DEBATE / ISRAËL – La Norvège attaquée : piraterie ou… ?

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Fin juillet 2018, devait s’achever le long voyage entrepris par la Flottille de la Liberté, partie d’Europe du nord et dont l’objectif était d’acheminer l’équivalent de 15.000 dollars de médicaments vers les hôpitaux de Gaza en situation de pénurie grave. Il lui fallait pour cela forcer le blocus israélien mis en place depuis 2007. Cette flottille humanitaire internationale transportait une quarantaine de militants originaires de 15 pays différents et battait pavillon norvégien.

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Le 29 juillet, alors qu’elle se trouvait encore à 42 miles nautiques des côtes gazaouies, la flottille a été arraisonnée par l’armée israélienne. Or, les eaux territoriales d’un État, dans les termes du droit international, ne s’étendent pas au-delà de 12 miles nautiques, limite à laquelle la souveraineté de l’État s’arrête. La flottille se trouvait donc dans les eaux internationales, à 30 miles des eaux territoriales « israéliennes » (ou palestiniennes, c’est selon…) lorsqu’elle a été « interceptée ».

Plusieurs militants furent frappés et tasés ; tous furent attachés sur le pont pendant que les navires étaient détournés de force vers le port israélien d’Ashdod.

Les passagers y furent fouillés, dépouillés de leurs effets personnels et emprisonnés. De leur téléphones portables, caméras, appareils photos, des centaines de dollars au total des portefeuilles « confisqués », passeports et cartes d’identité (qui demeurent légalement la propriété des États émetteurs)… ils n’ont pas revu la couleur, à proprement parler volés par les services israéliens.

Tout comme les médicaments à destination de Gaza… et les bateaux eux-mêmes.

De Gaza, ils n’auront vu que la côte (plongée dans l’obscurité totale, en raison du blocus).

Plusieurs analystes ont assimilé les faits à un acte de piraterie. Ce n’est pas exact.

Si l’on se réfère à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, en effet, la piraterie se définit par « tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire, agissant à des fins privées, et dirigé contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord ». Agissant à des fins « privées ». Le gouvernement israélien ou les soldats israéliens sont-ils des « personnes privées » ? Ou un groupement d’individus agissant pour eux-mêmes ? La réponse est non.

Il ne s’agit donc manifestement pas d’un « acte de piraterie », mais d’un « acte de guerre », caractérisé.

Cet acte de guerre a été commis dans le cas présent par un État souverain, Israël, contre un autre État souverain, la Norvège (membre de l’OTAN). Si l’on ne s’étonnera finalement pas de la réaction très timide du gouvernement norvégien qui, par l’entremise de la ministre des Affaires étrangères, Ine Marie Eriksen Søreide, a demandé au régime israélien des explications sur les circonstances de la « saisie » et de « clarifier les bases légales » de l’acte, rejoignant ainsi le peloton des États européens objectivement complices des crimes israéliens, le silence assourdissant des médias mainstream a en revanche de quoi révolter l’observateur.

Dans un communiqué, l’armée israélienne a affirmé que ce navire avait l’intention de « violer le blocus légal imposé à la bande de Gaza ». Par blocus « légal », le régime israélien entend sans doute se référer au blocus de Gaza qui viole plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies et que l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, qualifiait de « contre-productif, intenable et immoral ». En août 2017, Antonio Guterres, l’actuel secrétaire général, a quant à lui déclaré que Gaza subissait « l’une des crises humanitaires les plus dramatiques qu’il [lui]ait été donné de voir » et a appelé à la levée immédiate du blocus. C’était il y a tout juste un an.

La population gazaouie (environ 1.800.000 personnes), maintenue sous surveillance satellitaire, est encerclée et enfermée sur un territoire de 360 km² par des clôtures de grillages et de fil de fer barbelé gardées par des fantassins et des chars israéliens, un blocus terrestre assorti d’un blocus maritime visiblement extensible, sans réelle limite. Tous les points de passage et toutes les sources régulières d’approvisionnement sont sous contrôle de l’armée israélienne. Les médicaments, les carburants, les matériaux de (re)construction et les aliments sont filtrés à ces rares points de passage. L’administration locale palestinienne est placée sous un strict embargo financier et les banques, paralysées. La majorité de la population enfermée dans l’enclave de Gaza ne survit que grâce à l’appui humanitaire massif des Nations unies ; mais l’organisation commence elle-même à manquer de moyens pour financer le carburant nécessaire à faire fonctionner les générateurs destinés aux hôpitaux, aux stations de pompage d’eau et autres infrastructures vitales de la bande de Gaza (et ce depuis la destruction de la seule centrale électrique de l’enclave, lors des bombardements israélien de l’été 2014, qui avaient par ailleurs provoqué la mort de plus de 2.000 civils).

La ville de Gaza, où vivent près de 500.000 personnes (dont la moitié a moins de 18 ans), ne bénéficie que de deux à trois heures d’électricité par jour ; un enfant de 11 ans, à Gaza, n’a jamais connu dans sa vie une journée complète avec l’électricité. L’agriculture, secteur vital de l’économie locale, est réduite à néant par les interdictions d’exporter et par les pénuries de matières premières nécessaires aux exploitations agricoles. Le secteur de la pêche est également impacté. Dans l’immobilier, tous les programmes, y compris ceux des Nations unies (aménagement du réseau routier et de la voirie, constructions d’hôpitaux et d’établissements scolaires, etc.) sont à l’arrêt, et de très nombreux bâtiments détruits par les bombardements israéliens n’ont pas pu être reconstruits.

Les tentatives des Gazaouis de faire entendre leur voix dans l’espoir d’amener la communauté internationale à enfin intervenir et à obliger le régime israélien à mettre un terme au blocus sont systématiquement et de plus en plus ouvertement brutalement réprimées par l’armée israélienne ; les derniers événements ont montré à quel point l’État d’Israël se moque du droit et des conventions internationales, comme ce fut le cas lors des manifestations de commémoration de la Nabka en mai 2018, qui se sont soldées par un véritable massacre : 55 morts palestiniens, dont plusieurs enfants, alors même que les manifestants n’avaient pas franchi la frontière et se trouvaient donc « chez eux ».

Telle est la situation qualifiée de « légale » par Israël, pourtant partie à de nombreuses conventions internationales sur les Droits de l’Homme et qui continue donc à porter la responsabilité de la mise en œuvre de ses obligations en la matière dans les territoires palestiniens occupés ou placés sous blocus.

La Flottille pour la Liberté ne constitue pas la première tentative de briser le blocus de Gaza par la mer. D’autres tentatives ont eu lieu, parmi lesquelles celle de la Flotille pour la Paix, en 2010, dont le navire amiral, le Mavi Marmara, qui battait pavillon turc, avait lui aussi été attaqué dans les eaux internationales par les commandos israéliens, une opération dont le bilan avait été particulièrement lourd : selon le magistrat mandaté à l’époque par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, le juge Hudson-Phillips, rapporteur de la mission d’enquête, « les militaires israéliens ont tiré des balles réelles contre les passagers du Mavi Marmara, tuant neuf d’entre eux et en blessant plus de 50 autres ; six des personnes décédées ont été victimes d’exécutions sommaires, deux ont été abattues après avoir été grièvement blessées et alors qu’elles ne pouvaient pas se défendre ».

Les victimes, qui avaient essayé de repousser les agresseurs avec des balais-brosses et en leur lançant des chaises-longues (signe de la disproportion récurrente des moyens coercitifs israéliens) présentaient, à l’autopsie, des impacts de balles dans le dos et dans la tête.

Il ne s’agissait pas – et de loin – d’une « bavure », mais d’une volonté claire de tuer. Déjà un acte de guerre –en outre en violation de la Convention de Genève sur la protection des civils-, inscrit au passif du régime israélien, et qui visait certainement à servir d’exemple. C’est un soulagement que la Flotille de la Liberté n’ait pas subi le même sort.

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Si l’acte de 2018 fut moins violent et moins coûteux pour l’image d’Israël, il révèle cependant, une fois de plus, l’impunité totale dont jouit cet État.

Israël est à ce jour le pays le plus régulièrement condamné par l’ONU ; et ce, malgré le fréquent veto de leur allié américain.

Et pourtant, rien ne change dans le comportement de cet État et jamais aucune intervention n’oblige Israël à respecter la loi ; et très certainement la Norvège fermera-t-elle discrètement les yeux sur l’agression subie.

Toutefois, il existe un moyen d’action accessible aux citoyens du monde entier, et ce pour dépasser une classe politique qui a choisi le camp israélien, au détriment du droit : le boycott des produits israéliens, qui apparaît comme la mesure la plus efficace, laquelle inquiète le régime de Tel-Aviv au point qu’il fait désormais pression sur les gouvernements qui le soutiennent pour qu’ils légifèrent et en interdisent la promotion par les associations concernées par la cause palestinienne.

S’attaquer à l’argent du régime israélien, au nerf de sa guerre, est à la portée de tous.

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Simon-Marin GHYS

Historian and Political Scientist - Managing Editor for French

2 Comments

  1. Il faut boycotter même les etreprises qui travaillent avec Israël. Il faut un blocus général d’Israël et de ceux qui le soutiennent.

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