MONDE ARABE (Maghreb) – Une Communauté économique maghrébine : l’avenir s’inscrit au présent

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La construction d’une Communauté économique maghrébine, voire aussi d’une monnaie commune au Maghreb, suscite d’immenses espoirs et constitue une perspective prometteuse, quant au développement économique et social de toute la région. Cependant, les déclarations belliqueuses et les conflits politiques entre les pouvoirs algérien et marocain inquiètent les plus optimistes parmi les partisans de ce projet.

Intégration écono. maghr.Les économies maghrébines ont subi de plein fouet les crises de 2008 et 2011 ; de façons différenciées, mais l’impact est réel. Leurs fragilités s’expliquent par leur extraversion et leurs dépendances à l’égards des pays développés, notamment des États européens.

Certes les deux producteurs d’hydrocarbures avaient vu leurs revenus augmenter, davantage à la faveur de la remontée des prix du pétrole que grâce à leur dynamisme propre. L’Algérie et la Libye, en effet, connaissent les affres du « syndrome hollandais » ; elles ont fait le choix d’une centralisation excessive de leurs appareils de production et des mécanismes qui régissent les processus de production et de distribution des biens et des services. Par ailleurs, l’explosion des importations dans ces deux pays, loin de refléter une politique d’investissements inexistante, n’est que la conséquence de la répartition de la rente ; et la chute des prix du pétrole a rapidement mis à mal le modèle suivi en Algérie notamment.

La Tunisie et le Maroc présentent quant à eux des modèles de développement similaires, fonction d’activités extrêmement sensibles à la conjonctures internationales : le tourisme, les investissements étrangers, les transferts de fonds en provenance de leurs diasporas et des exportations agricoles, industrielles et phosphatières en direction du marché européen.

Les plans d’ajustement structurel suggérés par le FMI et acceptés par les dirigeants des pays endettés sont à l’origine des politiques d’austérité au Maghreb. Le FMI a ainsi imposé aux gouvernements tunisien, marocain et mauritanien une dépréciation continue et progressive de leurs monnaies, la privatisation des entreprises d’État, une réduction drastique des dépenses sociales et une plus grande extraversion de leurs économies, plutôt tournées vers les marchés européens.

Ainsi, l’engagement du Maroc à réduire son déficit budgétaire, par des coupes budgétaires substantielles au niveau des crédits non productifs, des charges sociales et des compensations, laisse planer, en définitive, la menace d’une crise sociale grave aux conséquences imprévisibles. D’autant plus que les statistiques officielles des flux financiers internationaux et des équilibres de paiements internationaux ne rendent pas compte de la réalité : des transactions informelles d’importations et d’exportations passent par les marchés parallèles, et il convient de prendre en compte aussi les activités illicites, qu’elles soient liées à la contrebande, à la prostitution ou au trafic de drogue.

Des problèmes sociaux qui se posent avec beaucoup d’acuité à tout le Maghreb, en raison du hiatus qui existe entre les populations intégrées au marché du travail (travaillant pour des administrations ou des entreprises publiques et privées) et ceux qui œuvrent dans le secteur informel ou qui n’ont aucune activité salariée.

En Algérie, l’absence d’une dynamique de croissance économique autocentrée basée sur la production s’explique par la rente pétrolière : la manne pétrolière et gazière qui procède d’un sous-sol généreux ne motive pas les dirigeants à créer des richesses par le travail et la production ; les entrepreneurs qui veulent investir dans le développement industriel du pays ne sont pas encouragés et, parfois, ils sont même plutôt freinés dans leur élan par certaines forces qui ont tout intérêt à favoriser les importations, surtout lorsqu’elles disposent de « facilités », douanières et administratives.

Le modèle de développement algérien est dès lors déséquilibré. Son mode d’industrialisation centralisée qui a échoué partout. Le retour à l’État, omniprésent ces dernières années, est à double tranchant : il laisse croire qu’il est possible de tout régler au niveau central (nous avons à maintes reprises plaidé pour une économie diversifiée, laissant place à l’initiative privée et aux mécanismes de marché ; et nous avons souligné le rôle de la formation -et notamment technique- en faveur des jeunes). Ainsi, l’échec des privatisations est symptomatique d’un manque de vision à long terme. Même les plans de restructuration des entreprises publiques se sont soldés par un échec.

L’État algérien doit créer l’environnement adéquat pour favoriser l’émergence d’une génération d’entrepreneurs et impulser une vraie politique industrielle tournée vers le marché intérieur. À un moment donné, il faut choisir entre le lobby des importateurs et la promotion de la production nationalevisant à préparer dès à présent l’après hydrocarbures, par la diversification de l’économie ; tant il est évident qu’il faut créer un environnement favorable aux entreprises, notamment aux PME, et soutenir l’entreprenariat privé.

L’État doit soutenir d’abord les entreprises de production nationale, au détriment des sociétés d’importation, dont bon nombre pratiquent en outre l’évasion fiscale, contournent les taxations douanière et encouragent les importations à outrance ; et, dans le processus de diversification et de modernisation de l’économie, tous les secteurs sont appelés à se réformer, et en premier lieu le secteur bancaire et financier. Mais, pour le moment, faute de privatisations, les entreprises publiques continuent à s’empêtrer dans l’inertie et l’assistanat d’État.

L’Algérie a pourtant les moyens de créer des entités économiques de production de biens et de services, non pas selon le système centralisé qui a fait faillite, mais avec de nouveaux entrepreneurs privés, à encourager.

En Mauritanie, l’instabilité politique et institutionnelle est prégnante et obère tout processus de développement économique.

Toutefois, les exportations de minerai de fer, de cuivre et d’or se sont amplifiées avec l’élargissement des champs d’exploitation, pour constituer une base respectable pour l’économie mauritanienne : le secteur minier contribue, en moyenne, pour 36,5% du PIB. Autre secteur phare, la pêche pourrait connaitre un meilleur sort, s’il y avait un plan de transformation.

Mais la Mauritanie reste un pays pauvre ; la lutte contre la pauvreté doit être l’axe majeur. Cela passe par l’éducation et la formation.

Comme on peut le conclure au vu des spécificités des ressources et des problématiques évoquées, les économies maghrébines ne pourront émerger qu’en se développant dans le cadre d’un espace économique intégré, au sein duquel se créeront des synergies et des complémentarités et qui permettra des économies d’échelle, afin de réduire les dépendances vis-à-vis des économies dominantes ; un tel espace permettra aussi d’accroitre leur pouvoir de négociation dans les relations internationales.

Les crises financières et économiques à répétition qui ont marqué ces dernières années constituent une menace sérieuse pour ces pays et pourrait constituer une alerte salutaire, incitant les dirigeants maghrébins à repenser leurs relations de voisinage dans le sens d’une plus grande solidarité et de moins de raidissements permanents et de tensions inutiles.

De manière générale, les pays qui acceptent de former une communauté économique cherchent à étendre leur marché et à créer un espace optimal pour les opérateurs économiques locaux et les investisseurs étrangers. Les économies qui se sont développées de façon accélérée sont celles qui disposent d’un vaste territoire et d’un marché important. Les pays de taille moyenne ou petite peuvent connaître une croissance forte, dès lors qu’ils se trouvent géographiquement associés à un environnement dynamique.

Une Communauté économique maghrébine (CEM) ferait gagner aux économies de la région une croissance additionnelle du PIB que l’ont peut estimer entre 4 à 6%, grâce à la dynamique qu’engendrerait un tel projet, et mettrait progressivement fin à la course à l’armement que disputent l’Algérie et le Maroc. La lutte contre la corruption et l’économie de rente, ainsi que l’instauration de règles de concurrence et de transparence, sont facteurs de croissance et d’innovation. Un tel développement économique résoudrait aussi la question du chômage, dans ces pays à forte progression démographique et qui dispose d’une population jeune.

Il est cependant bien évident que la solution aux problèmes économiques actuels dépend avant tout des comportements des forces politiques, qui devraient placer l’intérêt général au-dessus des intérêts partisans et individuels, jusque dans le cadre régional, qui nécessite la mise en place d’organismes de contrôles empêchant la constitution de féodalités locales.

Le Maghreb doit combiner l’intégration par le marché et l’intégration par la production. L’intégration économique par le marché a comme objectif principal la réalisation d’un marché unique par les pays membres, qui n’envisagent aujourd’hui les processus productifs que dans le cadre national. L’intégration par la production, en combinant les facteurs de production humains et matériels, qui vise à favoriser la production collaborative entre plusieurs pays (cf. l’exemple européen de l’Airbus), afin de coproduire et de distribuer sur le marché intérieur maghrébin et/ou à l’exportation. L’intégration de l’appareil productif peut reposer sur une division du travail entre les pays membres, ou une spécialisation, en partant des avantages comparatifs.

Dans cette perspective et afin de fluidifier les échanges économiques intra-maghrébins, les investissements et la circulation des personnes, la proposition d’une monnaie commune paraît la réponse la plus appropriée.

Cette monnaie commune pourrait cohabiter avec les monnaies nationales ; elle ne serait utilisée que dans l’espace maghrébin, comme moyen de paiement dans les opérations intermaghrébines. Les personnes physiques voyageant dans la région, ne seraient en outre plus obligées d’utiliser des devises différentes.

La construction d’une zone économique maghrébine sera basée sur des convergences économiques en s’appuyant sur des coopérations réelles, la monnaie commune n’étant qu’un facilitateur.

La mise en place de cette monnaie commune se ferait par étapes. Sa mise en place est techniquement possible à brève échéance, mais cela dépend de la volonté des dirigeants politiques et de leurs populations à aller de l’avant. La monnaie unique demeurera un objectif lointain à l’horizon de 20 à 30 ans. Les modalités de passage à celle-ci seraient définies en fonction des données spécifiques à la région et aussi par rapport aux paramètres politiques et économiques permettant d’y parvenir.

Mais un marché unique n’a de sens que si les gouvernements s’efforcent de rapprocher leurs codes des investissements et d’harmoniser les règles douanières et commerciales.

On s’en rend compte sans peine : la construction d’un espace maghrébin de libre-échange et de mobilité de capitaux et de personnes s’impose comme la seule solution efficace aux problématiques économiques et sociales actuelles auxquelles sont confrontés les pays concernés.

Une fois cette CEM solidement installée, il conviendrait d’aller vers une coopération triangulaire entre le Machrek, l’Afrique et l’Union européenne, dans le cadre de laquelle les pays exportateurs d’hydrocarbures qui ont des excédents en devises auraient intérêt à investir au Maghreb, dans des secteurs productifs et rentables.

Il ne s’agirait plus, alors, de programmes d’aide ! Mais de projets, viables, de co-développement…

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Camille Sari

Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives

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