ANALYSE / AFGHANISTAN – Les Talibans victimes d’attentats-suicides

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Ce dimanche 17 juin 2018, à Jalalabad, dans la province orientale de Nangarhar, plus d’une vingtaine de personnes, dont plusieurs combattants talibans, ont été tués dans un attentat à la bombe.

Ces Talibans s’étaient mêlés à la population et à des membres des forces armées afghanes pour célébrer la fin du Ramadan, dans le contexte de la trêve décrétée par le gouvernement afghan et acceptée par le mouvement jihadiste.

Un premier attentat-suicide, revendiqué par l’État islamique, avait frappé ce samedi 16 juin 2018, dans la même région, un rassemblement populaire par lequel des Talibans et des policiers afghans fraternisaient pour fêter le cessez-le-feu, provoquant la mort de près d’une quarantaine de personnes.

Deux attentats d’autant plus tragiques que le respect de la trêve par les Talibans pendant deux jours déjà (vendredi et samedi) avait agréablement surpris la population afghane et les observateurs, soulevant l’espoir qu’elle se serait prolongée au-delà de ce dimanche 17 juin (les Talibans avaient accepté une trêve de trois jours).

Un espoir rapidement mis à mal : Zabihullah Mujahid, le porte-parole des Talibans a annoncé ce dimanche qu’ils reprendraient les combats dès lundi.

Rien d’étonnant à cela : dans une négociation de paix entre deux combattants, les premiers pas sont toujours de petits pas. Accepter l’appel du président Ghani à prolonger la trêve au-delà de dimanche aurait été, de la part des Talibans, comme admettre ouvertement qu’ils discutent avec un pouvoir dont ils refusent toujours de reconnaître officiellement la légitimité et qu’ils qualifient de « marionnette des États-Unis ».

Les combats devraient donc reprendre, ce qui n’empêchera pas les discussions de se poursuivre.

En paraphrasant Yitzhak Rabin lorsqu’il négociait avec l’OLP, le président Ghani pourra dire : « Il faut combattre les Talibans comme s’il n’y avait pas de négociations, et négocier avec les Talibans comme s’ils ne menaient pas d’attaques. »

Mais globalement, cette trêve a certainement marqué une rupture dans la guerre civile qui épuise le pays et martyrise les populations afghanes. Rien ne sera plus tout à fait comme avant après les images de combattants talibans embrassant des membres des forces armées du gouvernement.

Parce que l’initiative de ce cessez-le-feu a été lancée par le président Ghani, les Talibans, s’ils reprennent leurs attaques dans les jours qui viennent, apparaîtront comme ceux qui portent la responsabilité des souffrances endurées par la population. Rien à voir, donc, avec les conditions dans lesquelles ils avaient pris le pouvoir, en 1994-1996, lorsqu’ils apportaient au contraire la paix à une population épuisée par la guerre, d’abord contre les Soviétiques, puis par la guerre civile qui opposa les moudjahidins et le gouvernement pro-communiste, et enfin celle que se sont livrée les seigneurs de la guerre (Massoud, Hekmatyar, Dostum, Noor,…).

Or, dans une guerre insurrectionnelle, c’est l’esprit des populations qui constitue le terrain à conquérir.

Les attentats qui ont visé les Talibans constituent eux aussi un élément de rupture.

Ils s’inscrivent dans la logique des affrontements armés qui ont opposé, ces dernières années, les Talibans et l’État islamique, les premiers condamnant la « barbarie » des « terroristes », et notamment le recours aux attentats suicides ; les seconds dénonçant l’interprétation à leurs yeux imparfaite (car mêlée de traditions pashtounes) que les Talibans font du Coran.

Cela dit, l’État islamique attire depuis 2015 dans ses rangs des combattants talibans qui refusent toute idée de négociations avec le gouvernement de Kaboul et qui partagent le jusqu’au-boutisme des groupes terroristes.

En tout état de cause, cet acte devrait désormais confirmer qu’une ligne rouge sépare et séparera encore plus, dans l’avenir, le mouvement taliban, considéré par le gouvernement afghan et ses alliés occidentaux comme une insurrection nationaliste avec laquelle on peut discuter, et les « terroristes » d’Al-Qaïda et de l’État islamique, avec lesquels aucune négociation n’est possible ni même envisagée.

À cause ou grâce à ces attentats, les Talibans (sinon la totalité d’entre eux, du moins leur direction, la Shura de Quetta) devraient se trouver davantage encore poussés « du bon côté » de cette ligne rouge : ayant fait la preuve de leur bonne volonté en respectant cette trêve de trois jours, puis ayant été victimes d’attentats commis par l’État islamique, quelques jours après qu’une assemblée de religieux a prononcé une fatwa à l’encontre de cette pratique, les Talibans devraient être d’autant plus incités à accepter le ralliement que leur propose le président Ghani. C’est tout l’aspect positif qu’on peut en attendre.

Lorsqu’une guerre fait rage, il est toujours difficile, presqu’impossible, d’imaginer que les adversaires irréductibles qu’elle oppose pourront un jour, la paix venue, s’allier contre un ennemi commun. L’Histoire fournit pourtant nombre d’exemples de tels retournements.

Demain peut-être, intégrés dans l’armée afghane, payés par les États-Unis et d’autres pays occidentaux, les Talibans pourraient devenir les combattants les plus acharnés à traquer et détruire les terroristes de Daesh et d’Al-Qaïda…

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Bruno SENTENAC

Juriste - Conseiller du Parlement afghan en 2009-2010 (France)

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