EDITORIAL – Version française

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L’ère nouvelle de l’Islam sunnite a commencé, elle est politique et révolutionnaire.

Ar-Raqqa, Deir ez-Zor, Mossoul, Falludjah, Ramadi, Palmyre… Depuis le printemps 2013, l’État islamique (EI) s’étend et se répand comme une tache d’huile sur les populations arabes sunnites de Syrie et d’Irak, ennemies jurées du régime de Bashar al-Assad et, plus encore, des milices chiites lâchées sur la bête par le gouvernement de Bagdad, pantin aux mains de Téhéran et qui ne parvient plus à retenir ses chiens de meutes.

En Irak, les exactions des miliciens chiites se multiplient en effet, à l’encontre des villageois sunnites, qui, indécis à un moment, voire divisés, se réfugient dorénavant dans le giron du djihad ; des populations pour la plupart rurales et dont le mode de vie, en fin de compte, n’est à peu de chose près pas différent de celui que, selon le verbiage de la presse occidentale, leur veut « imposer » Daesh.

Aujourd’hui implanté dans plusieurs banlieues de Homs, d’Alep et de Damas et pavoisant aux portes de Bagdad, l’État islamique menace aussi le Liban et aurait déjà infiltré la Jordanie… et maints États maghrébins et européens.

Aucun signe n’annonce le recul et encore moins la disparition de ce cataclysme régional qui a pris en quelques mois une ampleur internationale, ni sa défaite à Tikrit, une ville située dans une région encore mal contrôlée par l’EI et qu’il n’a dès lors pas réellement défendue face aux milices chiites d’Irak, une défaite interprétée à grand tort et dans l’euphorie comme la preuve de la faiblesse du mouvement djihadiste, ni la victoire toute provisoire du YPG, les forces kurdes de Syrie, à Tal-Abyad, un fief sunnite hostile aux Kurdes qui manquent en outre d’effectifs pour s’y installer durablement.

Tout au contraire, les combattants du djihad continuent d’affluer de partout dans le monde et de fondre sur leurs ennemis avec une sauvagerie affolante qu’anime une foi inconditionnelle.

Ce sont ainsi les mêmes images, presque surréalistes, d’armées régulières en folle débandade, prises d’une panique irrationnelle, qui ont coup sur coup illustré les conquêtes de Ramadi et de Palmyre, en mai 2015, ces mêmes images qui avaient été tournées à Mossoul, en juin de l’année précédente.

Le seul défaut de la cuirasse, c’est l’aviation… l’absence d’aviation. L’État islamique ne dispose d’aucun avion de guerre et ses adversaires ont l’avantage de la complète maîtrise du ciel. Un avantage inutile lorsque les combats ont lieu en terrain escarpé ou en milieux urbains, mais un atout déterminant lorsque les colonnes de l’EI progressent en terrain découvert, comme l’a démontré l’efficacité des frappes menées par les aviations des États membres de la Coalition internationale, qui ont permis de faire reculer les troupes islamistes qui montaient à l’assaut d’Erbil, progressant à travers la vaste plaine de Ninive, et d’empêcher la chute de Kobanê…

Toutefois, si les frappes aériennes peuvent, dans certains cas, endiguer pour un moment l’expansion de l’EI, elles n’ont pas l’effet de l’effacer de la carte du Moyen-Orient. Pour arracher les racines de l’EI, à ce stade de son développement, les armées syrienne et irakienne ont besoin de renforts occidentaux.

Mais quel gouvernement, de Paris, Washington, Rome, Londres, Ottawa, Berlin ou Bruxelles, souhaiterait-il prendre le risque de voir à la télévision une escouade de ses soldats en train de griller vifs dans une cage de fer ?

Réalité d’un « nouveau Moyen-Orient » qui n’est pas celui que d’aucuns avaient prédits et que d’autres, à présent, redessinent, qui se sont invités au festin pour briser les lignes héritées de la colonisation ; matérialisation d’un État en devenir, qui a pris ses marques au cœur du monde sunnite, un monde réveillé qui a déjà tourné la page des Accords Sykes-Picot et est entré en réaction radicale contre l’Amérique, contre tout ce qu’elle représente et quarante années de guerres imposées, et contre son nouvel allié de circonstance, l’Iran chiite…

Un basculement aux couleurs d’un instantané photographique que même la rhétorique naguère bravache et bégayante d’un Occident arrogant hésite désormais à continuer de nier.

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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