Editorial – Version française

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Au-delà de la fureur de la guerre, l’effacement…

« Et maintenant ? Que se passe-t-il, en Syrie ? » Ainsi interpellé par un de mes étudiants, je me rends à l’évidence : la révolution syrienne, qui n’a jamais vraiment suscité l’empathie de personne dans la « Communauté internationale » et l’opinion publique occidentale -mais plutôt de la suspicion et de la méfiance ; et, plus généralement, de l’indifférence ou de l’ennui-, semble aujourd’hui presque oubliée.

Tout et n’importe quoi a pu être écrit sur la Syrie, par des chercheurs et universitaires éloignés et partisans qui se sont emballés dès mars 2011, par des journalistes désinformés, énervés par les lueurs équivoques d’un « printemps syrien » qui mit des mois à accoucher d’une révolution mort-née, étouffée au berceau par l’islamisme galopant dont ne savait rien, à l’époque, un Occident insolent qui, dans le même temps, déchaînait sans trop bien le savoir l’enfer tribal libyen et détournait cyniquement sa face des démocrates syriens.

La révolution éclata pourtant, finalement, dans les premiers jours de mai 2012, après un an de marasme incertain ; à l’automne de la même année, déjà, il était trop tard… Les protagonistes du théâtre avaient changé et la partie ne se jouait plus, alors, entre les citoyens insurgés de l’Armée syrienne libre et le régime, mais entre ce dernier et ceux qui avaient envahi la scène, al-Qaeda et, bientôt, l’État islamique… « Trop tard », donc : deux mots terribles, qui ont rappelé à Paris, Londres et Washington, à Berlin et à Bruxelles aussi, que le temps n’était pas à leur disposition… et que le Monde arabe, plus complexe que jamais, ne répondrait pas, cette fois non plus, à leurs calculs étriqués et maladroits.

D’une guerre de la (dés)information médiatique internationale, orchestrée à qui mieux mieux par les partis indécis qui se déchiraient là-bas et relayée par des médias paresseux et malades, tout prêts à colporter chaque rumeur ou tapage qui venait conforter leurs certitudes politiques ou leurs croyances idéologiques, la Syrie s’est peu à peu refermée, un matin d’avril ou de juin 2013, lorsque les proportions prises par « l’industrie de l’enlèvement » ont rendu impossible toute investigation même aux quelques rares observateurs parmi les plus intrépides qui se risquaient encore, à l’époque, à pénétrer ce pays maudit, et dont certains ont cher payé leur témérité.

Dorénavant, peu de renseignements fiables nous parviennent encore de la Syrie. La guerre s’y poursuit, chaotique, éparse, disséminée sans fronts bien définis, et sans que l’on sache toujours avec exactitude qui sont les acteurs de ce scénario dantesque… L’enfer à huis-clos médiatique, à l’intérieur d’une grande boîte au couvercle lourdement fermé ; un tableau inextricable, dans lequel s’enchevêtrent plus de 1.500 factions de tailles diverses et qu’il est devenu presque impossible de synthétiser. Comment, dans ces conditions, l’évoquer, en deux minutes et trente-cinq secondes, dans un journal-parlé ?

Les cris de détresse résonnent dès lors à peine, comme un écho lointain et confus qui s’évanouit et finit par disparaître, par s’effacer, aux oreilles désintéressées de la « Communauté internationale » inerte, que la torpeur et l’effroi provoqués par l’irruption d’un califat géophage et ubiquiste aident à se dédouaner de ses fautes.

Le Courrier du Maghreb et de l’Orient est donc reparti pour la Syrie, à Damas, à Homs et à Alep, et sur le front de l’ouest qui résiste mal à l’État islamique, bien décidé à consolider ses bases au pays de Sham.

Récits, cartes, analyses et détails de l’évolution d’un conflit qui a connu de nombreux soubresauts et revirements, et des bouleversements prodigieux, qui poussent désormais les démocraties européennes à revoir leur copie et à renouer, de moins en moins discrètement, avec celui que d’aucuns avaient trop rapidement « prophétisé » la fin, mais qui, en vérité, jamais, n’a cessé d’être dans son royaume le maître du jeu…

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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