
Ses principaux mécanismes paralysés, la constitution de 2004 n’est aujourd’hui guère plus qu’une coquille vide.
Le dénouement de l’élection présidentielle de 2014 a incontestablement porté un coup sévère à la crédibilité des institutions. La fraude qui a marqué le second tour du scrutin a été telle que, faute de résultats crédibles, seule la pression américaine, en faisant accepter un partage du pouvoir aux deux finalistes, a permis de sortir le pays de l’impasse politique : à Ashraf Ghani, la présidence ; à son adversaire, Abdullah Abdullah, le poste (non prévu par la constitution et imaginé pour l’occasion) de « chief Executive », comparable à celui d’un premier ministre de la Vème république française.
S’il a sans doute permis d’éviter une nouvelle guerre civile, cet accord a cependant profondément fragilisé la légitimité du président afghan : comme l’accord a été conclu pour deux ans, les opposants au chef de l’État considèrent désormais qu’Ashraf Ghani (qui tire selon eux son pouvoir de ce texte et non de la constitution) ne dispose plus d’aucune autorité politique et morale. Dès 2016, la « cohabitation » entre les deux têtes de l’exécutif a tourné à l’affrontement, contribuant à la faiblesse du pouvoir en place à Kaboul.
Á cela s’ajoute la paralysie du mécanisme de responsabilité individuelle des ministres devant la chambre basse : plusieurs d’entre eux, quoique « renvoyés » par les députés, ont été maintenus en fonctions par le chef de l’État. Invitée à trancher le conflit entre le président et le parlement, la cour suprême a prudemment oublié de répondre à la question…
Les jours de la constitution seraient sans doute comptés si le pouvoir était incapable d’organiser les élections législatives prévues pour octobre 2018 (les électiosn ont été régulièrement repoussées depuis 2015), mais aussi les présidentielles d’avril 2019. Une incapacité qui s’explique par les difficultés techniques que soulèvent la nouvelle procédure d’enregistrement des électeurs et les menaces que font peser les Talibans et Daesh sur la tenue des deux scrutins.
Le ver était dans le fruit
Á court et moyen terme, deux dangers mortels guettent la constitution de 2004.
Paradoxalement, la première menace pour elle vient d’Hamid Karzaï, celui-là même qui l’avait portée sur les fonts baptismaux : ambitionnant de retrouver un pouvoir qu’il a dû abandonner (à regret) en 2014, l’ancien président appelle depuis quelque temps déjà à la convocation d’une Loya Jirga (assemblée constituante traditionnelle, réunion des chefs des tribus), seule instance habilitée selon lui à revoir l’organisation des pouvoirs, superviser les négociations avec les Talibans et enfin redéfinir la relation stratégique avec les États-Unis. La tenue de cette assemblée serait la négation même de l’ordre constitutionnel instauré en 2004.
L’évolution de la guerre contre l’insurrection des Talibans pourrait également être fatale à cette constitution, que les Talibans n’ont jamais reconnue (les Talibans considèrent toujours l’Émirat islamique renversé en décembre 2001 comme le seul régime légitime, le pouvoir actuel n’étant à leurs yeux qu’une « marionnette des Américains »).
Depuis plusieurs années déjà, des négociations menées par le gouvernement de Kaboul sous l’égide des États-Unis et d’autres puissances occidentales ou régionales sont en cours avec les Talibans. S’ils acceptent un jour (peut-être pas si lointain…) un accord de paix, ce sera certainement à la condition que la constitution de 2004 soit refondue, dans un sens sans doute beaucoup plus décentralisé.
En plus d’une entrée au gouvernement et de postes divers, les Talibans pourraient ainsi exercer une autorité presque complète dans les provinces à peuplement majoritairement pashtoun du sud et de l’est du pays, là où leur implantation est traditionnellement la plus forte.
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La situation politique et militaire en Afghanistan augure mal de l’avenir de la constitution de 2004, dont l’adoption avait en son temps suscité tant d’espoirs et qui devait mener le pays sur le chemin de la démocratie et de la modernité politique.
Alors, un constitutionnaliste français sera-t-il bientôt appelé à rédiger une nouvelle constitution afghane ?
La tradition l’exige !
1 Comment
Avec le recul, on peut dire que l’Afghanistan prouve au moins une chose : toute intervention étrangère dans les affaires intérieures d’un Etat (contraire au principe même de la Charte des Nations Unies d’ailleurs) entraîne toujours une catastrophe, ce que démontrent en Afghanistan l’intervention de la CIA du début de 1979, la réaction soviétique de la fin 1979, l’intervention occidentalo-pétromonarchiste des années 1980 puis, bouquet final, l’invasion de 2001 et ses suites dramatiques jusqu’à l’heure actuelle. Ailleurs sur la planète il en va de même, mais le contre-exemple afghan est le plus pertinent car le plus ancien. …Mais les cercles dominants font tout pour qu’on ne l’étudie pas avec le recul nécessaire et la hauteur de vue indispensable à une recherche réellement scientifique. Ce sont eux qui financent les médias, les think tanks et les universités publiques ou privées. Les chercheurs libres, eux, n’ont pas les moyens …mais ils gardent leurs cerveaux.