ALGÉRIE – Une opposition sans peuple

0

Le pouvoir algérien s’emporte, l’opposition balbutie : à nouveau hospitalisé, le président Bouteflika limoge le chef des services secrets et plusieurs officiers supérieurs de l’armée, tandis que le gouvernement annonce des privatisations massives et de nouvelles mesures d’austérité, réprimant durement les manifestations qui s’en sont suivie dans le zoning industriel d’Alger… Une crise à surveiller ?

Tout en bas, personne ne semble s’apercevoir de l’agitation et de la frénésie qui se sont emparé des partis et des « personnalités » qui s’affairent sur la scène médiatique algérienne. Il faut dire que rien de tout cela n’interpelle ni n’intéresse la population. Se pose donc à la clase politique un véritable problème de légitimité.

Et pour cause ! Bien malin celui qui réussira à discerner dans les baragouinages, jamais renouvelés, des uns et des autres, le moindre mot qui fait mouche et qui ferait que celui qui l’a prononcé fasse tendre l’oreille. À de très rares exceptions près, ceux qui parlent le plus fort et/ou qui ont les faveurs des micros ou des plumes complaisantes n’en ont que pour les procédures et les slogans éthérés.

Quand ils se baissent pour s’adresser au peuple, ils se font, trompeurs mal grimés, l’écho de ce qu’il sait déjà. Surtout que la thèse selon laquelle le Département de Renseignement et de Sécurité (DRS – les services secrets algériens) serait le « maître du pays » s’est effondrée, sans fracas, sans que la moindre ligne ne bouge au sein de l’édifice étatique [ndlr : en septembre 2015, le président Abdelaziz Bouteflika a limogé sans explication le chef du DRS, le général Mohamed Mediène, dit Toufik]. Ce qui  a obligé l’opposition à produire un nouveau fantasme, un « clan Bouteflika », autour du frère, dont il serait ardu d’identifier et les contours et les moyens de pouvoir…

Cependant qu’on assiste depuis longtemps à un retrait social problématique de la chose publique, où la notion de citoyenneté est inexistante ou peine à se construire… Situation alimentée par l’atavique rapport au « beylik » (l’État immanent), ce corps étranger contre lequel on ne peut que se soumettre ou se révolter, auquel on ne peut jamais participer. Ce disant, on ne peut s’empêcher de voir cette opinion reprise, dans une forme plus élaborée, par une partie de l’opposition : la notion de « pouvoir » tout puissant et omniprésente dans son discours.

Une attitude qui a fini par renforcer la défiance et le mépris envers la politique, après une phase de surpolitisation paroxystique. Ainsi, devant le très grand nombre de carences des services publics et toutes les manifestations du sous-développement structurel, la société algérienne est désarmée et se trouve inapte, même à utiliser les ressources dont elle peut bénéficier ; des ressources que la corruption n’a aucun mal à dilapider ou qui restent inutilisées faute de compétence.

Il y a que, depuis 1988 [ndlr : en octobre 1988, des manifestations ont eu lieu dans toute l’Algérie, qui ont mis fin au régime du parti unique imposé par le Front de Libération nationale], depuis que la brèche s’est ouverte sur la diversité des « solutions », les Algériens sont blasés des boniments. Ils ne votent presque plus. Une façon de voter, quand on ne veut pas passer pour un avaleur de couleuvre.

Pour combler le vide laissé par le peuple, la presse est venue le remplacer, parler et penser à sa place, au point qu’on en est arrivé à avoir des organes centraux de partis, mais sans parti, sans militants.

Tout cela a maintenu l’illusion d’une vie politique, ignorée cependant par le peuple qui s’est mis à s’exprimer par lui-même. Il s’est transformé en émeutier potentiel, seule garantie de se faire entendre et, surtout, d’éviter de se faire avoir par des élus dont il ne veut plus.

Et, pour bien marquer le coup, le peuple évite comme la peste de répondre aux « brata » (pluriel populaire de parti), quels qu’ils soient, quand ils veulent s’emparer de sa grogne. S’il se rend, parfois, en nombre infime aux meetings et autres rassemblements, c’est certainement dans l’espoir d’entendre du nouveau, quand ce n’est pas pour meubler un temps libre. Sans plus.

À travers ce comportement, on comprend ce que veut dire l’expression « génie populaire ». Car l’émeute est bien un produit alternatif à l’opportunisme des « islamistes », des « démocrates » et autres courants. Tant pis si certains y voient une révolte politique contre le « pouvoir », quand elle n’est qu’une façon substitutive de s’adresser à l’État, faute de relais fiables et crédibles.

À ce sujet, la prodigalité étatique, en termes de logements, de crédits aux jeunes et de transferts sociaux, peut être l’expression d’une relation de pouvoir particulière, qui entretient un mode de gouvernance basé sur un consensus assumé où les richesses nationales doivent « profiter à tous », du fait qu’elles étaient l’objet premier de la lutte de libération nationale.

Du fait aussi que  la bourgeoisie locale -ou ce qui fait office de bourgeoisie- profite, de même, de la rente pétrolière, mais ne participe en rien à l’impulsion d’une dynamique économique « hors hydrocarbure ». Ces couches sociales sont d’ailleurs plutôt préoccupées que les mécontentements populaires ne doivent absolument pas déboucher sur une remise en cause, socialiste ou nationaliste, du capitalisme, cause identifiable de la mal vie et des difficultés économiques.

La stratégie de « l’opposition » visible reposera donc sur la promotion de solutions politiques qui garantiront le pillage programmé ou en cours. C’est à ce titre que le concept d’islamistes modérés a fleuri dans le discours états-unien, car ces islamistes-là peuvent assurer la mise en œuvre du néolibéralisme dans toute sa teneur et sont censés, suprême avantage, être le courant d’opposition le mieux implanté, contrairement aux « modernistes » ultra-minoritaires et marginaux.

Quand et où ce sera possible, par la pression ou par la force de l’OTAN, on travaillera à les installer à la place du « régime ».

Les « démocrates » finiront, ce faisant, de se rallier aux islamistes, dans une pittoresque « coordination nationale  pour les libertés et la démocratie », demandant à l’armée de lui offrir une « transition ».

On en est là, aujourd’hui, en Algérie…

Tandis que le « bloc social dominant » affiche une sérénité bien méritée et jouit d’une popularité imperméable à la « crise » qui lui est attribuée.

Share.

About Author

Ahmed Halfaoui

Chroniqueur de presse (Alger)

Leave A Reply