ALGÉRIE – Entre pétrole et… rien d’autre

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Intégration écono. maghr.Les recettes en devises provenant des hydrocarbures se sont montées à près de 700 milliards de dollars entre 2000 et 2013, alors que, sur la même période, les importations ont avoisiné les 500 milliards de dollars. Dans son rapport en date du 20 mai 2014, la Banque africaine de Développement (BAD) souligne que les hydrocarbures représentent 36% du produit intérieur brut et 70% des recettes budgétaires de l’État algérien. La Banque africaine rappelle qu’en 2013, les recettes de la fiscalité pétrolière n’ont augmenté que sous le double effet du prix relativement élevé du baril et « d’une dépréciation prévue du taux de change entre le dinar et le dollar ». L’institution africaine précise en outre qu’en 2013, « le cours de la devise algérienne s’est déprécié de 2,3% par rapport au dollar américain, de 3,2% par rapport à l’euro ». Les subventions, qu’elles soient budgétisées ou non, représentent un peu plus de 30% du PIB et sont destinées en théorie à assurer la protection des ménages à faibles revenus. Quant aux dépenses sociales, elles profiteraient davantage aux ménages aisés, et ce à cause de l’inexistence d’une politique de ciblage des démunis… L’absence de stratégie économique en Algérie.

Un déséquilibre en devenir

La Banque africaine interpelle également la position financière extérieure de l’Algérie, sujette à préoccupation : selon l’institution financière africaine, elle montre des signes d’affaiblissement importants.
La BAD estime qu’à moyen terme, « la situation financière devrait continuer de dépendre des fluctuations des prix des hydrocarbures » ; et d’enfoncer le clou : « l’excédent des transactions courantes s’est contracté à 1,2% du PIB en 2013 contre 5,9% en 2012 ». Quant au FMI (dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales en date du 6 octobre 2014), il indique que le solde de la balance des comptes courants de l’Algérie est tombé en négatif, avec -3% du PIB en 2014, et s’établira à -2,9% en 2015, contre un solde positif de 0,4% en 2013. Enfin, le rapport de  l’OCDE  conclut que l’Algérie dépense deux fois plus, pour des résultats inférieur de 50%, que les pays similaires de la région MENA (Middel East and North Africa).

Avec  des réserves de pétrole estimée à 12 milliards de barils, une consommation intérieure (en 2013) d’environ  400.000 barils/jour (et qui tend à augmenter vers 600.000 barils/jour), des exportations estimées à 1,6 millions de barils/jour fluctuant actuellement entre 1,2 et 1,4 millions de barils/jour, l’épuisement des réserves, si aucune découverte de nouveau gisement substantiels ne survient, sera consommé dans moins de 15 ans. Selon l’économiste algérien Abderrahman Mebtoul (10 octobre 2014), les réserves de gaz approcheraient  quant à elles 3.000 milliards de mètres  cubes. Les  exportations de gaz ont fortement chuté, entre 2011 et 2013 ; elles n’ont pas dépassé les 55 milliards de mètres cubes, démentant les estimations qui tablaient sur 85 milliards de mètres cubes exportés entre 2012 et 2013.

D’autre part, l’Algérie subventionne de manière importante les carburants ; elle en a importé pour 3,5 milliards de dollars en 2013 (aux prix internationaux) et les a cédés à des prix administrés. Il en outre est fort probable que, dans le court terme, la consommation nationale de gaz dépassera la production ; et, selon les estimations actuelles, on s’orienterait vers l’épuisement des gisements de gaz traditionnel à l’horizon 2030, lorsque la population avoisinera les 50 millions d’habitants.

La Sonatrach (la compagnie pétrolière publique) est de plus en plus concurrencée par  les nouveaux arrivants  sur le marché mondial, par de  nouvelles découvertes de ressources, dont celle de 20.000 milliards de mètres cubes en Méditerranée orientale (qui expliquent par ailleurs les tensions au Moyen-Orient et la guerre d’Israël contre Gaza). Les principaux concurrents de l’Algérie sont désormais la Russie, l’Iran et le Qatar, qui contrôlent, respectivement, 27%, 17% et 12% des réserves mondiales de gaz traditionnel.

En outre, les États-Unis importent deux fois moins d’hydrocarbures en provenance d’Algérie (5 milliards de dollars en 2013 contre 11 milliards de dollars en 2010). À terme, le gaz et le pétrole de schiste extraits du sous-sol américain devraient se substituer aux hydrocarbures traditionnels jusqu’à présent importés par la première puissance économique du monde.

Comme seule réponse aux appels des économistes et des institutions internationales en faveur d’une diversification de l’économie algérienne, afin de faire face à la fin annoncée des exportations des hydrocarbures à moyen terme et aux fortes fluctuations des prix des hydrocarbures, le pouvoir algérien a annoncé l’exploitation du gaz de schiste, prévue pour 2022 : intervenant en marge de la conférence internationale qui s’est tenue à Oran le 12 octobre 2014 sur l’industrie du gaz en Algérie, Saïd Sahnoune, le PDG de la Sonatrach, a affirmé que le niveau de production de gaz de schiste pourrait atteindre 10 milliards de mètres cubes en 2025 ; le ministre de l’Énergie, Youcef Yousfi, avait quant à lui laissé comprendre, lors de l’ouverture de cette conférence, que l’Algérie allait miser l’essentiel de son avenir sur l’exploitation de cette ressource.

Cependant, le recours à l’exploitation du gaz de schiste fait polémique en Algérie. Plusieurs experts mettent en garde contre la dégradation des nappes phréatiques ; et la fracturation des roches  peut  conduire à un  déséquilibre spatial et écologique avec des risques d’effondrements de terrains conséquents, d’affaissements réguliers, sans compter, parallèlement, les effets négatifs pour toutes les zones touristiques proches des exploitations qui se situeraient essentiellement dans le sud du pays.

Le tout va pétrolier

L’absence d’une dynamique de croissance économique autocentrée, qui serait basée sur la production industrielle, s’explique par la dominance de la rente pétrolière sur laquelle les gouvernements successifs se sont reposés.

C’est ce qu’en économie on appelle « le syndrome hollandais » (l’abondance de ressources naturelles entraîne la désindustrialisation du pays) ou « la malédiction des hydrocarbures ».

La manne pétrolière et gazière et la générosité du sous-sol sont causes de ce que les dirigeants n’ont pas eu la motivation de créer des richesses autrement, par le travail et la production industrielle. Ceux qui veulent créer et entreprendre ne sont pas encouragés ; parfois même, ils sont freinés dans leur élan par ceux qui investissent dans les importations et favorisent cette politique, surtout par ceux qui disposent de facilités douanières et administratives…

L’ a disposé de grandes sociétés, mais il y a eu un contexte économique qui ne les a pas avantagés et qui n’a pas créé une dynamique en faveur de la diversification de l’économie.

Actuellement, de nombreuses mesures ont été promues dans le cadre de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (ANSEJ) ; il faut créer de vrais emplois, pour une population très jeune, qui a besoin d’emplois pérennes. Mais, paradoxalement, on n’encourage pas les cadres algériens de l’étranger, qui ont bien réussi et souhaiteraient se réimplanter dans leur pays d’origine. Il ne s’agit pas, bien sûr, de ramener sur le territoire national les 7 millions d’Algériens de la diaspora ; mais d’accompagner les investisseurs afin qu’ils puissent faire profiter le pays de leur talent.

Ainsi, il est urgent de réformer la législation sur les investissements, qui désavantage l’investisseur étranger, tout en se montrant sélectif sur les projets qui ne sont pas dans l’intérêt de l’Algérie.

Enfin, il convient de développer les PME et promouvoir les incubateurs, les pépinières d’entreprise, les zones d’activités et toutes les initiatives privées qui vont dans le sens de la création d’activités productrice de valeurs (en particulier, aider au développement de grandes PME, à l’exception de celles qui spéculent dans le secteur de l’immobilier et les secteurs parasitaires ; il en faudrait 500.000 à l’échelle du pays) ; par des aides financières, uniquement vouées à encourager les activités de production. En revanche, il faut pénaliser les importations, parce qu’elles détruisent les emplois locaux.

L’État utilise la manne pétrolière pour injecter des centaines de milliards de dollars dans les subventions et les augmentations de salaires. Mais l’aggravation annoncée des déficits budgétaires grèvera cette politique qui, à très court terme, ne sera plus possible, au détriment des couches les plus faibles –et les plus nombreuses- de la population. Les dépenses publiques ont en effet atteint 100 milliards de dollars en 2014 ( !) ; et les mesures en faveur de l’accès au logement social sont en cours d’exécution. Ces coûts ne pourront plus être supportés à l’avenir par l’État. Parallèlement, les oligopoles qui dominent le marché des biens de consommation augmentent les prix, annulant ainsi une partie des effets des subventions et des revalorisations salariales.

Autre facteur aggravant, les incertitudes politiques : les quotidiens El Khabar et El Watan ont fait état de fuites massives de capitaux et d’une intense activité de spéculation sur le marché noir des devises. L’euro a atteint la valeur de 140 dinars, contre 100 sur le marché officiel.

Une fiscalité inégale

Depuis trois ans, la question fiscale a refait son apparition, en force, à l’Assemblée nationale populaire. Le 22 septembre 2012, le député FLN d’Alger, Wahid Bouabdellah, avait dénoncé l’inexistence de l’impôt sur la fortune ; depuis, la polémique ne s’est pas éteinte.

Le directeur de la législation fiscale du ministère des Finances, Mustapha Zikara, a rétorqué en affirmant que les autorités ne disposaient pas « d’une échelle d’évaluation exacte de ce qui serait une grosse fortune » ; en plus, selon lui, il serait « très difficile, voire impossible d’appliquer une telle proposition sur le terrain en raison du caractère souvent informel ou dissimulé du patrimoine immobilier en Algérie ».

Ainsi, si les revenus sont soumis à une retenue à la source –notamment, l’impôt sur le revenu global (IRG) concerne les salaires-, le patrimoine est rarement taxé, et ne représente que 0,043% du total des impôts prélevés par l’État.

Mais cette faiblesse des recouvrements n’est pas une fatalité ; elle est voulue par le système, qui favorise les causes de cette déficience, comme la sous-informatisation du cadastre, les sous-déclarations et la non-poursuite des dissimulations devant les tribunaux.

Des moyens de recoupements, avec les déclarations aux assurances, par exemple, ou l’utilisation de logiciels adéquats, pour détecter le blanchiment d’argent, sont des pistes très simples qui pourraient être explorée, s’il y avait une volonté politique de traquer les fraudes fiscales et de détecter les acquisitions immobilières dont les coûts ne seraient pas justifiés par des revenus réguliers.

Mais, dans le domaine de la fiscalité, les autorités algériennes se contentent de quelques mesures épidermiques, comme la taxation des voitures de luxe et des yachts de plaisance…

Pourtant, la certitude de la disparition, dans un proche avenir, des revenus liés aux exportations des hydrocarbures rend aujourd’hui déjà obsolète le modèle économique algérien, dont la faiblesse encaisse mal les premiers coups de boutoir.

Et cependant, les autorités algériennes, comme l’autruche, demeurent inertes, parent au plus pressé et agissent sur des évènements de court terme, laissant le pays foncer tout droit dans le mur d’un avenir économique qu’elles n’auront pas préparé.

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Camille Sari

Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives

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