AFRIQUE – Les « pays de merde » et l’Union européenne

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Refonder les relations Afrique – Machreq – Union Européenne, dans le cadre de la Trilatérale du XXI ème siècle.

Les déclarations de Donald Trump, président des États-Unis, à propos des « pays de merde » (en parlant d’Haïti et de l’Afrique) sont à mettre en parallèle avec ses velléités protectionnistes et non coopératives à l’échelle internationale.

Une attitude qui doit inciter les pays du Machreq [ndlr : selon l’acception de l’auteur, le Machreq comprend tous les pays arabes au-delà du Sinaï, l’Égypte, partie de l’Afrique du Nord, en étant exclue], d’Afrique et de l’Europe à envisager de bâtir un nouveau modèle de coopération « Nord-Sud » mais aussi « Sud-Sud », basé sur la recherche des dénominateurs communs les plus avantageux.

Un schéma qui n’est pas un simple positionnement par rapport à la puissance mondiale, mais une nouvelle orientation qui veut dépasser les relations commerciales et des investissements directs classiques, par la coproduction, la mise en branle par des processus de production et de distribution multilatéraux et transcontinentaux.

La matrice de cette combinaison de moyens et de potentialités s’articule autour de la technologie et savoir-faire européens, les financements des pays à excédents d’épargne, notamment ceux du Golfe, et les vastes marchés africains. De ce point de vue, l’Afrique cesse d’être le réceptacle des biens de consommation importés d’Asie et le réservoir des matières premières et produits agricoles primaires.

D’où l’idée d’une industrialisation du continent par la transformation de ses ressources brutes et la participation, ce qu’on appelle « une chaîne de valeurs » (et que j’appellerai « une division du travail inter blocs »), suivant l’utilisation plus dynamique et évolutive des facteurs de production et d’échange.

La division internationale du travail post-coloniale a figé les rapports entre le Nord et le Sud dans une logique de sujétion et de soumission, oubliant que, sur le long terme, le principe d’enrichir votre partenaire c’est aussi de lui vendre plus mais en s’associant à ses projets pour dégager des profits permanents et mutuellement avantageux.

Une Afrique prospère, dotée d’un appareil productif et d’une population éduquée et formée, est ainsi gage de débouchés pour les entreprises européennes, tout en créant des emplois et du développement économique dans les pays africains. C’est du « gagnant-gagnant ». Les pays financeurs, comme les membres du Conseil de Coopération du Golfe, seraient les bénéficiaires de cette configuration trilatérale de plusieurs manières…

Force est de constater que les pays arabes ont eu le souhait de construire une intégration économique et une zone de libre-échange, mais que chaque étape a été suivie par un échec.

Le grand défi est donc de rebâtir les schémas d’une union économique progressive, par étapes, dans le but de conduire à une intégration maghrébine (Communauté économique maghrébine – CEM), à des liens privilégiés et fusionnels avec le Mashreq (Égypte, Conseil de Coopération du Golfe, etc.).

Cet article s’assigne comme objectif de faire des recommandations qui assurent la prospérité et le développement économique aux populations du Golfe en lien avec le reste du monde arabe et l’ensemble de l’Afrique.

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L’approfondissement du processus d’intégration du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et le succès des projets de partenariats industrialisants doivent être menés de concerts avec l’industrialisation des autres pays arabes organisés dans des communautés sous régionales. Ce sont des coopérations « gagnant-gagnant » et préparant l’avenir de toutes les économies arabes.

Les modèles économiques des États du Machreq reposent sur les exportations des hydrocarbures. Devant le fléchissement des prix du pétrole, l’Arabie Saoudite veut se lancer dans des projets pharaoniques comme NEOM [ndlr : ville futuriste dont la contruction est projetée dans le désert saoudien], alors que les autres s’interrogent sur la manière de diversifier leurs économies.

Le projet d’une « Trilatérale » du XXIème siècle pourrait permettre aux pays du Golfe de s’inscrire dans une démarche de coopération de long terme, avec le « bloc Afrique » et l’Union Européenne.

La mise en œuvre des relations coopératives au sein des trois blocs (Afrique-Machreq-Union européenne) privilégiera l’intégration par la production en combinant les facteurs productifs, humains et matériels. Cela vise à favoriser la production collaborative de plusieurs pays, afin de coproduire et de distribuer sur le marché intérieur et/ou à l’exportation. Cette démarche peut prendre plusieurs formes, comme la joint-venture, la holding multinational… L’enchevêtrement des appareils productifs peut reposer sur une division du travail entre les pays membres de la Trilatérale, ou une spécialisation, en partant des avantages comparatifs.

La construction d’un espace inter-régional de libre-échange et de mobilité de capitaux s’impose d’emblée.

Il convient d’aller vers une coopération triangulaire Machreq-Afrique-Union européenne, où les pays exportateurs d’hydrocarbures qui ont des excédents en devises ont intérêt à investir dans les autres pays de ce regroupement dans des secteurs productifs et rentables. Il ne s’agit pas de programmes d’aide ! Mais de projets viables de co-développement.

Plusieurs objectifs sont à explorer : la réalisation des économies d’échelle grâce à l’élargissement de l’espace marchand, la spécialisation de chaque pays et chaque zone économique selon les avantages comparatifs, le développement de la recherche et l’innovation et la promotion de l’éducation et la formation scientifique et technique.

La Trilatérale est imaginée comme une fusée à trois niveaux.

Le premier niveau est composé des trois institutions supranationales : une « Communauté économique arabe », l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE), qui doivent créer l’environnement politique, réglementaire, commercial, juridique et financier ; et doivent implémenter un cadre garantissant les échanges de biens et services, ainsi que les investissements transfrontières.

Le premier bloc est incarné par l’Afrique, représentée par l’Union africaine. Celle-ci doit se transformer en acquérant des prérogatives politiques, géostratégiques, économiques et sociales, en se dotant également d’une commission économique qui regroupera les différentes communautés économiques régionales.

Le deuxième bloc serait constitué par une Communauté économique arabe, en tant que celle-ci serait le regroupement de la Communauté économique maghrébine (CEM), de l’Union économique d’Afrique du Nord, du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et des autres pays non affiliés ou en cours de constitution d’une zone économique.

Enfin, le troisième bloc, c’est l’Union européenne, qui est le regroupement le plus opérationnel, le mieux organisé ; et qui a mis en œuvre les outils les plus adaptés pour intervenir en dehors de ses frontières.

La question des financements européens et arabes serait à relier à des projets économiques d’intérêts communs.

Le deuxième niveau correspond à la manière pour chaque bloc de se coordonner et de s’organiser en son sein, afin de déployer tous ses efforts dans le sens de la réussite de sa partition dans la Trilatérale.

L’Union européenne ne devrait-elle pas changer sa politique de voisinage et ses relations avec le sud et l’Orient, en considérant son destin comme étant intimement lié aux deux autres blocs ? Sa ré-industrialisation devrait marcher de pair avec l’industrialisation de l’Afrique et du Machreq !

Quant aux pays arabophones, il convient de distinguer les États pétroliers excédentaires en réserves de changes et les pays d’Afrique du Nord, trait d’union entre le Machreq et le reste de l’Afrique. Les pays du Golfe devraient se positionner comme investisseurs par le biais de ses fonds souverains, dans les systèmes productifs de valeurs tant agricoles et industriels que les services en Afrique, mais aussi dans la continuité de la chaîne de production en amont ou en aval dans tous les pays arabophones.

Le pragmatisme voudrait que tous les pays du Golfe laissent de côté leurs conflits politiques pour se renforcer mutuellement sur le plan économique, dans le but de se préparer à l’après pétrole ; et à envisager de nouvelles coopérations inter-régionales. Les économies qui adhérent à un processus de production et de création de richesses en bonne intelligence avec leurs partenaires assureraient le bien de leurs peuples, dans la paix et la stabilité.

Le Troisième niveau de cette bâtisse que serait la Trilatérale se concentre sur les opérateurs privés, les ONG, les banques et assurances, les chambres de commerce et d’industrie, les associations patronales des trois blocs.

Les synergies entre les trois blocs et l’enchevêtrement de leurs processus productifs devraient s’accompagner d’un changement de modèles dans les pays d’Afrique et du Machreq.

Les objectifs de la Trilatérale ne doivent pas concerner que les domaines économiques, mais inclure les problématiques sociales, environnementales et éducatives.

L’intégration inter-régional par la production et non pas seulement par les échanges de biens et de services, devrait implémenter le développement de nouvelles industries propres, non polluantes utilisant les énergies renouvelables.

La Trilatérale pourrait-elle réussir en l’absence d’une intégration régionale des pays arabes ? Si l’Union européenne a atteint un stade avancé dans son unité économique et le parachèvement d’un marché unique, l’Afrique devrait avancer dans la consolidation et la coordination des communautés économiques régionales.

Au nord du continent africain, l’Union du Maghreb arabe (UMA) est moribonde. Plus à l’est, les pays du Machreq sont embourbés dans des rivalités géostratégiques paralysant le Conseil de Coopération du Golfe.

La montée du chômage parmi les jeunes, une démographique galopante et la raréfaction des ressources minières et leur épuisement à terme font peser des menaces inextricables sur la stabilité, l’intégrité et la pérennité de ces pays.

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Les États arabophones ne doivent-ils pas prendre conscience des dangers qui les guettent en s’abstenant de considérer leurs voisins comme des ennemis éternels mais plutôt comme des partenaires durables ? Leur regroupement en communautés économiques ne devrait-il pas unir leurs forces et peser face aux grandes puissances ?

Une communauté économique nord-africaine agrégeant le Maghreb et l’Égypte est une étape nécessaire à une liaison-coordination avec le Conseil de Coopération du Golfe.

Ces sous-ensembles, en y incluant les pays arabes non affiliés à une zone économiques, pourraient former la « CEA »…

La Communauté économique arabe !

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Camille Sari

Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives

2 Comments

  1. Retrouver les sources de notre civilisation méditerranéenne commune qui a irrigué depuis la plus haute Antiquité le développement culturel et technique en cercles concentriques, vers l’Afrique sub-saharienne, vers l’Europe trans-danubienne et vers la masse continentale de l’Eurasie tout en étant elle-même fécondée par les influences venues du sub-continent indien et de Chine. Cela nécessite des Etats créatifs et donc, avant tout, souverains et indépendants, donc aptes à coopérer sur une base autonome avec d’autres Etats autonomes dans leurs décisions. A l’heure actuelle, c’est sans doute le projet de nouvelle route de la soie qui semble le plus avancé pour redonner une dynamique à toutes ces relations partenariales historiques.

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