URGENT / AFGHANISTAN – Talibans vs. Daesh: l’Islam afghan tombe le masque

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En Afghanistan, un jeu mortel pour le pouvoir se joue entre les Talibans et Daesh (l’État islamique – EI)… avec le gouvernement de Kaboul en arbitre.

On savait qu’entre les Talibans et Daesh (l’État islamique dans la province de Khorasan, l’IS-K) la lutte pouvait être féroce : l’attentat de Daesh contre les Talibans, lors de la trêve de l’Aïd, en juin 2018, l’avait montré.

Mais ce qui s’est passé le mercredi 1er août 2018 est largement inédit…

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Attaqué depuis deux jours par les Talibans dans la province septentrionale de Jowzjan, frontalière du Turkménistan, un groupe de 200 à 250 combattants de Daesh (dont leurs deux commandants) s’est rendu aux forces gouvernementales pour échapper à une totale destruction.

De l’ensemble des « Daeshis » soumis à cette attaque, plus de 150, selon le porte-parole des Talibans, auraient été tués ; plus de 100, blessés ; et 134, capturés par les moudjahiddins. D’autres se seraient rendus aux Talibans ou auraient réussi à leur échapper, sans pour autant se rendre aux forces gouvernementales. Il y aurait une trentaine de femmes parmi ceux qui se sont rendus, et deux Français feraient partie des combattants étrangers (principalement originaires d’Asie centrale) qui ont rejoint les lignes gouvernementales.

Cette reddition aux forces gouvernementales de combattants d’un contingent de l’EI (guidé par une idéologie islamiste extrême et qui professe un jusqu’au-boutisme total) pourrait surprendre. Elle est en fait assez naturelle si l’on considère le parcours sinueux du chef de ce groupe en particulier, Mufti Naimatullha Nemat, qui, combattant taliban dans un premier temps, avait rejoint les forces gouvernementales à la suite d’un « deal » arrangé par le premier vice-président afghan, Rachid Dostum (l’un des « rois du Nord », avec le gouverneur Atta Noor), avant de rallier, en 2017, l’État islamique – et il aurait laissé entendre, lors de sa reddition, qu’il n’écartait pas l’hypothèse de se ranger une nouvelle fois derrière le pouvoir de Kaboul. Une nouvelle « offre de service » qui se heurte pour l’instant non seulement à un certain scepticisme, compréhensible, de la part du gouvernement, mais aussi à l’insistance de la population de cette province que les combattants de l’État islamique soient jugés pour les crimes atroces (dont des décapitations) qu’ils ont commis lorsqu’ils en contrôlaient certaines zones.

Cette reddition confirme s’il en était besoin que, nonobstant les justifications religieuses que ces combattants (aussi bien les Talibans que les partisans de Daesh et d’Al Qaida) donnent à leur lutte, leurs motivations sont bien plutôt liées aux avantages qu’ils retirent de la lutte (des financements de certains pays du Golfe, le rançonnage des populations locales, pour ne pas parler du trafic de drogue) et de ceux qu’ils espèrent obtenir dans une négociation avec le gouvernement.

C’est inversement ce qui explique la (relative) bienveillance du gouvernement à l’endroit de l’EI : non seulement l’armée afghane aurait bombardé les positions des Talibans pour faciliter la fuite des combattants de Daesh, mais elle leur aurait même promis des hélicoptères pour les évacuer ; promesse non tenue…

Selon ce qu’aurait expliqué leur chef, les combattants de l’État islamique, invités par les Talibans à les rejoindre, auraient préféré céder aux sirènes de l’armée afghane car ils étaient « fatigués de se battre ».

On n’est donc pas là en présence d’illuminés prêts à mourir pour une cause sacrée, mais de criminels qui cherchent à sauver leur peau quand les choses se gâtent – selon les témoignages, ce sont des combattants « paniqués » qui auraient rejoint les lignes de l’armée afghane. C’en est presque rassurant…

Selon le porte-parole des commandos de l’armée afghane, cette reddition signerait la fin de l’implantation de l’État islamique dans le nord du pays, où le groupe terroriste avait commencé à se déployer, alors qu’il était jusque-là concentré dans les provinces de Nangarhar et de Kunar, situées dans l’est du pays, en bordure des zones tribales du Pakistan.

Dans une alliance objective contre nature (mais « l’ennemi de mon ennemi est mon ami »), aussi bien les Talibans que les forces afghanes et américaines avaient concentré depuis quelque temps leurs efforts contre l’État islamique pour éradiquer sa présence dans le nord du pays. Le général John Nicholson, qui commande les forces américaines en Afghanistan, était allé jusqu’à encourager les Talibans dans cette entreprise, ce qui n’est pas sans rappeler le mot de Churchill à l’annonce de l’invasion de l’URSS par l’armée allemande en juin 1941 : « Si Hitler envahissait l’enfer, j’aurais un mot de sympathie pour le Diable. »

Le chef de l’ensemble des combattants de Daesh dans le nord afghan avait déjà été tué par une frappe aérienne américaine.

Aussi bien les Talibans que le gouvernement afghan peuvent aujourd’hui clamer victoire, même si le contrôle que les premiers viennent de s’assurer dans cette province (que leur porte-parole Zabihullah Mujaheda a qualifiée de « libérée de l’État islamique ») ne laisse quand même pas d’inquiéter le pouvoir de Kaboul.

Cette défaite face aux Talibans est un nouveau revers de taille pour l’EI, déjà sérieusement étrillé dans sa région d’origine par des frappes aériennes américaines ou des attaques sur le terrain. Le leader de Daesh en Afghanistan avait été tué en avril dernier lors d’une opération conjointe des forces spéciales américaines et afghanes ; son prédécesseur l’avait été lors d’une frappe aérienne américaine en juillet 2017.

L’État islamique avait répondu à ces attaques par une intensification des attentats contre des cibles civiles. Ses effectifs seraient de quelque 2.000 combattants en Afghanistan, mais les Américains ont exprimé leur crainte qu’ils ne soient renforcés par des arrivées en provenance d’Irak et de Syrie en raison des défaites que ce groupe armé a enregistrées dans ces deux pays.

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Si les Talibans récusent toute idée de « coopération objective » avec les Américains dans cette lutte contre l’État islamique, leurs représentants n’en discutaient pas moins, quelques jours auparavant, avec de hauts diplomates américains, à Doha, pour explorer les voies « d’une négociation de paix ».

En Afghanistan, le « Grand jeu » a toujours été très compliqué ; et il n’a jamais laissé aucune place à la morale…

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Bruno SENTENAC

Juriste - Conseiller du Parlement afghan en 2009-2010 (France)

1 Comment

  1. L’ère actuelle des Seigneurs de la guerre dans le monde musulman semble assez comparable avec l’ère des Seigneurs de la guerre dans la Chine coloniale, post-impériale, pré-révolutionnaire puis révolutionnaire. Une même cause donnant un même effet ? Les musulmans et les orientalistes non islamophobes et non islamocentrés auraient intérêt à étudier dans une optique comparative l’histoire de la Chine coloniale depuis les guerres de l’opium …et l’histoire de l’école des Amériques et des contras en Amérique centrale aussi. La description désespérante et parfois raciste de la Chine et des Chinois répandue avant 1949 dans les médias occidentaux est aussi très intéressante car on y trouve pratiquement tous les poncifs actuels décrivant le monde musulman. Après 1949, on passera au “péril jaune” avant de se focaliser sur la russophobie puis l’islamophobie …et de revenir sans doute bientôt vers le péril jaune avec la montée de la Chine. Tout cela finalement tourne en rond mais les musulmans encore marqués par leur propre colonisabilité ne le voient que partiellement car ils sont encore mentalement dans un tête à tête “nous et les Occidentaux” …alors que la terre est ronde.

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